Le XIXe siècle voit l’apparition de nombreuses œuvres privées, qui s’ajoutent à celles qui, déjà existantes, subsistent, ou encore d’autres qui changent de voie au cours de ce siècle. Ces trois formes de mouvement marquent un siècle de forte expansion de l’aide privée, notamment observable par une laïcisation relative de l’action contre la pauvreté, comme on a également pu l’observer dans le domaine public. Certaines œuvres reçoivent également des aides de l’Etat, souvent fondamentales pour leur fonctionnement.
Qu’est-ce qui a forcé certaines œuvres à changer de voie au cours du XIXe siècle ?
Les œuvres qui se maintiennent au XIXe siècle, un cas rare mais existant
Le XIXe siècle ne marque pas la naissance de l’assistance privée, mais une période de forte expansion. Ainsi, plusieurs œuvres avaient déjà fait leur apparition avant le début du siècle, et continuent, au cours de celui-ci, dans la même voie. C’est le cas des monts-de-piété, évoqués plus tôt. D’autres œuvres ont suivi leur modèle précédent à ce siècle. On peut citer la Société Philanthropique, fondée en 1780. Agissant pour toutes sortes de pauvres, elle se caractérise par sa neutralité religieuse, ses membres n’étant pas de la même confession. Malgré des difficultés après la Révolution, la Société a donc profité de cet avantage concernant la foi pour subsister, notamment grâce aux fourneaux économiques, ancêtres des soupes populaires mis en place très tôt et qui sont restés très utilisés tout au long du siècle. En 1812, déjà, plus de 4,3 millions de repas étaient distribués au cours de l’année1, preuve de la rapidité avec laquelle l’action est devenue efficace.
Nouvelles œuvres, entre assistances novatrices et accumulation de mêmes aides
Mais la force des œuvres déjà existantes ne veut pas dire qu’il n’y en a pas de nouvelles au cours du XIXe siècle, au contraire. L’une des plus importantes est la société de Saint-Vincent-de-Paul, créée en 1834 par Frédéric Ozanam. Les membres de la société veulent aider le pauvre mais, à travers cette main tendue, s’aider eux-mêmes à trouver le chemin de Dieu. Ils mettent en place une aide novatrice, le secours à domicile, qui les rend à la fois populaires et efficaces. Très vite, la société grandit, comptant 7 000 membres en 1844 et 32 500 en 1860, selon Jean-Baptiste Duroselle2. La société de Saint-Vincent-de-Paul n’est qu’une œuvre parmi un nombre important à apparaître au XIXe siècle. Paradoxalement, c’est un problème : Il y en a trop. En 1819, les dirigeants de la Société Philanthropique sont déjà obligés de publier un Annuaire de la Société Philanthropique, qui énumère toutes les œuvres existantes. Vers la fin du siècle, la problématique de la clarification du nombre d’œuvres réapparaît. Un problème qui n’est pas arrangé par la diversification des œuvres, qui ne visent plus alors à aider les pauvres en général mais privilégient l’aide à une catégorie en particulier. Ainsi, les œuvres consacrées aux femmes et aux enfants sont très courantes, et indissociables puisque l’aide aux femmes se fait souvent auprès des femmes enceintes ou des mères-filles. Les vieillards, handicapés physiques ou mentaux, et enfin les « pauvres honteux », souvent des personnes ayant vécu dans une situation sociale plus élevée et ne supportant pas leur pauvreté, bénéficient aussi d’oeuvres privilégiées. C’est ainsi qu’au XIXe siècle, des tentatives de solutions apparaissent pour tous les pauvres, par l’apparition de nouvelles œuvres.
Face à l’Etat, la mutation ou la disparition
Mais d’anciennes œuvres mènent aussi à cela, par leurs mutations au cours du siècle. On voit notamment que les Sœurs hospitalières, qui avaient jusqu’alors un rôle important dans la direction des hôpitaux, le perdent et ne sont plus aptes qu’à prodiguer les soins aux pauvres. D’autres actions renforcent encore leur fonction charitable, leur côté catholique, et ont recours à une figure paternelle.
Les plus marquantes de ces figures sont Jean-Frédéric Oberlin, pasteur luthérien dont l’action a été relayée par de nombreux protestants français, ou encore Soeur Rosalie, dont l’action dans un seul quartier de Paris a été relayée à une bien plus grande échelle. On voit également des cas différents, d’oeuvres qui ont dû muter, mais non pas par obligation. Plutôt par succès, comme les Filles de la Charité, fondées par Saint-Vincent-de-Paul en 1634 et qui ont vu leur effectif exploser au XIXe siècle au point de créer des bureaux plus locaux et d’offrir ainsi une aide plus humaine et plus palpable aux pauvres. Ainsi, les mutations ont été nombreuses, pour des raisons différentes et dans des voies différentes, au XIXe siècle. Sectarisme, laïcisation ou redéfinition des œuvres étaient d’actualité. Cependant, d’autres n’ont pas réussi à tenir. En effet, d’autres œuvres n’ont pas eu la chance de savoir comment muter ou n’ont pas osé se montrer plus sectaires, et sont contraintes de disparaître. C’est ce qui arrive à la Société des bonnes œuvres, qui subit de plein fouet les suites de la Révolution de 1830, précipitant sa fin.
1 A. Gueslin, Gens pauvres, pauvres gens dans la France du XIXe siècle, Paris, Aubier, 1998, p. 191
2 J.B. Duroselle, Les débuts du catholicisme social en France (1822-1870), p. 174