Interview de Frédéric Joli, historien du CICR, représentant des archives, le 16 octobre 2014.

1) La Croix Rouge est-elle une filiale du CICR ?

Non, le CICR est l’organisation la plus ancienne. Il n’a été prévu que pour les victimes de guerre, la protection et l’assistance des soldats blessés, puis prisonniers, des civils dans la guerre. Le CICR est la Croix-Rouge en temps de guerre. Un an après la création du CICR, il y a eu la mise en place de groupes privés (dans certains pays) comme en France qui se chargeaient d’avantage des catastrophes naturelles, des épidémies, etc … Il existait déjà des moyens de secours en temps de guerre, donc on a cherché comment utiliser ces moyens en temps de paix. Cela a donné naissance aux Sociétés nationales de la Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge (dont la CRF). Ce ne sont donc pas des filiales ce sont des auxiliaires de leurs pouvoirs nationaux (pouvoirs publics). Cependant, si la France entre en guerre, elle passera sous l’autorité du CICR. Tant qu’on est en paix, les sociétés nationales de la Croix-Rouge sont en autonomie.

2) Comment le CICR publiciste-t-il ses actions au niveau national ?

Le CICR n’est pas financé par la générosité publique (ce qui le différencie des ONG, CR …) mais par des subventions d’États (à 90%) qui ont participé aux conventions de Genève. Ils ont donc une communication différente car elle est moins basée sur le marketing. Leur objectif prioritaire est de vendre le droit international humanitaire à savoir comment le promouvoir. Ils font des communiqués, travaillent avec la presse, utilisent les réseaux sociaux et internet. À qui le CICR rend-il ses comptes ? 195 États qui participent aux conventions de Genève dont une cinquantaine sont des États riches qui ont les moyens de les financer. Cependant, ils ont une autonomie, une liberté d’utilisation de ces financements. En temps de crise, ils peuvent lancer des appels d’urgence auprès de leurs donateurs pour avoir des rallonges budgétaires.

3) Quelles sont les innovations actuelles du CICR ?

  • Rétablissement du lien familial (familylinks.org).

  • Utilisation d’internet, du téléphone portable pour élucider des cas de disparition.

  • Logistique, assistance.

  • Internationalisation des ressources humaines (50 nationalités travaillent pour le CICR ce qui facilite les visites aux prisonniers (500 000/an) car ils n’ont plus besoin d’interprètes extérieurs).

4) Comment la création du CICR a-t-elle été perçu par les différents États à l’époque?

Plutôt bien. Le CICR est créé en 1863 et en 1864, les principaux royaumes adhèrent à la 1ère convention de Genève visant à protéger le soldat blessé. Ces mêmes pays ont créé la même année leurs propres sociétés de secours national (CRF). Cela s’inscrit dans les mouvements positivistes de la fin du XIXième siècle pour mettre un peu d’humanité sur le champ de bataille.

5) Sous quelles conditions politiques le CICR parvenait-il à mener à bien ses actions durant les guerres mondiales ?

Trois principes du CICR : neutralité, indépendance, impartialité. Grâce à ça, il parvient à obtenir la confiance de toutes les parties en conflit avec plus ou moins de réussite mais il réussit à travailler des deux côtés d’une ligne de front. Il essaye de faire respecter l’espace humanitaire, accès aux prisonniers, que les hôpitaux ne soient pas attaqués.

Première Guerre Mondiale : particulière car elle va voir l’essor du CICR. C‘est la première guerre industrielle, utilisation de l’aviation, des bombardements, va faire beaucoup de prisonniers (6-7 millions). À la fin du conflit le CICR propose de définir une nouvelle convention de Genève pour protéger les prisonniers.

Deuxième Guerre Mondiale : Shoah, guerre aérienne, bombardement atomique. Il faut protéger les civils (proposition acceptée qu’en 1949 dans une nouvelle convention de Genève qui interdit aux soldats de s’attaquer aux civils).

Comment expliquer que durant la Deuxième Guerre Mondiale les conditions des détenus dans les camps ait été aussi mal connue ? La Deuxième Guerre Mondiale a fait des millions de prisonniers de guerre. Le CICR a eu des ennuis juridiques pour accéder à ces prisonniers. Il n’y avait pas d’instruments juridiques, pas de conventions pour contrer les persécutions civiles. Le CICR était face à un dilemme entre protéger les civils (déportation) et conserver l’accès à tous les prisonniers de guerre (autorisé par les nazis). Le CICR avait peur des représailles, il n’a donc rien demandé aux Allemands pour avoir accès aux civils. Ils sont partis du principe que s’ils lançaient un appel public, il serait inopérant. Le reproche que l’on peut donc faire au CICR à ce niveau-là est de ne pas avoir entamé des démarches même confidentiellement au niveau allemand, d’être resté trop « timide ».

6) Quelles actions le CICR a-t-il mises en place à l’international ? Et avec quels moyens ?

Le CICR a un mandat précisé par la communauté internationale (ce sont les seuls).

  • Visite des prisonniers.

  • Recherche des disparus (agence centrale de recherche).

  • Rétablissement du lien familial.

  • Diffusion du droit international humanitaire.

  • Assistance aux populations (faire tourner les hôpitaux, distribution de tentes, couvertures, nourritures …)

7) Le mode d’action est-il le même qu’à sa création ? Sinon, quels sont les principaux changements apportés ?

Oui si on se base sur les trois principes d’action du CICR. Cela fait cent ans que le comité est vraiment opérationnel, depuis la Première Guerre Mondiale car avant c’était davantage une organisation diplomatique qui tenter de convaincre les États de respecter les droits. Tout « explose » à partir des années 70 (150 délégués du CICR), avec le Biafra et la création des French Doctors, Médecins Sans Frontières. Aujourd’hui, le CICR compte 1400 délégués.

8) Y a-t-il eu de gros changements dans le CICR par l’influence d’un ou plusieurs États ?

Non, c’est plutôt les conflits qui ont une influence sur le CICR. Il y a actuellement 35 conflits sur la planète qui sont tous couverts par le Comité. Environ 25 d’entre eux ne reçoivent que son aide car il n‘y a pas d’enjeux diplomatiques. Le CICR est intéressé par ses conflits et profite de son expérience de la guerre pour les aider. La conduite des hostilités et le respect des gens dans la guerre sont les priorités du CICR.

  • Faire en sorte que le droit existant soit respecté

  • S’adapter au nouveau visage de la violence et aux nouvelles armes….