La genèse des écoles de la Croix-Rouge jusqu’en 1877

L’homme a toujours eu la préoccupation de soigner les maux de ses semblables. Cependant, pendant longtemps les soins sont laissés à des prêtres ; les maladies étant vues comme des punitions divines. Les métiers de ce que nous appelons aujourd’hui le « secteur médico-social » ne se sont structurés que tardivement dans l’histoire comme par exemple celui des  médecins dont la profession fut longtemps non réglementée.

 

De la religion à la science…
Femme médecin pratiquant une saignée
« Physician woman » pratiquant une saignée au Moyen Age

Dans l’Antiquité, dès les VIIIe et VIIe siècles avant notre ère, la religion tient une place importante dans la médecine notamment par le biais des prêtres-médecins, la guérison étant supposée être attribuée aux dieux. Cependant, ces civilisations développent une première approche scientifique de la médecine par des connaissances tirées d’observations cliniques. La création d’archives médicales et d’écoles disséminées autour de la Méditerranée ainsi que la naissance d’un courant de médecine, principalement égyptien et babylonien, lié aux plantes permet de se dégager un peu du sacré. Cette tendance se poursuit jusqu’au VIIe siècle où les premiers hôpitaux gérés par le clergé apparaissent. Par exemple, l’hôtel-Dieu de Paris est fondé en 651 par l’évêque saint Landry.

Si jusque-là, les connaissances en médecine restent pauvres, la Renaissance insuffle un vent de renouveau avec l’éveil de l’esprit scientifique au travers d’avancées notamment en connaissances anatomiques et chirurgicales. Il est aussi important de signaler la création d’un ordre hospitalier avec l’émergence d’une population soignante. L’ordre des Hospitaliers de Saint Antoine est ainsi créé à Saint-Didier-de-la-Mothe, et approuvé au concile de Clermont par Urbain II en 1095. Il compte 369 hôpitaux en France à la fin du XVe siècle. D’autres ordres hospitaliers développent également leurs réseaux, comme l’ordre hospitalier de Saint-Jean-de-Dieu. Cet ordre naît en Espagne et arrive en 1609 à Paris, où il reçoit pour mission de la part d’Henri IV, et de l’évêque de Paris de fonder un couvent-hôpital pour soigner les pauvres malades.

En France, suite aux succès des cours que donnent, depuis 1630, Louise de Marillacaux femmes qui s’occupent des malades ; une première formation dans la congrégation chrétienne, les « filles de la charité » ou « les sœurs de Saint Vincent de Paul », se crée en 1633. Louise de Marillac s’y consacre entièrement par un vœu solennel le 25 mars 1634 selon lequel elle promet de consacrer sa vie aux sœurs de la charité. Sous la tutelle de cette dernière et de Saint Vincent de Paul, des sœurs de toute la France reçoivent une formation médicale pour s’occuper des pauvres et des malades, aussi bien corporellement que spirituellement. À partir du 30 mai 1655, leur rôle est de visiter et d’assister, d’administrer la nourriture et les médicaments puis de leurs procurer assistance spirituelle. En novembre 1655, elles sont érigées au rang de confrérie particulière et distincte des Dames de la charité et l’enseignement est étoffé.

Chez les protestants apparaît une notion de tutorat entre les sœurs, c’est à dire qu’elles se forment entre elles. À partir de 1845, des cours sont donnés en dehors de la communauté. Ainsi le pasteur Théodore Fliedner ouvre-t-il une école de soignantes près de Düsseldorf .

À partir de la Révolution française en 1789, les hôpitaux souffrent d’une mauvaise image de part  leur association à l’Ancien régime. Le vote de la constitution civile du clergé en juillet 1790 restreint le pouvoir de l’Église, notamment dans les hôpitaux qu’elle administre en majorité. L’affirmation de la République entraîne l’introduction d’un personnel laïque, « les soignantes patriotiques ». Les autorités locales font cependant souvent le choix de garder les sœurs hospitalières, qu’elles jugent difficile à remplacer. « Les soignantes patriotiques » étant recrutées dans des milieux sociaux défavorisés, avec une instruction très faible, sans formation mise à leur disposition, elles sont en charge des tâches les plus dures (laver les malades, changer les pansements, leurs donner à manger…) avant de suivre, le soir, un enseignement primaire dans un premier temps, puis dans un second temps un enseignement professionnel. En outre, dès 1792, l’enseignement médical est perturbé par la fermeture successive des facultés de médecine, de la société de médecine et l’académie de chirurgie en août 1793, ce qui a des conséquences néfastes sur la pratique et l’enseignement de la médecine mais aussi sur la certification des médecins : puisque les facultés n’existent plus, elles ne donnent plus de diplômes et n’importe qui peut alors se prétendre médecin.

Autant les protestants que les catholiques proposent donc un enseignement pauvre en connaissances et en pratique, qui, en outre, ne concerne que l’enseignement du personnel soignant déjà en place.

Il faudra attendre la IIIe République pour voir la naissance d’écoles de soignants plus abouties. La Croix-Rouge, par le biais de l’enseignement sera la première entité laïque à organiser les échanges entre les besoins et les capacités à agir.

La démocratisation de l’enseignement au sein d’une République en voie de laïcisation

Pour comprendre l’évolution de l’enseignement médical qui s’effectue entre l’Église et la Croix-Rouge, il faut se pencher sur les changements que subit l’enseignement général au XIXe siècle.

Sous la monarchie de Juillet, la loi Guizot de 1833 oblige les communes de plus de 500 habitants à ouvrir au moins une école laïque ou religieuse sur leur territoire. Cette loi est complétée par la loi Falloux de 1850 qui permet l’affirmation d’une liberté d’enseignement en autorisant la fondation d’établissement d’enseignement privé. Cette loi réorganise aussi le conseil supérieur de l’Instruction publique et les conseils d’académie, ce qui laisse une place importante aux représentants des différents cultes, en particulier catholique. L’enseignement est donc recentré pour les filles autour de l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et d’une formation morale. Il s’agit de former de bonnes mères qui élèveront de bons citoyens. Cependant, certains intellectuels de l’époque, tel que l’historien Jules Michelet pensent que la femme peut prétendre par ses qualités à un rôle tout prédestiné d’auxiliaire médicale. Ainsi, Victor Duruy, ancien élève de Michelet et ministre de l’Instruction publique sous le Second Empire fait-il passer en 1867 l’obligation de proposer une école pour filles dans toutes les communes d’au moins 500 habitants à ouvrir au moins une école laïque ou religieuse en leur sein, mais elle ne rend pas l’école obligatoire et elle n’est gratuite que pour les indigents. Entre 1821 et 1830, 77 femmes pour 100 hommes savent lire et écrire, contre 92 pour la période de 1866 à 1870.

Pièces commémoratives des lois Ferry et Sée de 1881-1882

 

 

 

 

 

 

 

 

 La IIIe République fait de l’Instruction publique son cheval de bataille. À travers deux objectifs, il s’agit de consolider le système politique mis en place en 1875 avec l’avènement de la IIIe République. Tout d’abord, il s’agit d’affranchir la conscience des femmes de l’Église au profit de l’esprit républicain. Les femmes n’ont pas de réelle existence et d’influence dans la réalité sociale, administrative et surtout législative de la société contemporaine à la fin du XIXe siècle. Cependant, les femmes sous la IIIe République assurent la transmission des valeurs au sein de la famille notamment par l’éducation des enfants. Ainsi, l’éducation des femmes devient un enjeu : transmettre les valeurs républicaines et non plus les valeurs royalistes. D’autre part, il s’agit d’éduquer des citoyens ; des hommes égaux devant la loi, titulaires exclusif du droit de voter. Les Écoles normales (ancêtre des Instituts Universitaires de Formation des Maîtres (IUFM) mis en place sous le 2nd mandat de François Mitterrand en 1980 et 1981 suite à la loi Jospin de 1889 ; et renommé en 2013 École Supérieure du Professorat et de l’Éducation, vont alors jouer un grand rôle dans cette entreprise en formant les instituteurs selon les valeurs de la République. Charge à eux, ensuite, d’aller former la population, garçons et filles. C’est la raison pour laquelle on les appelle, les « Hussards noirs de la République » en référence au rôle de missionnaire qu’ils jouent auprès du peuple. Les avancées législatives en matière d’éducation avec la Loi Camille Sée de 1881 pour l’enseignement secondaire des jeunes filles, et celles de Jules Ferry de 1881-1882 sur l’école obligatoire, gratuite et l’enseignement public laïque, contribuent à une amélioration de l’éducation des filles.

Ce sont ces avancées politiques en matière d’éducation qui permettent d’envisager la création d’une école en adéquation avec les valeurs laïques de la Croix-Rouge.

Les écoles de la Croix-Rouge : Une création associative de 1877
Brassard Croix-Rouge (1864)

Lors de la création en 1864 de la Société de Secours aux Blessés Militaires (SSBM) issue des associations liées à la Croix Rouge, la médecine est déjà avancée et l’hôpital n’a plus seulement un rôle d’accueil mais une vraie fonction thérapeutique. Par exemple, la découverte des virus, des microbes et la compréhension de l’antisepsie par Louis Pasteur (1854-1905), entraînent une politique d’hygiène et de prévention sanitaire. De cette nouvelle fonction, non plus de charité mais de soins, découle un réel besoin en personnel médical instruit, capable d’assimiler les nouvelles techniques, représentant une aide médicale active à l’opposé de la fonction de garde malade. La création des écoles de la Croix-Rouge a pour objectif de répondre à ce besoin. Dans un contexte de peur d’une nouvelle guerre contre l’Allemagne, cette nécessité de dispenser une formation qualifiante aux personnels soignants est d’autant plus importante. Dès lors, la Croix-Rouge s’empresse de former une quantité importante d’infirmières.

En France, le docteur Duchaussoy (1827-1918), professeur agrégé à la faculté de médecine de Paris, fonde, en 1877, dans une salle de la mairie du VIe arrondissement de Paris, l’école des infirmières et des gardes-malades qui est autorisée comme établissement d’enseignement primaire supérieur par le ministère de l’Instruction publique. En 1879, la gestion de cette école est confiée à l’Association des Dames Françaises (ADF), elle même issue d’une scission des sociétés de la Croix-Rouge.

L’Union des Femmes de France mène un combat pour l’éducation médicale. Sous l’impulsion de sa présidente Emma Koechlin-Scharz et du Docteur Boulomié, l’UFF va tenter de former le plus grand nombre d’infirmières-ambulancières possible. Aussi l’ADF, créée en 1881, fonde la même année, l’école des infirmières et des gardes malades à Paris également. Les directeurs de cette école tentent de procurer aux élèves les occasions d’appliquer leurs connaissances théoriques. Ils créent un groupe de « dames patronnesses » chargé de participer au recrutement des élèves, et de trouver un travail aux meilleures élèves.

La Société de Secours aux Blessés Militaires participe, elle aussi, à la création d’un enseignement au sein de la Croix-Rouge en créant notamment, en 1899, un dispensaire-école dans le quartier de Plaisance à Paris. Si l’enseignement théorique est donné au siège de la SSBM rue Matignon, l’enseignement pratique à lieu au dispensaire. Il englobe aussi bien la stérilisation des pansements et des instruments que la petite chirurgie. Puis en 1910, le dispensaire déménage dans de nouveaux locaux plus grands. Dés la seconde session qui démarre immédiatement après le déménagement, quarante élèves sont formées afin d’obtenir un des deux diplômes reconnus par la SSBM. Le premier degré de qualification délivré par l’association est un diplôme simple d’infirmière, obtenu après un stage de six mois dont trois dans les hôpitaux et trois au dispensaire. Le second degré correspond à un diplôme supérieur, accessible au titulaire du premier degré suite à un second stage d’un an dans le dispensaire et des hôpitaux.

La création des écoles de formations aux soins infirmiers en France intervient à la suite d’une succession de différents facteurs. Tout d’abord, XIXe siècle, la maîtrise de nouvelles techniques thérapeutiques permet l’évolution des pratiques médicales, et entraîne de nouveau besoin de personnel soignant qualifié. Aussi, de nouvelles considérations scientifiques et empiriques apparaissent dans la formation du personnel soignant, avec la création d’un enseignement notamment structuré autour de la pratique. D’autre part, les différentes lois et réformes des écoles permettent la démocratisation de l’instruction des femmes et l’accès du plus grand nombre aux études secondaires. Enfin, la Révolution française de 1789 ainsi que la séparation de l’Église et de l’État en 1905 précipite le besoin d’un personnel laïque qualifié. La Croix-Rouge, va, par le biais de sa structure laïque et républicaine, répondre à cette nouvelle organisation de la transmission du savoir. Désormais, l’enseignement de disciplines scientifiques telles que la médecine, ne repose plus sur des instances religieuses comme l’Église, mais sur des structures laïques et démocratiques, parfois annexes de l’État comme la Croix-Rouge.