« Car la mer et l’amour ne sont point sans orage »1, voilà comment la mer est décrite au XVIIe siècle, par Pierre de Marbeuf2 en 1628 dans son poème : Et la mer et l’amour3. Avant le XVIIIe siècle, la mer est seulement assimilée au chagrin d’amour, à la tristesse et la douleur. La mer est donc source de malheur pour l’Homme : quand est-il au XVIIIe siècle ?
[…]
Quel calme ! quels objets ! quelle immense étendue !
La mer paraît sans borne à mes regards trompés,
Et dans l’azur des cieux est au loin confondue.
Le zéphir en ce lieu tempère les chaleurs ;
De l’aquilon parfois on y sent les rigueurs ;
Et tandis que l’hiver habite ces montagnes,
Plus bas l’été brûlant dessèche les campagnes.
Le volcan dans sa course a dévoré ses champs ;
La pierre calcinée atteste son passage :
L’arbre y croît avec peine ; et l’oiseau par ses chants
N’a jamais égayé ce lieu triste et sauvage.
Tout se tait, tout est mort ; mourez, honteux soupirs,
Mourez importuns souvenirs
Qui me retracez l’infidèle,
Mourez, tumultueux désirs,
Ou soyez volages comme elle.
[…]
Evariste de Forges de Parny, Recueil : Elégie VI, « L’amour est éteint pour la vie » (1784)
L’amour est éteint pour la vie4 d’Évariste de Forges de Parny5, traite toujours de l’amour, mais il ajoute un nouveau thème : la liberté, la liberté que procure la vision de la mer : « La mer paraît sans borne à mes regards trompés / Et dans l’azur des cieux est au loin confondue ». Le poète confronte les éléments, la terre et la mer : la mer permet à l’Homme de s’échapper du milieu terrestre. Mais il n’oublie pas de montrer les limites de cette liberté car il souligne également le côté incertain de la mer : « Ou soyez volages comme elle »6. La mer est dangereuse et dans ce cas si, elle est comparée à une femme, elle est infidèle. La mer inspire l’Homme, et avant tout elle nourrit l’imagination des poètes du XVIIIe siècle comme le ferait une muse. La plupart des poètes du XVIIIe siècle, n’ont jamais voyagé sur la mer. Ils offrent donc au lecteur une vision de la mer fantasmée, imaginée… mais cette image peut influencer le lecteur et lui faire peur.
La mer n’est pas seulement une source d’inspiration pour les artistes, elle peut aussi être considérée comme un élément naturel, à part entière, qui est utile. Les bains de mers sont fréquemment prescris par les médecins à partir de 1750 jusqu’au XIXe siècle. La mer à partir de ce moment, est profitable à tous les Hommes, elle n’est plus seulement un fantasme. A ce sujet, l’historien Alain Corbin7, parle d’« irrésistible éveil du désir collectif des rivages »8 pour désigner cet engouement, « les mers attirent les romantiques, les mélancoliques et tous ceux qui, par crainte du miasme, s’en viennent côtoyer l’écume »9. La mer est devenue attractive grâce au nouveau regard des scientifiques, des médecins en l’occurrence.
Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage,
Et la mer est amère, et l’amour est amer,
L’on s’abîme en l’amour aussi bien qu’en la mer,
Car la mer et l’amour ne sont point sans orage.
Celui qui craint les eaux qu’il demeure au rivage,
Celui qui craint les maux qu’on souffre pour aimer,
Qu’il ne se laisse pas à l’amour enflammer,
Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.
La mère de l’amour eut la mer pour berceau,
Le feu sort de l’amour, sa mère sort de l’eau,
Mais l’eau contre ce feu ne peut fournir des armes.
Si l’eau pouvait éteindre un brasier amoureux,
Ton amour qui me brûle est si fort douloureux,
Que j’eusse éteint son feu de la mer de mes larmes.
Pierre de Marbeuf, Recueil de Vers, « Et la mer et l’amour » (1628)
Il y a donc deux regards qui s’opposent : celui du poète qui pendant des années a donné une image « rêvée » de la mer et celui des scientifiques, plus rationnels, qui ont donné une nouvelle image plus réaliste de la mer, qui n’est plus un ennemie de l’Homme.
Au XVIIIe siècle, les artistes s’intéressent de plus en plus à la mer. Un changement progressif des scènes maritimes s’effectue. Les ports de guerre disparaissent au profit des ports de commerce, les batailles navales au profit des paysages. Avec la peinture, l’Homme a donc pu donner libre cours à ce que lui évoquait la mer.
Le titre de ce tableau qui est « Un Naufrage dans les Mers Orageuses » de Claude-Joseph Vernet1, permet d’imaginer avant même de découvrir l’œuvre, une image très négative de la mer. En effet, le naufrage fait référence à la mort comme nous pourrons le voir plus tard avec « Le Naufrage de Don Juan » d’Eugène Delacroix2. Puis, le terme de « Mers Orageuses » défini la colère et la puissance des mers. En voyant le tableau, nous remarquons des eaux qui dévastent tout sur leur passage et qui assurent une fin tragique aux personnages. Les vagues viennent se fracasser contre les rochers avec une telle puissance qu’on a presque l’impression qu’ils vont se décrocher. On remarque également un ciel déchiré qui se mélange à une mer déchaînée. Cela renforce l’impression de peur.
Avec ce tableau, la mer du XVIIIe siècle laisse à penser qu’elle a des sautes d’humeur, comme peut en avoir l’homme. Cette représentation de la mer est, au temps de Lapérouse, un phénomène courant. Il est rare de trouver des tableaux du XVIIIe siècle dont la mer est figurée dans un état calme. L’animosité est toujours présente mais avec une intensité plus au moins forte. De plus, cet élément paraît infranchissable.
D’autres supports tels que les estampes montrent également cette conception de la mer. La gravure des vagues y est accentuée. « Les grosses vagues »1 de Korin Ogata2, a été la première estampe japonaise du XVIIIe siècle, montrant la fureur de cette dernière. Au XIXe siècle, c’est « La grande vague »3 de Hokusai4 qui devient la plus importante pour montrer ce phénomène. Dans cette représentation, l’artiste a dessiné trois barques prises dans une périlleuse tempête. Un contraste entre la hauteur des vagues et la taille des barques peut être constaté. Les vagues sont représentatives de monstres. Le peintre a souligné l’effet de peur en créant au bout des vagues des « griffes », semblable à celles d’animaux. Les marins pris dans cette tornade ont peu de chance d’y survivre. De plus, au centre du tableau un symbole de la civilisation est représenté : le mont Fuji, qui symbolise l’espoir.
1 « Les grosses vagues », Ogata Korin, XVIIIe, The Metropolitan Museum of Art, New-York.
(150.5 cm x 168.9 cm, http://www.metmuseum.org/Collections/search-the-collections/44918)
2(1658-1716), peintre japonais
3 « La grande vague de Kanagawa », Hokusai, 1831, The Metropolitan Museum of Art, New York.
(25.7 cm x 37.9 cm, http://www.metmuseum.org/)
4(1760-1849), peintre et graveur japonais
1(1714-1789), peinture français du XVIIIe siècle
2(1798-1863), peintre français dont le mouvement artistique est le Romantisme
1Marbeuf P. Extrait du poème « Et la mer et l’amour », Recueil des vers, Rouen, BNF, 1628, 267 p.
2(1596-1645), poète baroque français, il associe le thème de l’eau avec l’amour
3Marbeuf P. Recueil des vers, Rouen, BNF, 1628, 267 p.
4Forges de Parny E. Recueil : Élégie VI.
5(1753-1814), poète français
6Forges de Parny E. Extrait du poème « l’amour est éteins pour la vie », Recueil : Élégie VI.
7Alain Corbin, historien spécialiste du XIXe siècle en France
8Corbin A. et Richard H. La mer : Terreur et fascination, Paris, BNF, 2005, 251 p.
9Idem