Au sortir de la guerre, la Croix-Rouge est sur le devant de la scène dès lors qu’il s’agit de soutenir et d’accompagner la population civile. Cette dernière a été touchée par une guerre violente et nécessite une assistance de premier plan.1 Aussi, la Croix-Rouge va se donner pour mission de s’occuper de la population en luttant notamment contre des fléaux tel que le chômage, l’alcoolisme, etc.
La lutte contre la mortalité infantile
La mortalité infantile est un fléau d’envergure, notamment au sein des milieux sociaux pauvres. La lutte contre celle-ci implique l’intervention des médecins et des infirmières, et va marquer l’émergence de la puériculture. En effet, Paul Strauss crée dès 1917 une École centrale de puériculture à Paris, qui dispense un enseignement à la fois théorique et pratique.2 La Croix-Rouge américaine joue aussi un rôle important dans l’enseignement de la puériculture et ce dès 1918 avec le projet du docteur W.P Lucas. Ce projet est issu d’une collaboration entre plusieurs associations lyonnaises. Il a d’abord pour objectif de sensibiliser la population aux bienfaits de la puériculture et de former des visiteuses de l’enfance. Cette formation était majoritairement destinée aux infirmières de la Croix-Rouge. Le troisième objectif de ce projet consistait en l’emploi des visiteuses de l’enfance dans les divers quartiers de Lyon. Dans le cadre de la mortalité infantile, une campagne de propagande se mit en place à Lyon, afin d’alerter les jeunes parents sur la violence de ce fléau. L’organisme rappelle qu’ « un enfant sur huit meurt avant l’âge d‘un an ».3 La Croix-Rouge américaine s’implique également auprès des mères, dans une mission dite d’éducation. En effet, l‘organisme se déplace chez l’habitant afin de montrer à la mère comment employer au mieux les objets qui constituaient son quotidien.4
Dans le cadre de la lutte contre la mortalité infantile, elle favorise la mise en place de crèches, cliniques, garderies mais également des dispensaires et des centres de puériculture afin de répondre à des objectifs de protection de l’enfance. Par exemple à Rennes, dès 1921, l’Union des Femmes de France s’investit dans cette lutte et amène le comité de la Croix-Rouge française à se doter d’un soutien auprès de l’Administration départementale, pour récupérer certaines fonctions spécifiques. L’inspecteur de l’Assistance publique, Mr Cannet, dans un rapport adressé au préfet Maupoil, souligne la nécessité « d’adjoindre à son œuvre de puériculture la goutte de lait et la consultation de nourrissons installée dans les locaux de l’Assistance publique, 3 rue de Fougères ».5 En effet, elle souhaite remettre la goutte de lait et les consultations de nourrissons à l’œuvre afin de réunir un ensemble d’éléments nécessaires à la protection sanitaire de l’enfant au sein d’une même organisation. Le docteur Dufour est à l’origine en 1864 de la création de « L’œuvre de la Goutte de Lait »6, qui permet d’assurer une alimentation équilibrée aussi proche que possible du lait maternel.7 Dès sa création, la Croix-Rouge de la Jeunesse favorise des ventes de légumes vendus au profit de la Goutte de lait.8 En 1921, elle favorise la diffusion de cours de soins par l’intermédiaire des samaritains à Bulle, en Suisse. Ces derniers se spécialisent dans l’hygiène et l’alimentation des nourrissons, puis la puériculture en 1922. On assiste dès lors à de nombreuses conférences et expositions visant à sensibiliser l’ensemble de la population aux fléaux que sont le cancer ou la tuberculose, mais également à s’informer à propos de l’hygiène chez les jeunes enfants, toujours dans le cadre de la lutte contre la mortalité infantile.9
L’entre-deux-guerres est également marquée par l’émergence du cinéma de propagande, qui intervient sur le territoire français dans la lutte contre ce fléau, à l’image de la Future-Maman, un long-métrage réalisé par Jean Benoit-Lévy et écrit par le Docteur Louis-Jules Devraigne en 1925.10 De la préparation du bain à la consultation des nourrissons, il met en évidence un ensemble de notions de puériculture dont l’ignorance des mères était souvent l’une des causes de la mortalité infantile au sein des classes populaires.11
Nous appuyant sur les archives du Comité national de l’enfance, notons que les années 1921 et 1927 furent désastreuses en termes de santé des nourrissons.12 La loi du 2 juillet 1935 qui institue le Comité central du lait favorise la prise de conscience d’un manque d’organisation majeure au sein du marché. Elle met l’accent sur la qualité des produits laitiers. La pasteurisation laitière instaurée seulement en 1939, conduit la France à se doter d’un marché et d’une économie laitière de premier plan.13
Entre 1937 et 1939, pour 1000 naissances, on compte 64 décès de bébés de moins d’un an.14 Le taux de mortalité infantile, à savoir des enfants âgés de moins d’un an, va s’accroître de 16 % sur la période 1939-1941.15 Elle varie selon le groupe social mais également selon la zone géographique étudiée. Pendant l’Occupation, ce taux s’accroît jusqu’à 40 %16 anéantissant les efforts opérés des années auparavant.
L’entre-deux-guerres marque la reconnaissance de l’enfant
Le bilan de la Première Guerre Mondiale est considérable, avec des millions de soldats tués, trois millions de veuves et six millions d’orphelins. Dans le cadre d’un soutien aux orphelins, de nombreuses lois, sont votées, à l’image de la loi de juillet 1917 qui institue le titre de « pupille de la nation ». L’enfant devient une priorité, ce qui contribue à sa reconnaissance au sein de la société.17 La Croix-Rouge de la jeunesse est créée en 1922 avec comme devise « la fraternité, la charité et le dévouement ». Elle crée une revue de la jeunesse dès le mois d’avril 1925.18
La déclaration des droits de l’enfance est adoptée en 1923. La Croix-Rouge française organise des ventes de charités, suivies d’une tombola et d’une kermesse au profit de la section jeunesse. En 1924, ce sont les locaux du magasin Le Printemps à Paris qui sont mis à la disposition de la Croix-Rouge.19 Elle réalise également de nombreuses campagnes en faveur de la protection de l’enfance et sur le thème du « travail des infirmières visiteuses de l’enfance ».20
La stagnation démographique étant inquiétante, la reconnaissance de l’enfant s’inscrit dans une politique nataliste de premier plan. Selon Georges Clemenceau, il est nécessaire de soutenir les naissances afin que le pays se redresse de la violence causée par la guerre. Le code de la famille adopté dès 1939 s’inscrit dans le cadre du projet de protection sociale de l’enfant.21
Le soutien de la Croix-Rouge auprès des personnes atteintes d’alcoolisme
Avec l’interdiction des alcools industriels pendant la guerre, le nombre d’alcooliques en France a baissé en 1918. La guerre a servi de « purification » pour les travailleurs, et l’habitude de boire après le travail se perd. Pour autant, le besoin de se divertir avec l’alcool n’a pas disparu, créant une consommation clandestine. La majorité des Français se tournent alors très vite vers le vin. Sa faible teneur en alcool rassure les autorités et calme les milices antialcooliques. Cependant, ce fléau alcoolique est loin d’être éradiqué, les Français reprennent goût à l’alcool avec des lois qui lâchent du lest et les publicités qui encouragent les buveurs à consommer sans modération.22
L’alcool joue sur l’apaisement général que procure la fin de la guerre et la période pacifiste.23 Parallèlement, en 1930, la viticulture est touchée par une crise de surproduction qui amène l’État à prendre des mesures drastiques de propagande en faveur du vin par l’intermédiaire des instituteurs qui dispensent un enseignement dit « antialcoolique » au sein des écoles primaires.
Beaucoup d’associations et d’ONG, telles que la Croix-Rouge, prennent alors conscience du problème de l’alcoolisme dans une période où les personnes cherchent à oublier et à profiter des instants de plaisir.24 Parmi elles, on trouve la Croix-Bleue, qui a soutenu la création d’asiles pour alcooliques, l’addiction à l’alcool étant considérée comme une maladie qui nécessite des soins spécifiques dans des maisons prévues à cet effet.25Cette société Suisse fondée en 1877 par le pasteur Louis-Lucien Rochat lutte contre l’alcoolisme dans une cinquantaine de pays, dont la France. Créée sous le nom de Société Suisse de Tempérance, elle modifia par la suite celui-ci, pour devenir la Croix-Bleue, en référence à l’action menée par la Croix-Rouge sur les champs de bataille.26 De même, les journaux commencent à s’intéresser au problème de l’alcoolisme dès les années 20 : on le voit entre autres avec le numéro spécial illustré de Fraternité de 1922 traitant de l’hygiène morale et sociale.27
La Croix-Rouge s’occupe d’éduquer la jeunesse en lui enseignant des principes sanitaires basiques et pourtant indispensables, dont le fait de ne pas boire d’alcool.28 Des infirmières rendent visite aux alcooliques dans les structures adaptées à leur problème d’addiction, dans un objectif d’assistance et d’écoute. Cependant, l’alcoolisme n’est pas la priorité de la Croix-Rouge, bien qu’elle se soit adaptée aux problèmes sociaux de son époque. L’organisation a compris très vite que l’addiction à l’alcool chez les Français n’était pas uniquement due à la promotion de cette consommation à travers les médias, ni à l’habitude croissante des apéritifs, mais à la précarité.
Le chômage et la précarité dans l’entre-deux-guerres
La Croix-Rouge française élargit encore son champ d’intervention dans les années 30. Au-delà du sanitaire, elle porte secours aux chômeurs et aux victimes de la crise de 1929.
Au cours des années 20, la Croix-Rouge dénonce le « scandale des mal-lotis » et apporte son soutien aux victimes.29Des milliers de familles devinrent propriétaires de banlieues pavillonnaires. Seulement, pour beaucoup d’acquéreurs de logements dans la banlieue parisienne, les pavillons en question furent très vite noyés dans la boue dès que le mauvais temps apparut. Condamnées à vivre dans des conditions insalubres, ces familles passèrent très vite du statut de nouveaux propriétaires de beaux pavillons parisiens à celui de personnes en situation précaire. La Croix-Rouge leur apporte alors son soutien en s’appuyant notamment sur ses comités locaux pour leur venir en aide.30
Après 1929, le krach boursier entraîne une véritable crise financière et économique mondiale. La France est touchée dès 1931, avec au début des années 30 un taux de chômage sur l’ensemble de la population active qui s’élève de 7,5 %, à 15 % dans le secteur industriel.
Des structures d’aide aux personnes dans le besoin et des formations de bénévoles au soutien moral des chômeurs sont également mises en place par la Croix-Rouge.31 Les ouvriers étant particulièrement touchés par la crise et par le chômage partiel, voire total, la Croix-Rouge française leur vient en aide par le biais des comités locaux.32 De plus, la Croix-Rouge intervient dans le problème du chômage chez les intellectuels. En février 1936, la présidente de l’Association des Dames Françaises, organisme dépendant de la Croix-Rouge, écrit au ministre Mandel : « vous avez compris que la détresse la plus grande est celle des travailleurs de l’esprit, dont le milieu social, l’idéal élevé répugnent à tendre la main avant que l’idée de suicide ne les envahisse ou que la maladie ne les guette ». Dans le cadre du chômage, elle demande qu’une partie des fonds issus des émissions de timbres à surtaxe, dits timbres de bienfaisance, soit reversée à l’Association des Dames Françaises pour pouvoir intervenir de manière efficace dans la lutte contre ce fléau.33
Rédactrices : FEL Natacha, BARREAU Ninon, LAFON Marie-Sophie.
1 Alain Norvez, De la naissance à l’école : santé, modes de garde et préscolarité dans la France contemporaine, Paris, Institut national d’Etudes démographiques, Puf, 1990, p. 24.
2 Jean Guillermand, op.cit, p. 421
3 Ibid, p. 422.
4 La Croix-Rouge américaine, Rapport sur une campagne contre la mortalité infantile dans le quartier Saint- François (10 août 1918 – 10 février 1919), Imprimerie du journal du Havre, le Havre, 1919, p. 8.
5 Conseil Général, Session de mai 1921, Imprimerie Rennaise, Rennes, 1921, p. 52.
6 Ibid, p. 56.
7 Ibid, p. 55
8La Croix-Rouge française, La jeunesse a 90 ans ! 1922-1940 : principes et organisation, www.croix-rouge.fr, 23 novembre 2012.
9 Thierry Jacolet, Bruno Maillard, Un siècle d’action humanitaire, Fribourg, Éditions La Sarine, 2009, pp. 66 et 67.
10Valérie Vignaux, L’éducation sanitaire par le cinéma dans l’entre-deux-guerres, Sociétés et Représentations, n°28, publications de la Sorbonne, 2009.
11Ibid.
12Alain Norvez, op.cit, p. 58.
13Ibid, p. 63.
14Ibid, p. 64
15Hélène Bergues, Répercussions des calamités de guerre sur la première enfance , Population, n°3, 1948, p. 502.
16 Alain Norvez, op.cit, p. 55.
17Yves Denéchère, Des enfants venus de loin, Armand Colin, Paris, 2011.
18La Croix-Rouge française, La jeunesse a 90 ans ! 1922-1940 : principes et organisation, http://www.croix-rouge.fr/ , 23 novembre 2012.
19 Jean-Pierre Franssens, Du grand magasin parisien à leurs oeuvres sociales 16/22, http://www.rezo-bazar.com/ , 9 octobre 2014.
20 La Croix-Rouge, 150 d’histoire, op.cit, pp. 82 à 85.
21 Alain Norvez, op.cit, p. 24.
22 Sarah Howard, Les images de l’alcool en France 1915-1942, Paris, CNRS Editions, 2006.
23 Georges Duhamel, Journal de Salavin, 1927, p. 97.
24 Eugène-Humbert Guitard, Revue d’histoire de la pharmacie, Vol. 49 n°171, 1961, pp. 185 et 186.
25 La Croix-Bleue PDF : http://www.croixbleue.fr/pdf/libe161.pdf
26 Site officiel de l’association la Croix-Bleue romande, http://www.croix-bleue.ch/
27Site d’archives nationales des dépôts de Max et Didier Lazard, http://www.archivesnationales.culture.gouv.fr/camt/fr/egf/donnees_efg/6_AS/6_AS_INV.pdf
28Site officiel de la Croix-Rouge, rubrique 1922-1940 : principe et organisation, http://www.croix-rouge.fr/Actualite/La-jeunesse-a-90-ans/1922-1940-principes-et-organisation-1520
29Cours « La question du logement populaire : lotissements pavillonnaires et logement social dans l’entre-deux-guerres » Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_1123-9891_1993_num_105_2_4285
30La Croix-Rouge française, 150 ans d’histoire, Paris, 2014, p.86.
31E. DURBECQ, Femmes et œuvres : l’exemple des Croix-Rouge françaises, Recherches contemporaines, n°3, 1995-1996
32La Croix-Rouge française, 150 ans d’histoire, Paris, 2014, page 86.
33Musée de la Poste, Dossier d’émission « chômeurs intellectuels », 1936, lettre dactylographiée du 11 février 1936.