La découverte du Pacifique

L’océan Pacifique est le plus étendu de tous, puisqu’il recouvre un tiers de la surface de la planète, sur un peu plus de 179 millions de km². C’est également l’océan le plus profond avec une profondeur moyenne de 3940 mètres et une profondeur maximale de 11000 mètres. Cet océan touche trois continents : l’Amérique, l’Asie et l’Océanie.1

Cette grandeur posa de nombreux défis aux navigateurs des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles qui naviguaient avec des instruments peu fiables, ce qui conduisait souvent à sous estimer les distances à parcourir. Les voyages sont donc beaucoup plus longs et le nombre d’escales est considérablement réduit car l’océan Pacifique ne compte que peu d’îles (qui se situent près de l’Asie et de l’Océanie).  Tout cela entraîne un manque fréquent de vivres pour les équipages. Certains aliments pourrissaient en outre durant le voyage, ce qui faisait apparaitre des maladies dues au manque de produits frais, comme le scorbut. Enfin, il était impossible de donner de vrais soins médicaux en mer. En conséquence, il n’était pas rare que, lorsqu’un ou plusieurs navires s’élançaient dans ces eaux, l’équipage soit épuisé lors de l’arrivée, sans plus aucune ressource alimentaire et aussi touché par les maladies.

Vasco Nunez de Balboa fut sans doute le premier européen à apercevoir l’océan Pacifique, en 1513. C’était un navigateur portugais au service de la couronne d’Espagne. Cependant il n’y navigua pas : il s’arrêta à l’isthme de Panama. C’est depuis le sommet d’une montagne qu’il découvrit une étendue d’eau inconnue qu’il nomma « mer du sud » (simplement car elle se situait au sud de l’isthme de Panama). 2

Portrait de Fernand de Magellan, lithographie réalisée par Charles Legrand en 1841 (www.wikipedia.com)

Quant à Magellan, son but était de trouver une route vers l’Ouest qui mènerait de l’Espagne jusqu’en Asie afin de mettre en place une route des épices. Magellan et son équipage naviguèrent de la Terre de Feu (c’est à dire un archipel se situant à l’extrême-sud de l’Amérique du Sud) jusqu’aux îles Mariannes (un groupe d’île entre le Japon et la Nouvelle-Guinée). La traversée dura trois mois et vingt jours. Cependant, durant celle-ci, il ne découvrit aucune île à l’exception de deux petites, totalement désertiques, qu’il baptisa Islas Infortunadas, et n’y accosta pas. Un problème de vivres ainsi que le développement des maladies entraînèrent des complications. En 1521, lui et ses hommes accostèrent aux îles Mariannes où ils purent reprendre des forces et faire un léger stock de provisions. Le 17 mars de la même année, l’équipage atteignit les Philippines. Certains peuples se soumirent à l’autorité des européens. En revanche, Lapu-Lapu, roi de l’îlot de Mactan, déclara la guerre à Magellan. Ce dernier pensait pouvoir battre des hommes mal armés, se battant quasiment nus. Cependant, les indigènes étaient trente fois supérieurs en nombre. Au cours de la bataille, Magellan fut tué par une flèche empoisonnée, le 27 avril 1521.

Au final, seuls 18 hommes reviennent en Espagne, à Sanlucar de Barrameda, le 6 septembre 1522, avec un seul bateau (alors que trois avaient quitté l’Espagne) : la Victoria. Le récit de ce voyage fut transmis par Antonio Pigafetta qui tenait un journal de voyage et qui faisait partie des 18 survivants.

Le tour du monde de Magellan permit à l’Espagne de bénéficier d’une connaissance précieuse du monde et des océans, ce qui entraîna son installation aux Philippines, à l’inverse des portugais qui préféraient naviguer autour de l’Afrique pour atteindre les Indes. Les Portugais sont ainsi les premiers à atteindre les Moluques (archipel à l’Est de l’Indonésie) en 1511, sous le commandement du vice-roi Afonso de Albuquerque. Plus tard, en 1525, le roi Charles 1er d’Espagne décide d’envoyer une expédition afin de coloniser à son tour les Moluques qui, selon ses dires, appartiennent à l’Espagne selon le traité de Tordesillas rédigé le 7 juin 1494 et qui établissait le partage du Nouveau Monde entre les puissances Portugaises et Espagnoles. Les Moluques étaient disputées car c’était un réservoir important d’épices introuvables en Europe : les clous de girofle, la noix de muscade, le macis… Une expédition est alors lancée avec, comme commandant Garcia Jofre de Loaisa. Les Espagnols arrivent à destination et accostent à Tidore, dans l’archipel. Les Portugais étant placés non loin des Espagnols, le conflit est inévitable. Durant une dizaine d’années, les deux Etats vont alors s’affronter.

Afin d’atténuer le conflit, de 1524 à 1529, les experts des deux pays se réunissent à Elvas-Badajoz (à la frontière entre l’Espagne et le Portugal) afin de tracer une limite à chaque territoire. En 1529, il est décidé que les Moluques reviennent aux Portugais et les Philippines aux Espagnols, par le traité de Saragosse. 

Durant cette période, les Portugais lancèrent plusieurs explorations qui leur permirent de découvrir les îles Carolines ainsi que la Nouvelle-Guinée.

Les Espagnols eux aussi sont intéressés par ces nouvelles mers. En 1527, Hernan Cortés organise une expédition et demande à son cousin Alvaro de Saavedra d’en prendre le commandement. Il part du Mexique et parvint à atteindre les Moluques en octobre 1528 mais, lors de son retour, il est repoussé par les alizés. Il faudra attendre Andrés de Urdaneta pour découvrir une voie, en 1565, menant des Philippines aux Mexique sans avoir à affronter les vents et courants. C’est alors qu’une route maritime est créée qui permet d’y instaurer le galion de Manille.

Capture

Peinture du galion de Manille par Samuel Scott, peintre de marine anglais, durant la première moitié du XVIIIe siècle (www.france.intofineart.com)

Le Galion de Manille était le nom donné aux navires espagnols qui traversaient l’océan Pacifique entre Manille (aux Philippines espagnoles) et Acapulco qui était le principal port pacifique de la Nouvelle-Espagne (c’est à dire le Mexique). Les marchandises d’Asie étaient envoyées jusqu’à Veracruz au Mexique et ensuite transportées jusqu’en Espagne. Entre 1565 et 1593, trois bateaux quittaient les Philippines chaque année. Le trafic se termina en 1815 à cause de la guerre d’indépendance du Mexique. Au total, ce sont 110 galions qui firent le trajet entre les Philippines et le Mexique. 4

D’autres puissances s’illustrèrent durant la seconde moitié du siècle. Francis Drake, au service de la couronne d’Angleterre, s’élança dans un tour du monde entre 1577 et 1580. Cette expédition était secrètement financée par la reine Élisabeth 1er. Il partit avec cinq navires descendant vers le détroit de Magellan afin d’explorer les eaux qu’il avait jadis aperçues en 1572 lorsqu’il se trouvait à l’isthme de Panama. Une fois le détroit passé, seule la Biche d’or (le bateau de Drake) continua son trajet : les autres décidèrent de faire demi tour ou se perdirent. En remontant la côte ouest de l’Amérique du Sud, il pilla au passage les colonies espagnoles du Pérou et du Chili. Le 30 septembre 1579, il arrive aux îles des Voleurs et le 3 novembre aux Moluques. Il en profite alors pour acheter des épices.Cette première expédition britannique ne donna cependant pas lieu à une installation durable sur place.

La fin du XVIe siècle est donc marquée par l’extension coloniale du Portugal et de l’Espagne. L’exploration du Pacifique ainsi que l’exploitation des richesses locales permirent aux Européens d’ouvrir leur commerce au reste du monde alors qu’auparavant seule la Méditerranée était l’étendue d’eau où le commerce se diffusait. Par ailleurs, les trésors ramenés en Espagne et au Portugal ont permis aux deux nations, durant le siècle, d’entretenir leur flotte et de financer de nouvelles explorations.

En revanche, le Pacifique est un peu laissé à l’abandon durant le siècle suivant, le XVIIe. Un des rares navigateurs notables de cette période fut Abel Janszoon Tasman. C’était un navigateur et explorateur hollandais qui s’élança entre 1642 et 1644 dans cet océan au service de la Compagnie néerlandaise des Indes Orientales. Il découvrit sur son chemin quelques îles : la Tasmanie ainsi que la Nouvelle-Zélande. Il a aussi contribué à l’amélioration de la cartographie de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande et des îles du Pacifique.

C’est pourtant au cours de ce siècle que les progrès scientifiques sont les plus intéressants : les nombreuses expéditions ayant eu lieu dans le Pacifique durant le siècle précédent ont en effet permis aux scientifiques européens de dresser des cartes maritimes plus claires, avec les contours de l’océan plus précis. La marine est également améliorée : les navires sont plus robustes, pouvant déplacer entre 300 et 400 tonnes.

Si l’océan Pacifique est alors quelque peu laissé à l’abandon, avec peu d’explorations et donc peu de découvertes, on assiste au cours du XVIIIe siècle et plus précisément dans sa seconde moitié, à un regain des explorations.

Dans la première moitié du XVIIIe siècle, les connaissances sur le Grand Océan restent modestes et incertaines. Jusqu’en 1763, les découvertes sont restées peu nombreuses. Les puissances européennes sont absorbées par les guerres. Quelques expéditions parcourent néanmoins le Pacifique, comme Jakob Roggeven (explorateur néerlandais, 1722) ou encore George Anson (anglais qui navigua entre 1739-1743). Les expéditions maritimes reprennent vraiment après 1763 lorsque les batailles entre colons Français et Anglais se terminèrent au Canada, après neuf ans de guerre. Ce regain des expéditions est possible grâce aux gouvernements Français et Anglais qui, la guerre finie, peuvent se concentrer sur l’exploration des eaux du Pacifique. L’un des buts premiers est de prendre possession de terres afin de créer des colonies et ainsi d’accroître leur commerce dans le monde (du côté français ou anglais, l’idée est la même). Le moteur de ces explorations se trouve également dans la curiosité scientifique et le désir de reconnaissance de nouvelles terres. Cette volonté d’améliorer les sciences est influencée par la philosophie des Lumières qui répand ses idées dans le monde occidental durant le XVIIIe. En effet, des scientifiques prennent part aux voyages de manière croissante : leur rôle est d’étudier les terres découvertes (faire une reconnaissance des lieux, vérifier les richesses des terres ainsi que l’hostilité des habitants afin que les marines françaises et anglaises puissent s’y installer et puiser dans les richesses de ces îles, enfin découvrir un hypothétique continent austral situé à la place de l’actuel Antarctique et auquel on assignait le rôle de tenir le monde en équilibre).6

Cette seconde moitié du XVIIIe est marquée notamment par deux personnages. D’abord, l’explorateur Français Louis Antoine de Bougainville, qui s’élance en 1766 dans le Pacifique en passant par le détroit de Magellan. Durant son expédition, il découvre et prend possession de plusieurs îles qu’il croise sur son chemin. Lors de son retour en France, il est le premier capitaine français à avoir fait le tour du monde. Il donna naissance à un nouveau plan d’exploration : partir de l’océan Indien afin de réduire le temps nécessaire pour faire le trajet jusqu’à l’océan Pacifique. Tout comme son concurrent James Cook, Bougainville rédige un récit de voyage intitulé « Voyage autour du monde », qui intéresse grandement les européens.

Mais la grande figure qui marqua le XVIIIe siècle fut l’anglais James Cook qui, après ses trois voyages, clôtura la question de l’existence du continent austral, qu’il n’a jamais réussi à découvrir. Durant ses trois voyages, Cook explora la Nouvelle-Zélande et découvrit notamment l’Est de la Nouvelle-Hollande ainsi que la Nouvelle-Calédonie. Il ramena aussi 30 000 spécimens de la flore et de la faune océanienne. Il explora également, durant son dernier périple, la zone Nord du Pacifique dans le but de découvrir un raccourci entre l’Europe et l’Extrême Orient. L’Angleterre est devenue, à la fin du XVIII, la première puissance maritime, commerciale et coloniale du monde grâce à son commerce tiré de ses conquêtes territoriales. 7

3 voyages de Cook

Les voyages de James Cook : premier voyage en rouge, le deuxième en vert et le troisième en bleu (www.voyage-australie-nz.com)

A elles deux, la France et l’Angleterre contribuèrent énormément à la connaissance du Pacifique au XVIIIe siècle : les limites des continents sont devenues plus précises, la connaissance des espèces végétales et animales s’est agrandie, la taille de l’océan est à présent connu. Cependant ces découvertes ont également joué sur le plan philosophique avec l’enrichissement de la pensée mais aussi dans le domaine littéraire avec un goût pour l’exotisme.

  • 2 Jean Favier, Les grandes découvertes, Paris, Fayard,1991
  • 6 Nathalie Mrgudovic, La France dans le Pacifique Sud: Les enjeux de la puissance, Paris, L’Harmattan, 2008.

  • 7 Claire Laux. Le Pacifique aux XVIIIe et XIXe siècles : une confrontation franco-britannique ; enjeux économiques, politiques et culturels (1763-1914). Paris, Karthala, 2011.

Rédacteurs : Cédric Mazel, Anna Bonte, Clément Boyer