La franc-maçonnerie
La franc-maçonnerie fait son apparition en 1717 en Angleterre. C’est une organisation : « fondée à l’origine sur la croyance en Dieu (grand architecte de l’univers) mais aussi sur la tolérance religieuse, elle se donna pour but à travers la création d’une association secrète, d’enseigner aux initiés des principes de fraternité et de progression spirituelle. »1
L’historien Michel Taillefer qui a étudié les archives maçoniques, considère que les loges sont principalement des lieux de rencontres utiles, où on s’adonne à divers rituels et où l’on parle de politique. C’est aussi un lieu où on se livre à des activités intellectuelles. Pour lui, la franc-maçonnerie a été fidèle aux valeurs traditionnelles par sa fidélité religieuse, son loyalisme politique et n’a été qu’un élément de diffusion parmi d’autres des idées nouvelles. Elle apparaît en France en 1725, mais ce n’est qu’à partir de 1744 à 1787 que l’on observe dans l’Albigeois une implantation de loges malgré l’interdiction de la franc-maçonnerie par le Saint-siège à Rome en 1738. On en trouve deux à Albi, une à Castres, une à Gaillac et une à Sorèze. La plus ancienne est la loge de Saint-Jean implantée le 6 novembre 1744 par le comte de Clermont grand maître de la loge de France. Elle fut dirigée par le marquis de Castrie en 1744, personnage d’influence du paysage albigeois au XVIIIe siècle, puis en 1752 par le chevalier Gaillard de Labarthe. En 1765, ses activités sont stoppées par la mort d’une grande partie des membres. Elle ouvre de nouveau ses portes en 1776, et est renommée « La parfaite Intelligence » en 1778. Pour sa réouverture officielle par le grand maître le marquis de Panat, elle compte 75 membres dont 53/75 appartenant à la noblesse soit 70 %. On y retrouve notamment Joseph Delecouls et Victor de Galaup, père du célèbre navigateur Jean François de Lapérouse. On peut donc dire en se référant à la moyenne nationale qui était entre 15 et 20 % que la noblesse de l’Albigeois a été très influencée par la franc-maçonnerie porteuse d’idées nouvelles, véhiculées à la base par le mouvement des Lumières. La franc-maçonnerie dans l’Albigeois avait donc un rôle très important car elle regroupait les élites, à savoir des marquis comme le Marquis de Panat ou encore des comtes avec monsieur de Sourjac et monsieur de Bosc ainsi que de nombreux gradés de l’armée. On peut également noter la présence de Victor de Galaup, père du navigateur Jean Francois de Lapérouse, qui était pourtant très marqué par la pratique religieuse traditionnelle, mais faisait partie de cette confrérie, pourtant condamnée par le Vatican, ce qui prouve l’influence qu’elle pouvait avoir sur les individus. Chez les Galaup, Jean François de Lapérouse a dans les pas de son père rejoint en 1779 une loge située à Brest « Heureuse rencontre ». Cela montre que la franc-maçonnerie pouvait être d’importance familiale et pas seulement isolée, elle marque réellement la société et ce, parfois, de génération en génération.
A l’époque la franc-maçonnerie concorde avec la présence de grands foyers d’influence, de diffusion de l’Encyclopédie de Diderot et D’Alambert, qui est un symbole caractéristique des Lumières. On observe dans le Tarn, à Castres, pas moins de vingt souscriptions à l’Encyclopédie. Dans le même registre on observe de 1779 à 1784 l’apparition de sociétés littéraires et de chambres de lecture aux alentours de Castres. Les loges maçonniques entrent dans cette catégorie comme l’explique de nombreux intellectuels, tels que Michel Taillefer. Elles ont donc eu un rôle prépondérant dans la diffusion des idées des Lumières et dans la montée en puissance des mouvements révolutionnaires grâce notamment à leur enseignement.
L’imprimerie et les sociétés littéraires
Les sociétés littéraires ou lieux de rassemblement entre personnes « de bonne condition » ont été très importantes au XVIIIe siècle car elles représentaient des lieux d’échanges d’opinions, de réflexion sur des sujets très variés. Dans certains cas, leur rôle a été déterminant, vis-à-vis des évènements de 1789 car elles ont ouvert les élites aux idées des Lumières.
L’Albigeois a vu passer au XVIIIe siècle de nombreux intellectuels comme Antoinette de Salvan Salies (1638-1730), grande femme de lettres. Elle a dominé le paysage littéraire albigeois avec la publication de lettres et de poèmes dans des organes tels que le Mercure Galant, le Journal des Savants et le Parnasse francais. Antoinette de Salvan était une femme très impliquée dans la vie littéraire mais aussi sociale, c’est ainsi qu’elle a l’idée de fonder des groupes de discussion, de réflexion dont le premier s’intitule « projet de nouvelle secte de philosophie en faveur des Dames » en 1681. Après avoir été admise à l’académie des Ricovrati de Padoue en 1689, elle et considérée comme la cinquième muse française et elle décide de fonder en 1704 une société littéraire qui devient officielle sous le nom de « Société des Chevaliers et Chevalières de Bonne Foi ».
Au cours de sa vie elle fait de son salon un lieu de rencontre important entre puissants d’Albi et du Tarn tels que les archevêques, les nobles et des écrivains à succès, ce qui renforce l’importance de ces sociétés littéraires au XVIIIe siècle. D’autres hommes et femmes ont marqué ce siècle par leur regard nouveau sur la société tel que Mme de Boyer, ou encore le marquis Henry Pascal de Rochegude (1741-1834). Ces deux personnages ont en commun un intérêt très important pour les livres.
Mme de Boyer est une femme riche faisant partie de la noblesse provinciale et vit dans un hôtel somptueux. Elle organise très fréquemment des après-midis ou des soirées entre amis. Elle possède un fort intérêt pour la musique. C’est une femme marquée par la pratique religieuse qui a des relations privilégiées avec l’Archevêché. Cela nous montre qu’elle partageait des valeurs traditionnelles alors que, lorsque l’on observe la bibliothèque de Mme de Boyer on voit qu’elle est constituée d’ouvrages surprenants, qui semblent en phase avec le monde de la noblesse. En effet, on trouve chez elle des numéros du Mercure Galant qui à partir de 1758 prit un nouveau chemin en publiant des articles de Voltaire, D’Alembert ou encore Condorcet. Mais cela ne s’arrête pas là, en effet en 1781 elle achète « l’histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens avec les deux Indes » ainsi que le symbole le plus connu du mouvement des Lumières, L’Encyclopédie.
Henry Pascal de Rochegude est né à Albi en 1741. De 1759 à 1788 il se consacre à la marine dont il devient l’un des capitaines de vaisseaux en 1780. En 1788 il quitte la marine pour regagner Albi et se lancer dans une carrière politique, ce qui va lui réussir remarquablement bien puisqu’il devient un des personnages les plus importants des Etats généraux d’Albi en 1788. Par la suite, il devient une figure influente du paysage albigeois en gagnant le soutien de la population. Il participe activement à la rédaction des cahiers de doléances de la ville d’Albi. Puis, il est élu maire d’Albi et député du Tarn. En 1792, il siège au procès du Roi et vote en faveur d’un jugement par le peuple. La question que l’on peut se poser, c’est concerne l’adhésion d’un noble à certaines des idées révolutionnaires, jusqu’à renoncer à ses titres et condamner le roi à la prison à vie ? L’explication est simple si l’on veut bien observer l’importante bibliothèque personnelle de M. de Rochegude. En effet, on trouve dans cette bibliothèque de nombreux ouvrages philosophiques comme l‘Encyclopédie, pas moins d’une quinzaine d’ouvrages de Voltaire, de Rousseau et de Condorcet.
L’imprimerie a donc eu un rôle très important car elle a permis la diffusion d’un très grand nombre d’ouvrages philosophiques dans l’ensemble du pays et donc la sensibilisation des élites. Celles-ci étaient pratiquement les seules à pouvoir accéder à ces livres qui prônaient le changement social. C’est grâce à elle que la noblesse provinciale loin de la capitale a pu être imprégnée par une partie des idées des Lumières à travers l‘Encyclopédie ou des journaux comme « Le Mercure Galant ». Au même titre que l’imprimerie, les sociétés littéraires comme celles d’Antoinette de Salvant de Salies et la franc-maçonnerie ont permis le dialogue entre les personnalités influentes et, de ce fait, la prise de conscience d’une partie de la noblesse de la nécessité d’un profond changement social tel que nous le prouve notamment la vie de M. de Rochegude.
Qu’en-est-il du clergé, de la noblesse, et du tiers-état au temps de la révolution ? A partir de 1788 une forte correspondance s’établit entre les différentes villes du royaume, suite à l’annonce des Etats Généraux, proclamés par le roi pour trouver des solutions face à l’endettement très important du pays. Des cahiers de doléances sont rédigés un peu partout en France afin de rendre compte de la situation sociale et économique de la population. On peut noter qu’à Albi le marquis de Rochegude participe activement à la rédaction des cahiers de doléances du peuple albigeois. Et c’est précisément le fait que le tiers-état n’ait que le pouvoir de rédiger ses cahiers et non celui de siéger lors des états généraux qui va provoquer des débordements dans plusieurs villes (prémices de la Révolution de 1789). C’est le début de la réflexion du peuple sur la mise en place d’un nouveau système social et politique plus égalitaire entre les différents ordres qui composent la société.
Depuis le XIIe siècle la ville d’Albi est dirigée par l’évêque qui possède tous les éléments de la souveraineté, c’est à dire : la main de justice, le droit de glaive, les finances, le droit de mobilisation de l’ost… C’est le pouvoir temporel. L’évêque en tant que seigneur de la ville d’Albi, reçoit les serments d’allégeances des consuls ainsi que des preuves de réjouissance de la part de la population lors de sa nomination. Il exerce une autorité très importante grâce aux officiers de la temporalités que sont : un juge, un régent,un lieutenant général, un procureur juridictionnel et un greffier. Les officiers de la temporalité assistent à toutes les réunions communales afin de veiller que rien ne soient dit ou fait, pouvant porter atteinte à l’archevêque ou au roi. Tous les archevêques d’Albi au XVIIIe siècles furent des personnages importants, charismatiques comme le marquis Armand Pierre de la Croix de Castries(1719-1747) ou encore celui qui connu la révolution, le cardinal Francois Joaquime de Pierre de Bernis, qui reçoit l’archevêché d’Albi en 1764. On peut donc dire que c’est l’ordre du clergé qui dominait la société albigeoise jusqu’à la fin du 18e siècle du fait de son influence majeure dans l’ensemble des domaines politiques, économiques, sociaux, et militaires de la ville. En revanche à partir de 1785, on assiste a un bouleversement avec le mouvement des Lumières qui accule l’Eglise et la remet en question. Ainsi le cardinal de Bernis écrit : » Je voudrais bien finir ma vie sans être témoin de la révolution qui menace le clergé et la religion »2. En 1789 la réunion des trois ordres à Albi se fait sans la présence du clergé, ce qui montre la remise en cause du pouvoir clérical par la population. On observera par ailleurs, une chose qui représente un vrai changement pour l’Albigeois, c’est la perte de tous ses titres pour le cardinal de Bernis ainsi que tous ses bénéfices lors de la Révolution, ce qui va, malgrè la présence toujours importante du clergé dans l’Albigeois porter un coup non négligeable à l’influence, au pouvoir de l’Église. En ce sens, on observe une augmentation des procés contre le clergé de la part des consuls qui profitent de l’affaiblissement du pouvoir de l’Archevéché pour sortir de l’ombre et exercer pleinement leur rôle c’est-à-dire représenter le peuple puisque les consuls sont nommés dans la population, en fonction de leur profession pour créer des groupes par exemple d’artisans, d’avocats afin que les intérêts de chaque profession soient défendus.
C’est à travers la rédaction des cahiers de doléances que va véritablement transparaître la situation du tiers-état à Albi en 1789. Cet ordre peu influent alors qu’il représente la majorité de la population en France va être le levier du changement. Les cahiers de doléances d’Albi montrent clairement le mécontentement de cette partie de la population vis-à-vis des impôts et surtout de la dîme prélevée par l’Église, tout comme l’absence de loi qui permettrait aux villes et aux communautés de procéder à la libre nomination et élection des officiers municipaux. Les correspondances entre villes s’accentuent durant la période et la municipalité d’Uzès adresse le 20 novembre une lettre aux consuls d’Albi disant qu’il faut que les communautés de provinces réunissent leurs efforts pour accroître l’inflence du tiers-état.
Les thèmes abordés durant la réunion visent tout les aspects de la société. En effet, dans un objectif d’une meilleure égalité entre les ordres, le rôle et le pouvoir de chacun sont observés rigoureusement. Ainsi, les consuls débattent de la réprésentation du tiers-état dans les lieux ou s’exerce le pouvoir et sur leur chances d’accéder à des postes importants au sein des institutions politiques et économiques. Le clergé prépondérant en Albigeois est aussi la cible de questions sur des sujets comme l’organisation des diocèses et les impôts qu’il fait peser sur la population. La réunion va aboutir sur sept articles qui fondent de nouvelles bases sociales, on note par exemple que le tiers-état devra avoir au moins un nombre égal de députés à ceux de la noblesse et du clergé réunis. C’est un évènement très important dans l’histoire de l’Albigeois, car pour la première fois on voit le mot égalité associé au trois ordres dans un texte officiel.
Ainsi, la noblesse perd de son pouvoir au même titre que le clergé ; les impôts comme la taille sont abolis, ce qui porte un coup à la noblesse qui vit en partie des impôts prélevés sur la population mais ce n’est pas tout, on assiste à la fin des privilèges fiscaux et juridiques. Dès lors, les nobles peuvent être jugés par les juridictions consulaires et non plus seulement par leurs pairs. C’est également la fin des exemptions comme le devoir de milice ou encore les banalités, ce qui représente un énorme changement car tout cela caractérisaient la noblesse depuis des siècles. Le tiers-état sortant de l’ombre met fin à la toute puissance de la noblesse. On obseve que cela sort clairement à travers l’article 31 du cahier des doléances de la ville : » le contrat social et le droit naturel, maxime confirmée par le principe convenu qu’il ne peut être levé aucun impôt sur les peuples sans leurs consentement ». Il y a aussi, concernant la noblesse, la perte d’un privilège ancien et honorifique qui était que l’ordonnance militaire exigeait de faire preuve de noblesse pour s’engager, la noblesse d’épée faisait de ce droit exclusif son identité. La Révolution de 1789 va entraîner la saisie des biens de l’Église ainsi que de beaucoup de nobles, certains vont fuir le pays. Dans l’Albigeois, cela concerne les familles Teyssière, Rivière et Panat qui émigrent pour ne pas risquer la prison, à l’image de Charles Gardès D’Azérac et de sa soeur Lucie qui sont mis derrière les barreaux : » pour ne pas avoir manifesté d’attachement au nouveau régime« 3. D’autres nobles comme le marquis de Rochegude, et la famille de Vézian, vont abandonner tous leurs titres et vont s’engager dans le processus de refondation de la société en collaboration avec le tiers-état, leurs actions leur permettent d’obtenir des certificats de civisme pour » leurs conduites républicaine et patriotique ainsi que pour leurs sacrifices ».
La Révolution dans l’Albigeois s’est passée relativement pacifiquement puisqu’il n’y a pas eu de pillages ou d’affrontements violents du fait de l’attachement sans faille de la ville à la Révolution. Cette dernière s’est faite de façon organisée pour limiter les agitations qui auraient pu perturber l’ordre public. Finalement, on peut dire que la Révolution a rendu la souveraineté au tiers-état et, comme le montrent les cahiers de doléances de la ville d’Albi, on observe une volonté de fondre les élites sociales dans la « masse », la volonté de créer une société égalitaire en adéquation avec les idées des Lumières qui auront eu une influence marquée dans l’Albigeois au XVIIIe.