Pauvreté et action publique au XIXe siècle

Sous l’Ancien Régime, l’action de l’Etat contre la pauvreté est présentée comme répressive, visant plus à éradiquer la pauvreté, à l’écarter du regard, qu’à aider les pauvres. Au XIXe siècle, cependant, se développe une forme d’assistance publique, une volonté d’accompagnement qui peut rappeler les actions privées. On peut séparer en trois mouvements les actions publiques au cours de ce siècle : si on observe chez plusieurs œuvres une continuité, d’autres sont redéfinies, soit par envie d’une meilleure acceptation par le peuple, soit par une visée de laïcisation de ces actions.

Ainsi, comment l’Etat a-t-il procédé, au XIXe siècle, pour redéfinir sa politique en termes d’assistance sociale ? L’Etat visait-il seulement à mieux faire accepter son aide du peuple et à réduire l’influence de la religion ?

Des panneaux tels que celui-ci étaient affichés dans toute la France
Des panneaux tels que celui-ci étaient affichés dans toute la France

La transformation des hôpitaux et la difficulté des dépôts de mendicité

Les dernières années de l’Ancien Régime ont vu la fin des hôpitaux généraux, très impopulaires. Etant plus des lieux d’enfermement des pauvres que des endroits où ceux-ci étaient accompagnés, ils sont remplacés par les dépôts de mendicité. Institués sous Louis XV, ceux-ci sont confirmés par Napoléon Ier, qui accorde beaucoup d’importance à la question de la pauvreté1. Pour lui, la lutte contre la pauvreté passe par une meilleure compréhension par le peuple du terme de mendicité, d’où l’importance des dépôts de mendicité, qui ont la mission d’enfermer les mendiants et de les différencier des « bons pauvres ». Cependant, la réintégration des mendiants dans la société, confiée aux dépôts de mendicité, ne fonctionne pas. Le bilan de ces institutions est chaotique : des 37 dépôts ouverts en 1814, ils ne sont plus que sept en 1837, et ceux qui ont résisté n’hébergent que 2 % de mendiants, le reste des occupants étant partagé entre prostituées et libertins, majoritairement2. Jamais les dépôts de mendicité n’ont fonctionné comme l’entendaient les pouvoirs qui les ont mis en place. Mais l’aide de l’Etat ne s’arrête pas à ces aides au niveau national. A un échelon plus local, la lutte contre la pauvreté se fait cette fois-ci par la réinsertion du pauvre par le travail. Au XIXe siècle existent les ateliers libres de charité, annexes aux dépôts de mendicité. Par exemple, la filature des indigents qui existe à Paris connaît des difficultés au cours du XIXe siècle mais se maintient et, en 1844, aide un total de 4 383 indigents en leur offrant un emploi rémunéré3. Des actions similaires se multipliant en France, ces aides locales montrent l’importance de l’assistance directe, mais aussi le besoin de personnaliser celle-ci, et ainsi de ne pas adopter de solution radicale comme l’étaient les hôpitaux généraux et comme le sont au XIXe siècle les dépôts de mendicité.

L'austérité d'un bureau de mendicité
L’austérité d’un bureau de mendicité

Qu’en pense la population ?

On peut se demander quelle est l’implication du peuple dans l’action sociale publique. Celui-ci n’appréciait pas les hôpitaux généraux et n’apprécie pas plus les dépôts de mendicité, tout comme les hôpitaux en général, qui fonctionnent mal et entraînent de grosses dépenses, et représentaient un malaise du peuple, comme l’a montré Balzac dans plusieurs tomes de sa Comédie humaine. Cependant, on demande rarement une aide de la population en général, préférant demander la participation de certains corps de métiers, comme par exemple les métiers du spectacle. Ainsi, la “taxe sur les pauvres” est mise en oeuvre pour récupérer de l’argent sans déclencher la colère de la population: chaque mois, la recette d’un spectacle est récupérée et reversée aux grands pauvres, “ceux que la honte empêche de mendier”4. Les métiers du spectacle n’étant pas particulièrement soutenus par le reste de la population, cette mesure qui vise à taxer uniquement cette part du peuple permet d’aider les pauvres tout en se faisant accepter. Cette aide est même appréciée, le respect pour les pauvres honnêtes étant aussi grand que la peur des vagabonds. Enfin, le rapport au peuple transgresse parfois la frontière entre aide publique et privée, comme le montre le label “fondation d’utilité publique” remis à certaines associations privées. C’est notamment le cas des monts-de-piété, apparus en Italie autour de 1440, en France en 1643 et à Paris en 17775, qui se voient offrir une meilleure visibilité grâce à cette accréditation de l’Etat. Et ce malgré le rapport direct de cette action privée, visible par le simple mot de piété, à l’Eglise.

Une envie de laïcisation des œuvres

Cela peut en effet étonner puisque l’Etat montre au XIXe siècle une volonté, sinon de séparation, au moins de distanciation d’avec l’Eglise, qui sera effective en 1905. On n’observe pas réellement cela dans un changement des actions, les mutations s’opérant plus en façade. L’aide des monts-de-piété, dont les clients sont, selon une étude faite à Rouen, pour près de 70 % d’entre eux, soit des ouvriers soit des journaliers6, est donc assez importante. Mais, dans les œuvres publiques, il est clair que l’Eglise perd en importance. C’est ce qu’on voit par exemple avec les « bureaux de charité », renommés en « bureaux de bienfaisance ». Le modèle de ces deux aides est le même, mais le retrait du mot « charité », propre à la religion, est un signe. On veut ainsi encourager à aider plus par humanité que par foi. Une volonté également inscrite dans la loi, pour la première fois. Pour autant, les aides privées religieuses, comme le mont-de-piété évoqué plus haut, ne sont pas ignorées. Les bureaux de bienfaisance ayant pour objectif de récupérer des dons et de les faire parvenir aux pauvres, ils apparaissent, comme les qualifie André Gueslin, comme des « institutions de l’entre-deux ». La philanthropie et l’aide publique sont reliées, et cela renforce les deux côtés : Un cinquième du budget des bureaux de bienfaisance vient des dons7, et les aides privées sont plus présentes que jamais par le passé.

1 La sécurité sociale. Son Histoire à travers les textes, tome 1, p. 118
2 J. Vallée, Les dépôts de mendicité : leur utilisation comme moyen d’assistance, Paris, Giard et Brière, 1908, p. 67-74
3 A. Gueslin, dans Gens Pauvres, pauvres gens dans la France du XIXe siècle, Paris, Aubier, 1998, p. 255
4 E. Rostand, L’action sociale par l’initiative privée, tome 1. Paris, 1892, 715 p.
5 A. Gueslin, Gens Pauvres, pauvres gens, op. cit. p. 262
6 A. Gueslin, op. cit. p. 262
7D’après Paul Bucquet, cité par A. Gueslin, Gens pauvres, pauvres gens dans la France du XIXe siècle, Paris, Aubier, 1998, p. 276