Retour sur l’évolution du profil des bénévoles depuis sa création

 Le bénévolat a toujours été un élément essentiel au sein de la Croix-Rouge. Depuis sa création, l’association a toujours bénéficié du dévouement de ses adhérents, mais ces bénévoles ont changé au fil du temps, arborant une identité différente selon les époques. Cette évolution est le résultat de conflits, de crises, de changements des mentalités ainsi que des habitudes sociales. Quelle est l’évolution du profil du bénévole de la Croix-Rouge depuis la création de cette dernière ?

À l’origine, les bénévoles sont des aristocrates.

À la création de la Croix-Rouge, les bénévoles sont principalement issus de l’aristocratie. Henri Dunant fut le premier bénévole de la Croix Rouge, en 1859, lors de la bataille de Solférino, et sa désolation face au triste sort réservé aux blessés militaires l’a décidé à intervenir. Dès le départ, son action humanitaire ne fut point solitaire, des civils se sont joints à lui pour aider ces soldats. On y retrouve des aristocrates, et des personnalités comme le chocolatier Philippe Suchard ou le médecin Louis Appia.

En 1870, à l’entrée en guerre de la France contre la Prusse, 400 comités de bénévoles sont créés sur l’ensemble du territoire français. Par des personnalités locales, des réseaux solides se mettent en place et les volontaires sont au rendez-vous. Parmi eux, beaucoup de prêtres et de médecins sont prêts à faire ce qu’on leur demande, même sans bénéficier d’aucune formation de la part de la SSBM – Société de Secours aux Blessés Militaires. De nombreux hôpitaux et ambulances sont prévus et la nation est reconnaissante de l’implication de la Croix-Rouge.

Des femmes se sont vites engagées aussi, un Comité des Dames existait déjà et les membres venaient pour la plupart d’une catégorie aisée de la société – aristocratie, grande bourgeoisie… Durant le conflit, elles devaient principalement soigner les blessés dans les ambulances, mais par manque de connaissances, elles commettaient parfois des erreurs. Elles insistent alors sur la création d’un enseignement sanitaire du fait qu’il manque des hommes bénévoles et que les soins apportés sont lacunaires. Mais au lendemain de 1870, la SSBM refuse. Dans la France militarisée du XIXe siècle, il n’était pas souhaité que des femmes interviennent en tant qu’auxiliaires de l’armée. Suite à ce refus de reconnaissance, les femmes créent, en 1879, l’ADF – L’Association des Dames Françaises -, puis L’UFF – l’Union des femmes de France – en 1881. Ainsi, les premières formations d’infirmières vont être créées et celles-ci permettront d’avoir des personnes qualifiées dans les hôpitaux militaires pendant la guerre de 1914-1918.

C’est durant la Première Guerre mondiale que le travail des femmes va être reconnu en tant que bénévole. Elles sont nombreuses à être infirmières dans les hôpitaux militaires, certaines vont devenir des icônes populaires faisant preuve de courage et de dévouement dans leurs missions. À cela s’ajoute également un renouvellement social au sein de l’institution, des femmes de milieux plus modestes commencent à s’engager aux côtés des femmes de milieux aisés, après la guerre.

À partir de 1940, l’accès au bénévolat se démocratise : toutes les classes sont représentées.

C’est ainsi à partir de 1940 que l’accès au bénévolat se démocratise. Toutes les classes sociales, des plus aisées aux plus modestes, sont représentées et il y a la parité homme-femme.

Les raisons de cette démocratisation de l’accès au bénévolat sont multiples :

Affiche de propagande de la Croix-Rouge de 1943

-Un grand mouvement de solidarité national s’est manifesté dans l’hexagone suite à la défaite brutale de 1940. Dans cette France du régime de Vichy, on assiste dès lors à l’unification des trois sociétés qui composaient la Croix-Rouge depuis sa création, à savoir la SSBM, l’ADF et l’UFF. La Croix-Rouge, désormais en un seul bloc, commence à intervenir auprès des prisonniers de guerre. Étant la seule mandatée pour intervenir sur le plan international – d’après l’instruction relative à la coordination des secours aux prisonniers de guerre du 31 octobre 1940 –, la Croix-Rouge française peut venir en aide aux 1,8 millions de soldats Français détenus en Allemagne par l’envoi de colis leur transmettant des messages familiaux pour maintenir leur moral. Tous les Français sont alors encouragés à participer en confectionnant des colis pour ces prisonniers. La Croix-Rouge vient également en soutien – soins, aide alimentaire, action sociale – aux populations civiles en difficulté. Les Français sont mobilisés plus que jamais durant cette dure période d’occupation.

– L’apparition d’une nouvelle activité, le secourisme. Même si celle-ci existait déjà, elle ne se limitait qu’à l’enseignement des premiers soins et des gestes d’hygiènes. C’est durant la Seconde Guerre mondiale que des équipes de secourisme sont créées et formées. Leurs missions étaient d’évacuer les survivants, de dégager les blessés, et de leur procurer les premiers soins. Les interventions s’enchaînent et deviennent alors un bon moyen pour la Croix-Rouge de faire connaître son action à la population. Ses dirigeants souhaitent un recrutement plus massif, davantage d’interactions entre bénévoles pour en finir avec les distinctions sociales et un apprentissage des premiers gestes de secours au plus grand nombre. C’est « l’esprit Croix-Rouge ». À la Libération, 60 000 secouristes diplômés assurent un service permanent, ce qui représente ainsi l’essentiel des effectifs.

– Le temps libre supplémentaire dont bénéficie la plupart des Français depuis la création des 40 heures en 1936. En effet, la majeure partie de la population « travaille de 10 à 12 heures par jour » et 6 jours sur 7, à cela s’ajoute l’apparition des congés payés. À présent, tout comme les aristocrates, les classes populaires peuvent consacrer du temps aux loisirs et faire partie d’une association. Pour la Croix-Rouge, le nombre d’adhérents passe de 307 000 en 1941 à plus d’un million en 1943.

L’association bénéficie d’une bonne notoriété auprès des Français, comme le confirme cette enquête de l’Office Dourdin qui « montre que 93 % des personnes interrogées connaissent la Croix-Rouge française et que 24 % se déclarent prêtes à faire quelque chose pour elle ».

 À partir de 1970, les bénévoles appartiennent aux classes moyennes.

À partir de 1970, les bénévoles appartiennent plutôt aux classes moyennes. Les aristocrates vont peu à peu s’éloigner du bénévolat. La jeunesse, elle, s’engage de plus en plus dans les années 1950 mais n’est pas toujours appréciée par les anciennes familles. Le président de la Croix-Rouge, André François-Poncet donne raison aux jeunes et propose de refuser les préjugés et l’intégrisme.

La démocratisation du bénévolat a certes permis d’attirer de nombreux volontaires, mais celle-ci va amener peu à peu certaines familles bénévoles présentes depuis la création de la Croix-Rouge à s’en éloigner. Cet éloignement peut s’expliquer par le choix de l’association de moins se concentrer sur l’aide aux militaires et d’essayer plutôt de régler les problèmes sociaux – famille, aide aux immigrés, handicapés, personnes âgées, repris de justice… La Croix-Rouge développe l’activité « Actions sociales ». La Croix-Rouge est par la suite davantage à l’écoute des bénévoles et va s’assurer qu’ils œuvrent dans une activité qui leur corresponde. Par exemple, lors des manifestations de mai 1968, des équipes de secouristes de la Croix-Rouge étaient présentes parmi les étudiants et les ouvriers et avaient comme eux des revendications sociales.

À la fin des années 1960 et au début des années 1970, la « crise de la jeunesse » secoue la société française, les jeunes veulent s’affranchir des valeurs traditionnelles car elles sont en contradiction avec leurs aspirations. Mais malgré tout, la jeunesse reste fortement représentée dans l’association puisqu’à cette période, 25 % des bénévoles ont moins de 25 ans et 50 % ont entre 25 et 37 ans.

Dans la première moitié des années 1970, la Croix-Rouge française ressent la nécessité de s’ouvrir et de s’adapter aux réalités de l’époque. Depuis 1971, l’effectif des secouristes de la Croix-Rouge a baissé de 10 000 membres en cinq ans, il faut donc instaurer une pédagogie moderne mieux adaptée à la jeunesse et aux réalités du terrain. On souhaite orienter les bénévoles correctement dans des branches qui correspondent à leurs aptitudes et leur permettre d’évoluer tout aux long de leur engagement. Après plus d’un siècle d’action humanitaire, on constate que la bonne volonté ne suffit plus, il faut être motivé et enchaîner les formations pour acquérir les compétences nécessaires.

Dans les années 1980, en dépit de la montée de l’individualisme dans une société de consommation et de loisir de masse, la Croix-Rouge intéresse toujours car elle offre aux bénévoles une aventure humaine et un espace d’échange. L’association, qui est en pleine lutte contre la pauvreté et le Sida, se doit d’être à l’écoute de ses bénévoles qu’elle ne considère pas seulement comme des troupes opérantes. Chaque adhérant doit pouvoir apporter quelque chose, se sentir libre et écouté. Le profil du bénévole actuel est majoritairement celui d’une femme ayant entre 30 et 60 ans et qui s’investit dans l’action sociale.

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