Le 8 mars 1785, 145 jours avant le départ, les bateaux sont désignés. Les navires ont été choisis en référence aux voyages de Cook. Le but n’était pas d’être rapide, cependant il fallait des navires robustes, avec des coques larges et plates, permettant une navigation dans les eaux peu profondes du rivage des côtes tout en gardant une importante capacité de charge. Ce choix se fit au port de Rochefort, moins exposé aux vues adverses, afin de garder une certaine discrétion sur l’expédition. De plus, une telle expédition exigeait un équipement en matériels nombreux et divers, deux qualificatifs qui peuvent s’appliquer au choix de l’équipage, en y adjoignant la nécessaire compétence.
Le Portefaix fut donc désigné le 8 mars 1785. Trois jours plus tard, l’Utile fut choisi en complément1. Ces deux navires étaient de construction assez récente, toutefois, l’Utile parut trop difficile à modifier et le ministre décida de stopper les aménagements sur celui-ci le 9 avril car, « il ne peut plus être propre à la mission que le roi se proposait de lui donner »2. Dans le même moment, la décision est prise de remplacer l’Utile par l’Autruche, un navire récent qui a l’avantage d’avoir des caractéristiques identiques à celles du Portefaix, favorisant ainsi son aménagement. Des problèmes survinrent sur le Portefaix, mettant en cause l’ingénieur chargé des travaux Pennevert, qui fut écarté de l’expédition. Les deux navires sont préparés sur les mêmes bases afin de faciliter les embarquements et la conception des aménagements. Tous deux disposent de chaloupes et de canots pour les échanges éventuels entre les navires et l’exploration des côtes. Enfin, l’accent est mis sur la présence à bord de jeux de voile de rechanges, communs aux deux bâtiments, ainsi que du bois pour la réparation éventuelle des mâts.
A l’intérieur des bateaux, une partie primordiale est celle des cuisines. En effet, elles accueillent plusieurs corps de métiers différents : les cuisiniers, de l’équipage et de l’état- major simultanément, mais aussi des scientifiques qui en ont besoin pour leurs expérimentations. Les cuisines prévues étaient neuves, en fer, d’origines anglaises, mais toutefois trop spacieuses et peu pratiques3. La décision fut prise de demander à Fleuriot de Langle d’en concevoir un autre modèle, ce qui fut terminé le 16 juin avec succès, et qui de surcroît, moins gourmand en bois4.
Enfin, la nécessité d’exposer les desseins scientifiques de l’expédition amena le choix de nouveaux noms pour les navires : l’Autruche prévue pour Langle devint l’Astrolabe, le Portefaix de Lapérouse se transforma en Boussole5. Une fois les cuisines achevées, l’aménagement intérieur ne manquait de rien, à partir du 22 juin 1785, les deux navires étaient parés pour le départ6.
Le matériel à bord des deux navires était conséquent7. Il fallait, tout d’abord, pour les besoins de la navigation et pour des corrections possibles, des livres et des cartes maritimes. Lapérouse, en homme éclairé, voulu tout ce qui était disponible en la matière, en pillant littéralement le Dépôt des Cartes et plans de la Marine : « Je vous prie de demander un ordre à M. le maréchal pour avoir du Dépôt généralement tout ce qui s’y trouve ; nous le fairons porter chés vous, nous le visiterons ensemble, j’y ajouterai ce qui manquera »8. La bibliothèque de bord est grandement composée de livres de voyages, et particulièrement des trois voyages de Cook. Ces ouvrages, permettent de progresser plus rapidement et, au besoin, de les actualiser. Il faut garder à l’esprit que l’expédition de Lapérouse a sa raison d’être dans le perfectionnement des voyages de Cook : ils sont la référence, éventuellement à compléter voire améliorer. Langle et Lapérouse jugeaient ces ouvrages indispensables, à tel point qu’ils en commandaient une grande quantité, surtout celui du troisième voyage, et demandaient à leurs officiers de s’en procurer9. Ensuite viennent des ouvrages plus techniques d’astronomies et de mathématiques. Évidemment, l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, dont l’édition se termina treize ans auparavant, avait une place de choixx.
Associés aux livres, les instruments scientifiques communs provenaient de France mais aussi d’Angleterre, l’esprit des Lumières étant apatride. Dans cette optique, Lapérouse envoya l’ingénieur en chef de l’expédition Monneron en Angleterre, se procurer divers instruments tels que des compas azimutaux, théodolites et boussoles d’inclinaison. N’arrivant pas à trouver les boussoles, et pour preuve des bons échanges entre les communautés scientifiques du moment, Monneron se les fit prêter par le président de la Société royale de Londres, Joseph Banks, célèbre érudit britannique. Pour le reste du matériel de navigation nécessaire, cercles de réflexion et horloges marines, deux savants encyclopédistes français en étaient les concepteurs : le chevalier de Borda et Ferdinand Berthoud. Il faut savoir que Borda avait remis un traité de géométrie à d’Alembert pour son Encyclopédie11. Les montres marines, qui servent à avoir une base de temps portable utile à la navigation marine pour déterminer la longitude, fabriquées par Berthoud, sont données à Lapérouse par le Roi12.
Le choix de Fleuriot de Langle est incontestable pour Lapérouse : outre le fait d’être son ami, il fut surtout son compagnon d’armes à la baie d’Hudson en commandant l’Astrée. De plus, Langle est breton, il sera sur place à Brest, pour surveiller le déroulement des préparatifs. Il influera grandement au monopole de l’équipage Breton : « dont l’équipage, composé en entier de Bretons et formé par De Langle étoit excellent, brave et tout dévoué à nous »13. C’est un des officiers les plus érudits de son époque, qui préféra au début de sa carrière se consacrer à divers travaux scientifiques, au détriment de la navigation et de son avancement militaire. En cela, il donnera un ton à ces préparatifs et les lettres qu’il envoie à Fleurieu14, lors de la tragique expédition, démontrent sa préoccupation exclusive de la navigation scientifique. Associés au directeur du port de Brest, le comte d’Hector, Lapérouse et Langle établissent le recrutement des États-majors pour les deux vaisseaux. L’objectif est de faire une large publicité sur l’aspect « grandes découvertes » de l’expédition, afin d’attirer les marins les plus « éclairés ». Cette politique volontariste atteint le résultat escompté en amenant plus de candidats que nécessaire. Les enrôleurs pourront s’attacher les services des meilleurs sujets et choisir les « individus instruits, bien portants et bien déterminés à substituer le zèle et la constance aux douceurs qu’on peut se procurer dans d’autres campagnes »15. En ce sens, seront recrutés cinq officiers par navire, reconnus pour leurs compétences scientifiques et leurs penchants humanistes. La Boussole accueille deux lieutenants de vaisseau, Clonard et Morel d’Escures ; deux enseignes, Pierrevert et Boutin ; et un lieutenant de frégate en la personne de Colinet. Quant à l’Astrolabe, elle reçoit Monti comme lieutenant de vaisseau ; trois enseignes, Vaujuas, Aigremont et Marchainville ; Blondela, lieutenant de frégate. Le reste de l’équipage est composé, comme fréquemment à cette époque, de familiers ou de marins qui avaient déjà navigué avec Lapérouse ou Langle16. Cet équipage englobe marins et soldats, excepté ici les scientifiques, la Boussole embarque 97 personnes et l’Astrolabe 106. Le bâtiment de Langle sera finalement composé de 9 officiers pour l’état-major, de 9 officiers mariniers, 8 canonniers, 11 charpentiers et voiliers, 41 matelots, 12 canonniers servants, 9 surnuméraires et 7 domestiques17. Lapérouse réunira sur la Boussole un état-major de 10 officiers, lui inclus, 8 officiers mariniers, 8 canonniers, 9 charpentiers et voiliers, 35 matelots, 12 canonniers servants, 9 surnuméraires et 6 domestiques18.
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1 Archives départementales de Rochefort, 1A 59 f. 89-92. 2 Ibid, f. 123.3 Archives départementales de Brest, 1E 215 p. 227 et 1A 46 f. 236.
4 Ibid, p. 514.
5 Archives départementales de Brest, 1E 215 p. 227 et 1A 46 f. 236. 6 Ibid, 1A 165 p. 524. 7 M. de Brossard, Rendez-vous avec Lapérouse, France-Empire, Paris, 1964, p. 285-292. 8 Archives nationales de la Marine, 3JJ 386 f. 332.9 Ibid, B4 318.
10 Ibid, 3JJ 386 f. 334. 11 M. Daumas, Les instruments scientifiques, PUF, Paris, 1953, p. 242. 12 Archives nationales de la Marine, B4 318. 13 P.-B.-J. de La Monneraye, Souvenirs, P. Bonnichon, Paris, 1998, p. 38. 14 Archives nationales de la Marine, 3JJ 389 f. 138-140. 15 Lettre du comte d’Hector au ministre, 2 mai 1785, Archives de la Marine de Brest 1A 166 f. 246. 16 P. Fleuriot de Langle, La tragique expédition de Lapérouse et Langle, Hachette, Paris, 1954, p. 87-88. 17 C. Gaziello, L’expédition de Lapérouse, C.T.H.S., Paris, 1984, p 265-267. 18 Ibid. p. 261-263.