La noblesse en crise

La crise économique et ses effets

L' archevêque d'Albi, le cardinal de Bernis

L’ archevêque d’Albi, le cardinal de Bernis

Après une période de calme, durant laquelle la région connaît une certaine prospérité, l’albigeois doit faire face à des difficultés industrielles, agricoles, sociales durant la seconde moitié du XVIIIe siècle. En 1762, les consuls d’Albi se rebellent contre la déclaration royale et l’arrêt du parlement interdisant l’enseignement de la compagnie des jésuites. Ils souhaitent le maintien des jésuites chargés du collège d’Albi mais ceux-ci seront obligés de quitter la ville et le collège ferme. Les consuls demandent alors le soutien au seigneur archevêque d’Albi, le cardinal de Bernis. Ce dernier accepte et obtient la réouverture du collège en 1768. Mais comme la compagnie des jésuites n’est plus membre de l’établissement celui-ci fermera. Il avait tout de même formé Henri-Pascal de Rochegude, capitaine des vaisseaux du roi puis député de la noblesse en 1789 et Jean-François de Galaup, comte de Lapérouse.

Le déclin de l’industrie : La région connaît surtout des soucis économiques lié à la faiblesse du commerce en 1762. Comme pour l’industrie, presque toutes les initiatives pour la relancer aboutissent à un échec. La région a ainsi voulu perfectionner la filature des laines, on a donc fait appel à une fileuse anglaise, demoiselle O’Flanegan. Elle s’installe à Albi en fin de l’année 1767 pour y former les femmes du diocèse avec les instruments perfectionnés, mais l’activité s’interrompt en 1769 car la santé de Mlle O’Flanegan décline. Le diocèse maintient l’école de filature mais le succès n’est pas au rendez-vous, alors même que la production d’étoffes de laine avait connu un renouveau durant les années 1750. Comme la région produit beaucoup de chanvre et de lin, l’archevêque souhaite implanter en 1760 une manufacture de toile à voile dans le but de fournir les ports de la Méditerranée. La qualité sera au rendez-vous mais les coûts de fabrication seront trop importants et l’initiative ne sera pas transformée en succès. C’est le sort que connaît également celle visant à développer une activité de cordage pour la marine royale. Seule demeure la manufacture de bougies qui connaît une certaine prospérité.

Coté agriculture, l’Albigeois connaît, jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, une période de prospérité qui a pour conséquence un accroissement démographique. Mais une disette de 1738 y met fin. Le milieu du XVIIIe siècle se caractérise par de mauvaises récoltes. La culture du pastel, après avoir fait la fortune d’Albi au XVIe siècle décline au XVIIe siècle à cause des guerres de religion mais aussi de la concurrence de l’indigo. De son côté, la production viticole ne constitue pas une ressource considérable pour la région bien que la valeur de la production atteigne 2 160 000 livres. Mais durant la dernière décennie de l’Ancien régime, la région toulousaine connaît une crise viticole importante, qui s’étend jusque dans la région albigeoise à tel point que les bénéfices des viticulteurs sont très faibles.

Durant la vingtaine d’années qui précède la Révolution, la misère devient très importante dans l’albigeois, pour y remédier, des quêtes publiques sont organisées, mais elles ne rapportent pas assez pour venir en aide aux pauvres. Hélas, les disettes vont se succéder très rapidement 1771, 1778, accentuées par des hivers très rigoureux comme celui de 1782-1783, qui aura pour conséquence d’augmenter le nombre de pauvres dans la capitale du diocèse.

L’ascension de la bourgeoisie

Un bourgeois est une personne exerçant un métier dans la finance, le commerce, et l’immobilier. Ses revenus lui permettent d’avoir un train de vie relativement aisé. Il peut arriver, et ce de plus en plus, qu’un bourgeois possède un revenu supérieur à celui d’un noble. En France, faire partie de la bourgeoisie est facilité par le développement de l’administration royale, qui s’appuie sur elle et surtout par le fait que les nobles soient bloqués par le principe de dérogeance qui leur interdit de pratiquer certaines activités, sous peine de déroger et donc de perdre leur noblesse, ce qui laisse des pans entiers des activités commerciales et productives à la bourgeoisie.

Les familles bourgeoises dans la région albigeoise sont nombreuses. Certaines d’entre elles s’enrichirent au XVIe et au XVIIe avec le commerce du pastel, de la laine et du chanvre. La bourgeoisie va prospérer largement par la rente, un privilège royal, et l’achat de charges anoblissantes. C’est le cas de la famille Séré de Rivière ou de celle de Galaup qui tire sa fortune du commerce du pastel.

A la fin du XVIIIe siècle la monarchie française est traversée par une crise sociale qui voit se nouer une alliance de fait des privilèges et des élites bourgeoises. Mais derrière la défense des libertés, il se cache des intérêts différents. Les uns veulent partager le pouvoir avec le roi pour faire échouer le projet de réforme fiscale qui menace les privilèges. Quant aux autres, ils demandent une égale répartition de tous les propriétaires, bourgeois comme nobles, au sein d’un régime de monarchie contrôlée.

Cette crise sociale débouche en 1789 où la bourgeoisie participe à la Révolution. On dit que la Révolution française est « bourgeoise ». En effet, cette catégorie sociale en tire les plus grands profits et se trouve propulsée à la direction politique du pays.

Le devenir de la noblesse après la Révolution

Une fois la mise en place de nouvelles institutions, l’albigeois continue à connaître des troubles de toutes natures. Cette dernière a aussi des difficultés politiques et économiques, dans cette situation, certains nobles d’Albi étaient hostiles à l’orientation du régime et décidaient d’émigrer.

L’émigration de la noblesse albigeoise n’est pas importante, on dénombre seulement dix émigrés1. Ces derniers n’ont pas émigré au début de la Révolution, contrairement à une partie de la noblesse française qui fuit la France. Si aucun noble d’Albi n’a fui c’est parce que les événements de l’été 17892 ne les avaient pas affectés. De plus, les décrets, ne les gênant pas, sur l’abolition de la féodalité puisque beaucoup avaient déjà renoncé à une partie de leurs droits.

C’est à partir de juin 1791 que l’on constate des premières émigrations mais c’est surtout en 1792 que le phénomène va s’amplifier. On en dénombre deux types : l’une est spontanée, l’autre est ordonnée. Certains sont contraints de partir, comme les prêtres réfractaires aux idées révolutionnaires. En effet, d’après la loi du 26 août 1792, tous les prêtres réfractaires devaient quitter le territoire. De tous les nobles qui émigrent certains vont dans les pays voisins comme l’Allemagne, l’Italie, la Suisse, l’Espagne, et l’Angleterre. Nous avons comme exemple Georges Séré de Rivière, à Coblence (Allemagne) où il entre dans l’armée commandée par le Prince de Condé, c’est le seul noble d’Albi a avoir participé à la contre-Révolution3.

La plupart des nobles sont restés à Albi, mais cela ne signifie pas qu’ils adhéraient au nouveau régime, bien au contraire. Si le marquis de Rochegude a suivi la Révolution, la plupart des nobles sont restés à l’écart et il reste une exception. Le marquis défend les idées libérales, ainsi lors d’un « congrès patriotique des sociétés des amis de la constitution » à Castres en 1792, où il prononce un discours dont les expressions patriotiques sont remarquées. Il devient député du Tarn mais il ne vote pas la mort de Louis XVI, exécuté le 21 janvier 17934. En août 1795, il n’y a plus une mais deux assemblées législatives : le conseil des Cinq Cents et le Conseil des Anciens. Le marquis de Rochegude est alors élu au conseil des Cinq Cents en août 1795. Au moment de la prise de pouvoir par Napoléon, il renonce à la politique et se réfugie dans la littérature et s’attache à enrichir sa bibliothèque. Les autres nobles sont moins impliqués dans la vie politique.

Durant cette période la situation matérielle des nobles change au point qu’une grande majorité subi des privations. C’est particulièrement vrai pour les parents d’émigrés. Une grande série de lois diminuent considérablement la fortune des nobles, notamment l’article 55 de la loi du 28 mars 1793. La loi du 7 décembre 1793, promulgue la saisie des biens des suspects (étaient suspects ceux qui n’étaient pas loyaux, et par cela qu’on donné des certificats de civisme)5.

Eléonore BROUDOU (épouse de Lapérouse)

Eléonore BROUDOU (épouse de Lapérouse)

Concernant la famille de Galaup et Lapérouse, la mère de Jean-François, Marguerite de Rességuier, meurt le 14 juin 1788 dans l’ignorance du naufrage de son fils. En revanche, Éléonore Broudou quitte Albi pour Paris, elle s’installe chez Madame Pourrat une amie intime du couple Lapérouse qui l’accueille en 1789. Elles vécurent ensemble sous la révolution et sous l’empire jusqu’à la mort d’Éléonore en 1807. Éléonore ne participe pas la Révolution. L’une des deux sœurs de Jean-François, Victoire de Galaup (1758-1793) épouse Bernard Louis de Barthés, ils vivent tous deux à Albi et à Réalmont sans participer à la Révolution. L’autre sœur, Jaquette de Galaup (1742-1824) épouse Pierre Antoine Dalmas de La Peyrouse, ils vivent dans le Rouergue6.

Se repérer : Chronologie

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1 Antoine-François de Boyer (ancien colonel), Victor-François-Joseph de Boyer (chamoine à saint Cécile d’Albi), Maurice-François-Ignace de Boyer (chamoine), Dominique Brunet de Panat (ancien capitaine du régiment d’Artois et maréchal de camps), Jean-Antoine-Joseph-Barbe David de Lagauterie (profession inconnue), Claude-Marie Gardés d’Azerac (profession inconnue), Charles-Hyacinthe Marliaves (prêtre), Jean-Louis Séré de Rivière (vicaire général du diocèse de Carcassonne), Georges Séré de Rivière (capitaine du régiment dauphin d’infanterie), Gaspard de Vézian

2 La Grande Peur

3 ROUX Christine, Consommation et style de vie de la noblesse albigeoise à la fin de l’Ancien Régime, mémoire de maîtrise, Toulouse II, 1972

4 ROUX, Christine, op.cit.,p 18

5 Ibidem

6 Raymond d’Azémar, Lapérouse et sa famille en Rouergue et en Albigeois, Atelier graphique saint Germain, Albi, 1992, 510 p.