La construction navale au XVIIIe siècle

Conception des navires et approvisionnement des chantiers

En France, la rationalisation de la construction navale date de Colbert, secrétaire d’État à la Marine de 1669 à 1683. Elle se développe grâce à des écoles de construction notamment à Brest, à Toulon ou encore à Rochefort. C’est de cette époque que datent les premiers règlements de construction qui fixent le statut des navires, leurs armements et les principales dimensions. Cependant, même si il y a une avancée dans la méthode de fabrication des navires, le manque de rigueur entraîne parfois de mauvaises surprises lors des mises à l’eau. La construction des vaisseaux anglais, quant à elle, reste supérieure à celle des français, grâce à des dessins selon des méthodes graphiques et mathématiques strictes. 

Au cours du siècle, Duhamel du Monceau (1700-1782), inspecteur général de la Marine en 1739, et le brestois Ollivier apportent leur aide à la nouvelle formation de spécialiste de la construction navale, dans l’école de construction de Paris, créée en 1741 et agrandie en 1748, où le mathématicien Étienne de Bézout enseigne aussi. Ainsi, de nombreux traités d’architectures navales sortent de l’école de construction de Paris. Ce savoir théorique est complété par un savoir pratique : à la fin du siècle, les officiers navigants sont devenus indispensables aux constructeurs et veulent participer à la construction des navires car leur expérience sur les vaisseaux leur permet de savoir quels sont les défauts à supprimer et les points à améliorer lors de la construction des navires.

La construction des vaisseaux est rendue possible par l’approvisionnement en matériaux, plus particulièrement par celui de bois, et aussi de chanvre permettant de confectionner les cordages et les voiles1. La fabrication d’un navire passe nécessairement par un grand soin des forêts. Il faut donc noter l’importance de la proximité des grandes forêts de la côte, ce qui permet d’avoir un bon approvisionnement. Le bois de chêne est le plus dur, il est souvent utilisé. Pour les mats, on se sert du sapin, à cause de sa légèreté. Outre les aptitudes de chaque essence, leurs formes déterminent aussi une grande partie des pièces de construction que l’on pourra en tirer. Ces matériaux sont le plus souvent stockés avant leur utilisation dans la construction d’un bâtiment pour faciliter leur séchage.

L'approvisionnement en bois

Coupe du bois nécessaire à la construction d’un navire. Illustration de l’ingénieur Duhamel de Monceau, dans « Elémen[t]s d’Architecture ».

Le fonctionnement et les métiers de la construction navale

Le fonctionnement d’un chantier naval est primordial dans la construction de navires. Dans chaque port de relâche et d’entretien pour le Ponant (Brest, Le Havre, et Brouage) à partir de 1631, se trouve un commissaire général de la marine dont la tâche est de les organiser. A la fin du XVIIe siècle, l’Ordonnance de 1689 (« L’ordonnance de Louis XIV pour les Armées navales et arsenaux de marine »), donne dans ses livres une multitude de règles, de prescriptions et d’ordres très précis. Elle est durable puisqu’elle reste en vigueur jusqu’en 1776, et place un intendant au-dessus du commissaire général.

Il existe à l’époque trois corps d’officiers maritimes : les officiers de marine proprement dits, les officiers d’artillerie et les officiers de port2. La fonction de ces derniers est d’entretenir les ports : par exemple, la surveillance à terre de toutes les actions d’approvisionnements et de construction, la sécurité des vaisseaux et leur entretien à flot. Autre personnage, le contrôleur est un personnage essentiel dans le chantier naval : son travail est de vérifier tous les mouvements et activités dans le port. Enfin, la main d’œuvre de l’arsenal rassemble un grand nombre de producteurs, spécialistes de métiers variés, que sont les maîtres et autres employés au savoir technique.

On trouve de nombreux métiers dans la confection des vaisseaux. Du plus bas au plus haut on trouve les ouvriers, puis les contre-maîtres et enfin les maîtres. On remarque l’importance dominante du nombre de charpentiers et des corps de métiers liés directement à la fabrication de la coque. Puis on rencontre aussi des perceurs qui sont chargés de faire les avant-trous destinés aux clous et autres chevilles garants de la cohésion des pièces de charpente. Ces clous et tous les éléments métalliques sont produits par les forgeurs. Le navire est terminé et embelli par les travaux des menuisiers, sculpteurs et peintres. Les mâts et les cordages sont réalisés par des ouvriers cordiers spécialisés.

La construction des navires

Voyons à présent quels sont les différentes étapes de la construction d’un navire. La construction débute par la fabrication de la coque. Puis on passe à la conception de la mature (les mâts), du cordage. La durée moyenne de construction d’un vaisseau est de quinze à dix-huit mois entre la mise en place de la quille et le lancement du navire. La première partie construite est donc la coque : les maîtres charpentiers doivent tracer des gabarits, à partir des plans établis par les ingénieurs-constructeurs. Dans les arsenaux, les constructeurs ont accès à des salles immenses pour tracer grandeur nature les pièces définissant le volume du vaisseau en construction.

Source : Album de Colbert, 1670.

Puis la fabrication du navire passe par l’assemblage de ces pièces faites une à une autour du chantier. On pose d’abord la quille, l’étrave et l’étambot. La quille est la pièce axiale de la coque d’un navire allant de l’étrave à l’étambot. L’étrave est la pièce massive en saillie (la partie qui avance) formant la proue, la limite avant de la partie immergée (carène) d’un navire. L’étambot est une pièce de bois formant l’arrière de la carène. Cette partie prolonge la quille et supporte le gouvernail. La coque prend alors du volume au fur et à mesure de la mise en place du squelette, formé de pièces (membrures), qui assemblées, forment les couples. Les couples sont fabriqués et assemblés par terre, puis sont fixés sur la quille par les constructeurs qui les lient. Toutes ces actions sont suivies par la mise en séchage de la carcasse du vaisseau, exposée à l’air pendant plusieurs mois pour laisser le temps au bois de sécher et de se délester de sa sève qui entrainerait de mauvaises surprises une fois sur l’eau. Après la coque, on passe à l’étape du bordage qui est l’habillage intérieur et extérieur de celle-ci. Pour cela on passe les bordés dans une étuve, pour qu’ils épousent bien la forme de la coque. En même temps on procède au placement des ponts.

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Installation des membrures.
Source : Album de Colbert, 1670.

Après avoir fabriqué la coque, les maîtres de construction s’emploient à rendre étanche le vaisseau : c’est le calfatage. Les maîtres calfats mettent une sorte de cordage glissé entre les bordés du navire, que l’on fait tenir avec des fers frappés : c’est l’étoupe. Puis on étale un mélange de goudron. Le calfatage est fait avant de préparer la délicate opération du lancement. Le navire est mis à l’eau inachevé, sans mâture : celle-ci est réalisée lorsqu’il sera à flot dans les eaux du ports et stabilisé grâce à des lests.

La lancement d’un navire. Source : Album de Colbert, 1670.

Les maîtres de la mâture se consacrent alors à l’édification des mâts. La mâture est préparée séparément, avant le lancement du vaisseau. Pour construire le grand mât, les constructeurs assemblent plusieurs tronçons qui, reliés les uns aux autres, permettront d’atteindre la hauteur souhaitée. Pour faire monter ces mâts, ils utilisaient un système de cordage et de poulies appelé « le guindage ».

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L’installation des mâts. Source : Album de Colbert, 1670.

Enfin le navire a besoin de cordages. La fabrication des cordages se réalise dans la corderie3. Le cordage est confectionné grâce au chanvre que l’on récolte au mois d’août et qui est séché, battu, peigné puis filé. Les plus gros cordages à bord des vaisseaux sont appelés les grelins, tandis que le cordage simple est nommé aussière. Les plus gros cordages sont faits par les commetteurs dans la salle la plus vaste de la corderie (plus de 300 m de long, 10 à 12 m de large). Lorsque le cordage est terminé, les maîtres le stockent en magasin après l’avoir laissé se détendre ou se rasseoir. On se sert de ces gros cordages pour, par exemple, la manœuvre des ancres.

Rédacteur : Juarez Clément

1Le chanvre. Université Pierre et Marie Curie : http://www.snv.jussieu.fr/bmedia/textiles/11-chanvre-historique.html

2 Acerra M.,  Rochefort et la construction navale française, 1661-1815, tome 1, Paris, Librairie de l’inde, Université de Paris IV – Sorbonne, 1993.

3 Vergé-Franceschi M. (dir.), Dictionnaire d’histoire maritime, Robert-Laffont (2 vol. ss coffret), 2002.