Les origines
Au début du XVIe siècle, les Européens voient un grand intérêt dans le commerce maritime, car les nouveaux produits qui affluent en Europe (le tabac, le maïs, le cacao, le sucre de canne, …) sont appréciés. La France, comme l’Espagne, le Portugal, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, a cherché à conquérir des terres lointaines et à acquérir des biens nouveaux. Elle voulait s’enrichir en développant le commerce. Pour cela, elle a créé des comptoirs commerciaux, notamment en Inde, et fondé des colonies sur les cinq continents. Le domaine colonial de la France s’est ainsi constitué en plusieurs siècles.
Au XVIIe siècle, c’est durant le règne de Louis XIV (roi de 1643 à 1715) et sous l’influence de Jean-Baptiste Colbert, que la France développe son commerce maritime, principalement avec les Indes orientales pour les épices ou les étoffes via les ports de Rouen et de Marseille. Colbert organise une imposante flotte de guerre et de commerce pour favoriser les échanges commerciaux. Il est à l’initiative de la création des premières compagnies maritimes et favorise le développement des colonies où sont cultivés des produits qui manquent à la métropole tels que sucre, café, tabac, colorants,…
La première compagnie maritime française est créée en 1664. Il s’agit de la Compagnie française pour le commerce des Indes orientales, plus connue sous le nom de Compagnie des Indes orientales. Elle est destinée à concurrencer la Compagnie anglaise des Indes orientales, créée en 1600, et la Compagnie hollandaise du même nom, fondée deux ans plus tard. La compagnie française veut avoir le monopole sur certains produits tels que le coton, la soie, le thé et les épices. Pour faciliter le commerce avec les continents lointains, elle installe des comptoirs commerciaux, dont le premier, créé en 1674, se situe à Pondichéry, en Inde.1
Depuis l’Europe, on ne peut accéder au Pacifique par l’Ouest qu’en contournant l’Amérique par le Sud, soit en passant par le détroit de Magellan, tenu par les Espagnols, soit en passant plus au Sud encore, par le Cap Horn. Pendant et juste après la guerre de Succession d’Espagne, les Français alliés à l’Espagne purent envoyer des navires commercer dans les mers du Sud, c’est-à-dire dans les ports du Chili et du Pérou en passant par le détroit de Magellan. Entre 1702 et 1717, plusieurs dizaines de bateaux, armés notamment à Saint-Malo et à Marseille, pratiquèrent ainsi un fructueux « commerce des mers du Sud » ; plusieurs d’entre eux traversèrent même le Pacifique et regagnèrent la France par l’Est.
Sur le plan commercial, les voyages des mers du Sud permirent d’énormes bénéfices, en particulier dans la période de guerre (1702-1713).²
Au début du XVIIIe siècle la France effectuait une part importante de son commerce maritime dans l’océan Indien. Mais elle n’est pas la seule à faire du commerce maritime dans les Mers du Sud. En effet l’Espagne est très présente dans l’océan Pacifique et l’Angleterre et les Néerlandais, comme la France, ont des colonies et des comptoirs dans l’océan Indien.
Un exemple : la culture du café sur l’île Bourbon
La Compagnie des Indes Orientales, créée en 1664, constitua tout un réseau de colonies et de comptoirs. L‘île Bourbon devient ainsi une escale de la Compagnie. Mais étonnamment, celle-ci ne s’y intéressa que progressivement. En effet, durant de longues années, rien ne fut engagé pour développer économiquement l’île et faire en sorte qu‘un si petit espace ne soit pas qu‘une simple escale dans l’océan Indien. De 1664 à 1674, l’île se limitait à une simple remise. Puis, suite au renoncement des projets sur Madagascar (1669), l’île Bourbon se révéla être le seul point d’attache de la Compagnie dans l’Ouest de l’océan Indien.
C’est Foucherolles qui fut le premier directeur de la Compagnie des Indes à porter un réel intérêt à l’île. C’est en partie grâce à lui et à son « Mémoire sur l’Isle de Bourbon » (écrit en 1710) que l’île cessa d’être considérée comme une simple escale. En 1710, les malouins envoient quatre vaisseaux pour la première fois vers les Indes. Au cours d’une excursion dans les environs de Saint-Paul (ville située à l’Ouest de l’île Bourbon), ils s’aperçurent que l’île possédait un caféier indigène.8 Sa mise en culture avec des plants adultes transférés depuis les forêts vers les pentes douces de la côte s’avéra toutefois un échec.9
Le 31 octobre 1714, une lettre du roi Louis XIV fut remise à M. de la Boissière, commandant l’Auguste, qui partait pour la mer Rouge avec mission d’aller chercher des plants du caféier arabique.10 Les ordres du roi étaient de charger la plus grande quantité possible d’arbres produisant du café, pour qu’ils soient remis au gouverneur de l’île Bourbon qui devait les faire planter et cultiver.11 M. Imbert, agent de la Compagnie, se procura donc soixante pieds d’arbres caféiers pour les embarquer à l’île Bourbon. 12
La culture du café va progresser très lentement et avec quelques difficultés. Ainsi à la fin de 1717, la Compagnie fût informée que sur les six plants de caféier apportés de Moka à Bourbon en 1715, deux seulement avaient repris. Les habitants exprimaient une attitude passive à l’encontre de la culture du café et La Compagnie estimait que la résistance des colons devait être combattue, avec une certaine prudence mais sans relâche, afin d’atteindre sûrement son objectif : généraliser la culture du café à l’île Bourbon. Progressivement toutefois, les habitants s’investirent dans la culture du Moka puisque la Compagnie leur procurait les semences nécessaires. Une nouvelle distribution de graines fut assurée au début de l’année 1719 jusqu’en juillet de la même année. Par rapport aux semences qui n’avaient pas germé et aux plants détruits par des insectes en 1717, les plantations de caféiers augmentèrent (779 arbustes). L‘île Bourbon présentait à la fin de 1719 un total de 896 caféiers issus de Moka.
En 1735, sous l’impulsion donnée par Pierre Benoist Dumas au nom de la Compagnie, la majorité des colons de l’île Bourbon s’étaient reconvertis en petits planteurs de café. Sur toutes ses pentes, l’île s’est tapissée de caféiers, bien qu’inégalement répartis (près d’un million et demi de plants). Les profits que suscita la culture caféière, jusqu’en 1740, provoquèrent une forte progression de la population (apport de colons et traite négrière) et la création de nouveaux Quartiers (Saint Louis, Saint Pierre…). L’introduction de la culture du café transforma radicalement le développement économique de l’île Bourbon et sa structure démographique. Ainsi, en 1764, il y avait environ 25000 habitants (dont 21000 esclaves) sur l’île.
Les enjeux commerciaux du voyage de Lapérouse
L’expédition de Lapérouse était une expédition à visées politiques mais également commerciales. En effet le second volet des instructions de Louis XVI portait sur les objets relatifs à la politique et au commerce. Louis XVI était désireux de connaître la nature des forces et des échanges des nations européennes qui fréquentaient les eaux du Pacifique.3 Lapérouse parle assez souvent dans son journal de l’objectif économique de l’expédition qui était de signaler des concentrations de baleines, ou d’autres animaux marins pouvant fournir des quantités importantes de graisse pour l’industrie des bougies d’éclairage.4
Pour servir les intérêts de la France, l’expédition, à chacune de ses escales, devait étudier la possibilité de créer des établissements commerciaux s’appuyant sur les productions locales. Il lui était également demandé de recueillir un maximum de renseignements sur les établissements étrangers en cours d’installation ou de développement, et de rechercher d’éventuelles possibilités de coopérations.5
Le 2 janvier 1787, la Boussole et l’Astrolabe vinrent jeter l’ancre à Macao. Des peaux de loutre très convoitées par les commerçants chinois, furent vendues au profit de l’équipage. Lapérouse proposa alors au jeune naturaliste Nicolas Dufresne qui déjà, au Chili, lui avait fait part de ses difficultés d’adaptation, de quitter l’expédition et de rester quelques mois à Macao afin d’étudier le marché des pelleteries. À son retour en France il devait faire un rapport au ministre sur le commerce des fourrures. Dufresne accepta cette proposition et abandonna donc l’expédition.6 On sait qu’il rentra en France avec les plans et tables de routes réalisés jusque là.7
Lapérouse rendait compte des ressources en tout genre à tirer des contrées où les deux frégates abordaient. Comme ces informations relevaient du plus grand secret, ces mémoires n’étaient confiés aux escales qu’à des navires français, ainsi qu’à Barthélemy de Lesseps et au naturaliste Dufresne lorsqu’ils quittèrent l’expédition afin de regagner la France. C’est à ce dernier que les observations concernant le commerce des fourrures, essentiel aux yeux du roi et de son ministre, furent remises. Du fait des circonstances, notamment la fermeture de l’empire chinois aux fourrures occidentales, les informations transmises dans ce domaine par Lapérouse ne furent cependant pas vraiment suivies d’effet.
1 Le commerce maritime au XVIIe siècle, éditions Belize : http://www.editions-belize.com/f/fiches/CHAP02/fiche15.pdf
2 Les Européens et les Espaces Océaniques au XVIIIe siècle, Presse de l’Université de Paris-Sorbonne, Paris, 1997
3 Ferloni J., Lapérouse voyage autour du monde, Paris, Thalassa, 2005, page 15
4 Bérard P., Le voyage de Lapérouse ; Itinéraire et aspects singuliers, Un Autre Reg’Art, 2010, page 165
5 Ibid, page 16
6 Ibid, page 31
7 Ferloni J., De Lapérouse à Dumont d’Urville : les explorateurs français du Pacifique, Paris, Thalassa, 2006, page 26
8 Lougnon A., L’île Bourbon pendant la régence, page 60-61
9 Guët I., Les origines de l’île Bourbon et de la colonisation française à Madagascar , 1888, page 254.
10 Ibid, page 263.
11 Ponchartrain au capitaine de l’Auguste, au commissaire ordonnateur Lempereur et aux directeurs de la Compagnie, folio 288.
12 Guët I., op.cit, page 264
Rédactrice : Alet Angeline