Etre noble à Albi

Les chiffres

Quel est le poids démographique de la noblesse par rapport au reste de la société ? Prenons d’abord le cas de la France sous l’Ancien Régime. Au XIVe siècle, selon le médiéviste Philippe Contamine, la noblesse compte pour 1 % à 2 % de la population, ce qui donne un chiffre situé entre 40 000 et 50 000 familles1. Plus tard, au XVIe siècle, l’historien Jean-Marie Constant fixe une fourchette qui se situe entre 20 000 et 30 000 chefs de feux2, ce qui correspondrait à 100 000-150 000 personnes. Philippe Contamine avance un chiffre de 250 000 personnes, quant à Lucien Bely, historien de l’époque moderne, il évalue l’effectif nobiliaire autour de 120 000 à 200 000 personnes. Pour la période du XVIIIe siècle, on peut avancer, au début des années 1700, un chiffre autour de 234 000 individus. Mais ce siècle préfigure un déclin, car l’ordre tend à se fermer de plus en plus. En effet, à la veille de la Révolution, il tombe à 140 000 personnes pour 27 millions de Français, ce qui change considérablement le poids démographique que représente l’ordre nobilaire dans la société.

En ce qui concerne la ville d’Albi, située en province, elle abrite bien une noblesse installée depuis le XVIe siècle et qui perdure dans ses activités diverses. La population albigeoise compte environ 8 000 habitants au début du XVIe siècle3. Plus tard, le recensement effectué en 1790 nous indique l’existence de 10 294 Albigeois. Les sources montrent qu’il est difficile de trouver un nombre précis des effectifs nobiliaires. Il semblerait qu’il y ait une centaine d’habitants appartenant à la noblesse languedocienne au milieu du XVIIIe siècle4. Selon Dominique Rech, la proportion des nobles albigeois varie entre 1 % et 1.5 %5, ce qui est quasiment le même pourcentage qu’en France. Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, on compte trente-huit familles nobles vivant à Albi : treize titrées dont quatre marquis, trois comtes, deux barons et quatre chevaliers, et vingt-cinq familles d’écuyers nobles6. Parmi eux, les Galaup, les Reynes, ou encore les Delecouls.

Une noblesse de type provincial qui vit dans des lieux de prestige

La noblesse albigeoise vit dans des lieux qui lui sont propres. Depuis le XIVe siècle, la ville d’Albi est marquée par une organisation spatiale qui ne connait pas de modifications jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Elle est basée sur des découpages, ce sont les quartiers ou des gaches, dont le nom est celui d’une paroisse ou d’un lieu-dit. Ce découpage permet aux élites de se hisser en haut du pouvoir municipal. Il n’existe pas de zone spécifique qui regroupe toutes les fortunes. Pourtant, on peut apercevoir des quartiers plus riches comme le Vigan et le Verdusse qui abritent de grands hôtels particuliers7. L’hôtel Fenasse, situé à l’angle de la rue Saint-Etienne, appartient à une riche famille albigeoise. Cette propriété a d’abord été habitée par Guillaume Fenasse, usurier et banquier, puis elle est passée à Béraud de Fargues, frère de l’évêque d’Albi puis à Pierre-Raymond de Rabastens, sénéchal de Toulouse. En 1791, l’hôtel est cédé à Etienne Lacombe, un négociant8. Ce regroupement d’élites crée dans la ville une certaine hiérarchie sociale qui structure l’espace.

La maison Enjalbert située rue des Pénitents à Albi

Les Albigeois les plus riches sont aussi présents dans la ville que dans la campagne alentour dans les châteaux ou gentilhommières, situés dans un rayon de 20 kms autour d’Albi. Dès le XVe siècle, la terre attire les gens fortunés qui s’approprient des domaines. C’est le cas des de Galaup qui possèdent le château du Gô ou des Metgé, propriétaires du château des Avalats. Ainsi, 15 des 38 familles nobles vivent dans des châteaux à la campagne. Ils les ont acquis par la possession de certains fiefs nobles. Mais à partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, les bourgeois leur font de la concurrence dans l’achat de terres. La vie à la campagne attire : loin du rythme de la ville, on occupe ses journées par la chasse et la pêche, on rend visite aux châteaux voisins11.

La vie quotidienne d’un noble : un style de vie particulier

Education et savoir : Au XVIIIe siècle, la vie culturelle est en plein essor. L’instruction met cependant du temps à toucher toutes les couches sociales. L’éducation va prendre de l’ampleur chez les élites, à la ville comme à la campagne. Les progrès de l’écriture et l’accession aux livres permettent aux hommes de développer leurs connaissances.

Le savoir fait pleinement partie de la vie quotidienne des nobles qui se sont alphabétisés bien avant les autres couches sociales. A Albi, certains d’entre eux comme Lapérouse, ont suivi leurs études secondaires dans le collège des jésuites (Voir les pages dédiées sur le site).

Chez les jeunes nobles, l’éducation est primordiale pour ceux qui se préparent à l’armée. Au sein des écoles militaires, ils reçoivent un enseignement rigoureux : une sévère préparation physique et l’étude des disciplines scientifiques comme les mathématiques, le dessin, et la géographie. C’est ainsi que Jean-François de Lapérouse entre à l’âge de 15 ans à l’Ecole de la Marine, à Brest (Voir les pages dédiées sur le site).

L’éducation des filles est différente. Elles sont initiées à un ensemble de valeurs propres à la bonne société et aux critères de genre de l’époque, qui fixent les règles de l’éducation qu’elles reçoivent en fonction du rôle qui leur est assigné dans la société. On leur apprend à se comporter dans l’obéissance, la générosité, la discrétion et l’humilité, afin qu’elles acceptent leur place subordonnée à celle des hommes, leur statut de femme, mariée, de mère de famille, de bonne ménagère qui dirige des domestiques. L’éducation des filles est aussi en lien avec la religion, l’apprentissage peut se faire au couvent où elles doivent apprendre d’écriture, la lecture, le calcul et des activités pratiques comme les travaux ménagers et l’établissement des quittances12.

Religion et croyances : la religion est présente dans la vie de tous les individus, de leur naissance jusqu’à leur mort à travers des sacrements tels que le baptême, le mariage, ainsi que des célébrations et des messes. La sensibilité générale à la religion est indéniable. Au XVIIIe siècle, plusieurs mouvements religieux se font face. Le catholicisme domine toujours mais l’unité religieuse a du mal à se rétablir depuis la révocation de l’édit de Nantes en 1685. On observe à partir du XVIIe siècle plusieurs courants spirituels qui émergent chez les élites. Le mouvement conduit par Thérèse d’Avila, orienté sur la prière silencieuse et l’adoration du Christ, connait un grand succès dans les milieux aisés. En même temps, un autre courant spirituel se développe, fondé par Cornelius Jansen, et rencontre un essor dans les milieux cultivés, surtout dans « la robe », c’est le jansénisme13. Il attire les parlementaires qui y voient un moyen de s’opposer à la monarchie absolue. Dans la noblesse albigeoise, tout le monde n’est pas catholique. Plusieurs familles sont protestantes, comme les de Castelpers, qui se sont convertis pour échapper à la répression14. 10 % des nobles ont une vocation religieuse. Ce sont avant tout des hommes, cadets de familles qui ont été fortement incités par leur père à embrasser cet état. Ils continuent néanmoins à vivre avec les même pratiques que les autres nobles15. Parallèlement, le XVIIIe siècle est un siècle où la déchristianisation commence son chemin, le sentiment religieux perd de son importance car il devient un problème d’ordre politique.

Le vêtement est un bon moyen de représentation dans la hiérarchie sociale. En effet, l’apparence et l’habit permettent de reconnaître le rang d’une personne. Il existe une mode vestimentaire initiée par le roi et la cour mais elle se diffuse en décalage au sein de la noblesse du Midi qui vit dans une région éloignée de Paris. La noblesse cherche à se distinguer en adoptant une garde-robe caractérisée par l’élégance et l’abondance. Le vêtement permet de voir que l’on appartient à la haute société.

En ce qui concerne les hommes, l’habit est généralement constitué d’un justaucorps16, d’une veste, d’une chemise17, d’une culotte18, mais aussi de bas, de chapeaux. Les chaussures sont des souliers vernis à boucle. On ne porte plus la fraise au XVIIIe, elle est remplacée par la cravate. De plus, selon qu’il exerce un office dans la judicature, ou qu’il soit ecclésiastique ou professeur, un noble doit porter la robe qui est de longueur variable. La mode est aux coloris foncés et pour souligner l’élégance, on utilise pour les boutons de l’argent et de l’or. Certains hommes portent l’épée, symbole des vertus guerrières de l’Antiquité.

Pour les femmes, l’apparence est encore plus primordiale. La robe constitue essentiellement le costume féminin, elle se porte très ample. C’est le tissu du vêtement qui représente la richesse. Les femmes riches utilisent du tissu de luxe comme le velours, le satin, le taffetas et la soie. Le panier19 est introduit au début du XVIIIe siècle20, il permet de dessiner une silhouette aux femmes de la forme d’une cloche avec une taille très fine soulignée par le corset. Par dessous, les femmes portent une longue chemise blanche et un jupon servant à soutenir le sous la jupe. Pour se chausser, elles portent des mules en soie ou des escarpins très inclinés. Le fait de s’habiller dans le luxe ne traduit pas d’autres buts que de montrer de sa famille l’image la plus honorifique, flatteuse. En guise de coiffure, les femmes comme les hommes, portent une perruque blanche en queue ou en bourse qui peut s’accompagner d’un chapeau en tricorne noir21.

1 FIGEAC Michel, Les noblesses en France, Paris, Armand Colin, 2013

2Le feu désigne un ensemble de personnes vivant dans un même foyer. Avant 1789, il sert d’unité de base pour la répartition de l’impôt. (source : Larousse.fr)

3BIGET Jean-Louis, Histoire d’Albi, Toulouse, Privat, 1986, p. 93

5RECH D., La noblesse albigeoise dans la seconde moitié du XVIIIe siècle

6RECH D., Ibidem

7Ils ont été acquis pour la plupart par des riches marchands de pastel.

9CATINOT-CROST, L., Albi de A à Z, Alan Sutton, 2011, page 21

Il appartient à la famille Gorsse, attestée depuis 1433 à Albi. François Gorsse fut le premier consul en 1561. Agnès de Gorsse, anobli en 1737, fut trésorier général de France. Quant à Jean-Louis-François-Raymond Gorsse, il fut maire d’Albi en 1908.

10CATINOT-CROST, L., ibidem

11RECH D., op cit

12 Document certifiant que l’on s’est acquitté d’une dette.

13 Doctrine chrétienne hérétique selon laquelle la grâce du salut ne serait accordée qu’aux seuls élus à la naissance. Elle exige une extrême austérité, un rigorisme inflexible dans les principes, la piété et la morale.

14 RECH D. , op. cit.

15 Ils se battent, reçoivent en salon et jouent.

16 Vêtement à manches qui descend jusqu’au genou et qui sert la taille

17La chemise est en général de toile blanche de Rouen

18Vêtement qui couvre le corps de la ceinture jusqu’à une hauteur variable sur les jambes. Il est généralement de couleur sobre (gris ou noir)

19C’est un sous-vêtement qui soutient la jupe

20GARNOT Benoit, Société, cultures et genres de vie dans la France Moderne, XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Hachette Education, Carré Histoire, 1991.

21RECH Dominique, op cit.