Un organisme alternatif à l’action de l’Eglise et de l’Etat

La prise en charge problématique de la santé par l’Église et l’État

 L’action de l’Église auprès de la population se traduit par la présence de structures ouvertes au plus grand nombre dispensant des soins gratuits. C’est le cas des Hôtels-Dieu, établissements anciens datant souvent de plusieurs siècles. Ces établissements recevaient les indigents et étaient directement administrés par des congrégations religieuses comme à Toulouse. Le problème qui persiste au sein de ces hôpitaux au XIXe siècle est le manque d’hygiène. Il est dénoncé par certains médecins diplômés, qui qualifient les Hôtels-Dieu de mouroirs à cause de leur insalubrité. Institutions de service public, les Hôtels-dieu doivent faire face à une forte demande (Olivier Faure, 1993). Les soins y étant gratuits les vagabonds arrivent en nombre pour trouver nourriture et couchage, provoquant ainsi le départ des individus malades. Cette occupation de masse des locaux rend très difficile le traitement des patients, d’autant que les moyens financiers manquent et que les structures d’accueil sont trop peu nombreuses. En effet, au XIXe siècle, en France, on compte environ vingt Hôtels-dieu encore en activité, alors que la pauvreté et les maladies qu’elle entraîne touchent les trois quarts de la population de la capitale, vivant dans des conditions très précaires.

Dispensaire religieux pour enfants à la fin du XIXe siècle
Dispensaire religieux pour enfants (fin XIXe)

Paradoxalement, les hôpitaux représentent le plus grand service de santé de l’époque car au delà des Hôtels-dieu, il existe d’autres structures très proches. Il s’agit des asiles et des hospices qui assistent les vieillards démunis ou atteints de maladies ; ils prennent aussi en charge les enfants abandonnés. Les hospices et les asiles, au même titre que les Hôtels-Dieu, sont dirigés par des religieuses (Guillaume Pierre, 2000). On observe, par exemple, la présence à Tourcoing d’un hospice général, de même qu’à Nice où l’hospice de la Providence est tenu par les sœurs de Saint-Anne. Les conditions de vie, de travail et d’accueil y sont peu satisfaisantes : seules 24 sœurs en 1820 s’occupent de plus de deux cents personnes âgées, auxquelles il faut ajouter les enfants, les invalides et les malades mentaux. Le nombre important d’individus engendre un problème de promiscuité. En effet, les enfants sont logés dans l’entrée et les vieillards dans un agrandissement troglodytique peu confortable. Pour en revenir aux institutions principalement médicales, on trouve aussi les dispensaires dont le rôle et très proche de celui des hôtels-dieu. Ils sont présents un peu partout sur le territoire bien que principalement dans les aires urbaines. Leur rôle est de soigner et d’établir des diagnostics. Ils peuvent être privés ou publics et sont donc parfois payants. Les soins y sont dispensés, dans certains cas, en échange d’une somme souvent faible, destinée à couvrir certaines dépenses nécessaires (matériel médical ou aménagement de locaux). Les aides de l’État ou des municipalités sont aléatoires et insuffisantes.

La laïcisation des institutions médicales dans la seconde partie du siècle met en lumière l’obscurantisme des techniques pratiquées par les congrégations religieuses. Elles sont, en effet, marquées par la tradition et une méfiance vis-à-vis de la modernité. Celles-ci continuent de soigner à l’aide de remèdes souvent distribués à la population à travers des pharmacies illégales. Ces pharmacies ont du succès dans les campagnes car, tenues par des religieuses, elles représentent une structure de proximité et de confiance. Le problème, c’est que les sœurs n’ayant pas reçu de formation distribuaient régulièrement des médicaments périmés sans avoir conscience des risques, alors même que la demande en médicaments ne cesse de croître. C’est dans ce climat que le manque de connaissances chez les personnels soignants devient inquiétant. Au delà de la distribution de médicaments périmés, on observe au sein des institutions de soin que bien souvent l’action des religieux se résume à une assistance dans la maladie ou encore un accompagnement vers la mort.

 

La Société de Secours aux Blessés Militaires (SSBM)

En 1864, Henri Dunant, alors homme d’affaires, crée lors de la bataille de Solferino une structure destinée à intervenir auprès des blessés de guerre sous le nom de « Société de Secours aux Blessés Militaires » (SSBM). Elle est basée sur la neutralité et le volontariat (Pineau, Eledjan, 2014). Cette société intervient rapidement sur le terrain de la guerre franco-prussienne en 1870. Mais face à des divergences au sein de la structure, on assiste entre 1879 et 1881 à l’apparition de deux nouvelles branches issues de la Société de Secours aux Blessés Militaires. Il s’agit de l’Association des Dames Françaises (1879) et de l’Union des Femmes de France (1881) qui jouent un rôle déterminant durant la Seconde Guerre mondiale.

En 1884, le premier Manuel de l’infirmière voit le jour sous l’impulsion de l’Union des Dames Françaises, avec l’objectif de faciliter le fonctionnement des personnels de santé. Le nombre d’acteurs agissant au sein des institutions étant trop faible pour faire face à des situations exceptionnelles telles que les catastrophes naturelles et les guerres, la SSBM lance à partir de 1892 une grande campagne de formation auprès de la population. Le but est de recruter des bénévoles pouvant répondre rapidement à une demande de mobilisation. On note l’ouverture au plus grand nombre des formations sanitaires au cours de l’année 1912. Cela permet aux débuts de la Première Guerre mondiale de mobiliser un contingent important de bénévoles sur le champ de bataille (Larcan, 2008). C’est au cours de cette guerre que le système de bénévolat qui caractérise la Société de Secours aux Blessés Militaires va prendre tout son sens, et permet de faire face à cette situation inédite.

Manuel de l'infirmière hospitalière en 1884
Manuel de l’infirmière hospitalière en 1884

Dès le début de la guerre, les professionnels de santé sont vite débordés par le nombre de patients. En effet, le nombre d’individus ayant séjourné dans les hôpitaux au cours de la première année de guerre est estimé à environ 1 100 000. La formation de bénévoles devient donc primordiale afin de grossir les rangs, le nombre de professionnels et de religieux étant largement insuffisant par rapport au nombre de personnes nécessitant une prise en charge. C’est donc dans ce contexte que l’action de l’Union des Femmes de France, de la Société de Secours aux Blessés Militaires et de l’Association des Dames Françaises devient déterminante. Ces organismes ont mis en place de nombreuses structures d’accueil sous le nom d’hôpitaux temporaires ou auxiliaires, dans lesquels officiaient les bénévoles formés par la Croix-Rouge auprès de médecins et chirurgiens (Delaporte, 2003) en tant qu’auxiliaires de santé. Les bénévoles, afin d’acquérir le statut d’auxiliaires, devaient suivre une formation obligatoire d’une semaine afin d’assimiler les notions de base (faire des pansements, utiliser les outils classiques ou encore déplacer des malades). L’Union des Femmes Françaises s’est beaucoup investie dans la formation à travers des compléments d’enseignement auprès des infirmières et infirmiers-majors (Guillermand, 1988). Cela consistait en une formation d’un mois pour évaluer leurs capacités à réaliser de petites opérations chirurgicales concernant des fractures ou des pertes de sang. De son côté, la Société de Secours aux Blessés Militaires continue à mener les formations qu’elle avait créées à partir de 1912, en se basant sur le Manuel de l’infirmière de 1884. Cette formation pouvait déboucher sur l’obtention d’un diplôme dit de « guerre » pour les bénévoles. Cela témoigne de la volonté de professionnaliser le bénévolat durant le conflit, afin de pouvoir réagir le plus efficacement possible face aux urgences.

On observe que, sous l’action des trois organismes de la Croix-Rouge, plus de 5000 bénévoles ont été formés au début de la guerre, permettant ainsi de faire face à l’arrivée des premiers malades et blessés. Par ailleurs, la majorité des personnes soignées durant la première année de la guerre le furent par des bénévoles de la Croix-Rouge.