L’hygiène à bord : un enjeu essentiel
Au XVIIIe siècle l’hygiène à bord d’un navire était très mauvaise et tout particulièrement dans les parties fermées, comme l’entrepont. Une forte puanteur y régnait et les parasites y proliféraient. Les navires étaient infestés de vermines comme des rats ou des punaises. De plus, les marins souffraient de l’humidité ambiante permanente, leurs vêtements étaient souvent humides ou mouillés mais ils ne pouvaient pas les faire sécher et dormaient en plus avec puisqu’ils n’avaient pas de vêtement de rechange.1 Le fond de la cale était bien souvent rempli d’eaux diverses telles que l’urine des animaux et même des hommes lors des tempêtes, ou de l’eau de mer qui arrivait à s’infiltrer dans la coque. On appelait cela le « marais nautique ». Parfois, les pompes avaient des difficultés à l’assécher, il fallait alors que les matelots le vident, le plus souvent en rade.
En plus de la mauvaise hygiène, les marins devaient aussi endurer un terrible inconfort, dû notamment à la promiscuité, ce qui rendait le vivre ensemble difficile. Ainsi, il pouvait y avoir jusqu’à 1000 hommes sur un navire de guerre, ce qui laissait à chacun entre 2,5 et 4,5 m². De plus, les matelots ne dormaient pas dans des cabines comme les officiers mais dans des hamacs (les « branles »), entassés dans l’entrepont où il faisait sombre puisqu’on avait peur des incendies, ce qui interdisait l’éclairage et où il fallait se courber pour pouvoir circuler.2
Ainsi, ce grand manque d’hygiène était un facteur important dans l’apparition et la transmission de maladies variées et, pour certaines, mortelles. C’est dans ce contexte qu’une nouvelle orientation apparaît dans la médecine navale à la fin du XVIIIe siècle et dure jusqu’à la moitié du XIXe : le courant hygiéniste. On cherche alors à améliorer l’hygiène à bord pour préserver l’équipage des maladies. On expérimente puis utilise ainsi des nouveaux systèmes de nettoyage et de ventilation de la cale, on privilégie le couchage individuel et le port d’un uniforme. Pour purifier l’air, les navigateurs utilisaient également des parfums comme le genièvre, le vinaigre, ou encore de la poudre de canon.3
Pour éviter que l’équipage ne tombe malade, Louis XVI avait donné à Lapérouse des instructions sur l’hygiène à bord, par écrit, dans « Le Mémoire du Roi pour servir d’instruction au Sieur Lapérouse », dans une partie intitulée : « des précautions à prendre pour conserver la santé des équipages ». Le roi donne des instructions de propreté du navire et des équipages comme dans cet extrait : « Il fera tous les jours, s’il le peut, exposer à l’air libre les hamacs et les hardes des équipages »4. L’hygiène sur l’Astrolabe et la Boussole était donc bien meilleure que sur la plupart des autres navires de cette époque. 5
Santé : prévenir et guérir les maladies
Au XVIIIe siècle, il existait beaucoup de maladies, dont certaines étaient liées aux voyages au long cours : le choléra, la dysenterie, la fièvre jaune, la malaria, le typhus ou encore les maladies vénériennes. Mais c’est le scorbut qui, au XVIIIe siècle, était le principal fléau des navigateurs.6 Le scorbut est une maladie carentielle due à un manque de vitamine C, contenue principalement dans la nourriture fraîche comme les fruits et les légumes, des éléments qui faisaient défaut lors des voyages au long cours à cette époque. Ses symptômes sont notamment la chute des dents, des lésions cutanées douloureuses, un noircissement de la peau, une atteinte respiratoire, enfin une hémorragie jaillissant du nez et de la bouche. Le scorbut est connu à partir du XVIe siècle mais à ce moment-là, les navigateurs comprenaient seulement que s’ils ne se ravitaillaient pas en nourriture fraîche environ tous les 70 jours, le scorbut, alors connu comme « peste des mers », apparaissait parmi les membres de l’équipage, qui pour la plupart, en mourraient.
Lors de son expédition, Lapérouse a bien essayé de faire escale sous 70 jours, mais il a dépassé ce délai 6 fois. Pourtant, il n’a eu à son bord que de rares malades, dont un seul du scorbut. En effet, une des premières préoccupations du navigateur a toujours été la santé de son équipage, qu’il a réussi à conserver grâce à ses deux chirurgiens : Rollin et Lavo. On peut constater que Lapérouse avait compris une bonne partie du fonctionnement du scorbut dans sa dernière lettre, adressée à M. de Fleurieu : « je suis assuré que l’air de la mer n’est pas la principale cause de cette maladie, et qu’on doit bien plutôt l’attribuer au mauvais air des entreponts, lorsqu’il n’est pas fréquemment renouvelé, ou plus encore à la mauvaise qualité des vivres. »7 Lapérouse, ainsi que ses chirurgiens, valorisaient donc la médecine préventive, ce qui s’est révélé d’une efficacité remarquable. Ainsi, à chaque escale, l’équipage se ravitaille le plus possible en vivres frais. Par exemple, lorsqu’ils arrivent à l’île Saint-Catherine, chaque navire mange environ 800 oranges par jour.8 En plus de cela, Lapérouse utilise des éléments réputés à cette époque comme antiscorbutiques, comme l’essence de spruce, le malt, le levain, les sels antiscorbutiques, la mélasse ou encore la choucroute. Lapérouse s’est cependant beaucoup inspiré du navigateur britannique James Cook, pour les mesures sanitaires, les escales régulières et les remèdes antiscorbutiques.
Il arrivait également que certains matelots que l’on recrutait n’avaient pas une assez bonne santé pour monter à bord, ce qui aggravait encore leur probabilité de mourir. Mais pour le recrutement de l’expédition de Lapérouse, on veilla très sérieusement à ce que chaque membre de l’équipage soit en parfaite santé. Pour savoir si les marins étaient expérimentés, on examinait leur dentition qui était de plus en plus mauvaise à chaque voyage, à cause notamment du scorbut.9
Les chirurgiens : formation, rôle sur le navire, outils
Ce n’étaient généralement pas des médecins qui embarquaient sur des navires pour conserver la santé des équipages au XVIIIe siècle mais des chirurgiens. Les médecins étaient rares mais très importants puisque c’étaient eux qui faisaient des recherches en médecine et publiaient des thèses sur le fonctionnement des maux et les moyens de les guérir.
Trois écoles de médecine navale sont créées au XVIIIe siècle : l’École de Médecine navale de Rochefort (1722) sert de modèle à celle de Brest (1731) et à celle de Toulon (1741) et le doctorat de chirurgien est créé en 1789. Ces écoles ont pour rôle de former des médecins et des chirurgiens de la Marine : on y apprenait les opérations indispensables à bord (trépanation, amputation), ainsi que l’anatomie et la dissection.10 Il existait trois types de chirurgiens de la marine : les entretenus, les volontaires et les levés. Comme on manquait de chirurgiens entretenus, on faisait appel aux chirurgiens volontaires, biens moins expérimentés et sans diplômes. Et lorsque l’on manquait encore de personnel, on procédait alors à des levées qui forçaient des chirurgiens inexpérimentés à embarquer. L’expédition Lapérouse avait emporté deux chirurgiens-majors (Rollin et Lavo) et deux seconds chirurgiens (Guillou et Le Corre), ainsi qu’un médecin (Joseph de la Martinière).
Les apothicaires, aujourd’hui pharmaciens, sont apparus encore plus tardivement puisque le Corps des Apothicaires de Marine a été créé en 1767 seulement. Ils embarquaient parfois sur les navires où leur fonction était de préparer et d’administrer les remèdes.11 Il existait aussi des chirurgiens dentistes qui devaient extraire les dents mobiles, mais aussi appliquer des produits pour conserver l’hygiène bucco-dentaire comme de l’eau vinaigrée ou encore de « l’eau de vie de gaïac » qui faisaient office de dentifrice.12
Les chirurgiens emportaient nécessairement sur les navires des coffres de mer. Ces derniers contenaient des médicaments ou « drogues » et des instruments de chirurgie. Les drogues étaient principalement des végétaux comme la rhubarbe, le quinquina, ou encore la camomille. Elles pouvaient être sous forme de pilule, de sirop, d’onguent ou d’huile. Les ustensiles de chirurgie servaient entre autres aux amputations et aux trépanations : scie, scalpel, vilebrequin, trépan, ciseaux, bistouris, …13 Les coffres de mer de l’expédition de Lapérouse sont conçus à l’hôpital de Brest en juillet 1785. Ils sont complets, de très bonne qualité pour l’époque et contiennent des éléments modernes comme de l’éther ou du coton, présent dans un coffre de mer pour la première fois.14
1 Lutton C., Sur les traces de Lapérouse au large de Vanikoro : apport de l’odontologie légale aux fouilles archéologiques, Nantes, 2007, Université de Nantes, pp. 174-177
2 Pluchon P., Histoire des médecins et pharmaciens de marine et des colonies, Privat, 1985, pp. 19-21
3 Ibid. , pp. 24-30
4 Ferloni J., Pernoud G., Lapérouse : voyage autour du monde, Paris, 2005, Collection Thalassa, p. 18.
5 Bérard P., Le voyage de La Pérouse : itinéraire et aspects singuliers, Albi: un Autre reg’art, 2010, pp. 47-49
6 Pastoureau M., Voies océanes de l’ancien aux nouveaux mondes, Paris, 1990, 192 p.
7 « Lettre de Lapérouse à Fleurieu », Botany Bay, 7 février 1788.
8 Kernéis J.P., « La médecine préventive, quantitative, escalaire de Lapérouse », in Association Salomon, Le Mystère Lapérouse ou le rêve inachevé d’un roi , Paris, 2008, p. 73-81
9 Lutton C., Sur les traces de Lapérouse au large de Vanikoro, op. cit., pp. 174-179.
10 Borgomano A., « Les médecins de la Marine et la faculté de médecine de Montpellier », 2011 (retranscription de la conférence donnée à l’Académie des Sciences et des Lettres de Montpellier : http://www.ac-sciences-lettres-montpellier.fr/academie_edition/fichiers_conf/BORGOMANO2011.pdf)
11 Vergé-Franceschi M. (dir.), Dictionnaire d’histoire maritime, Paris, Robert Laffont, 2 vol., 2002.
12 Lutton C., Sur les traces de Lapérouse au large de Vanikoro, op. cit., pp. 179-195.
13 http://parvaefabulaeinhistoria.over-blog.com/article-2219069.html : « Médecine de Marine au XVIIIe siècle », auteur anonyme, 2006 (article d’un site consacré à l’Histoire, la généalogie, l’architecture médiévale, et aux citations).
14 Romieux Y., … A-t-on des nouvelles de Monsieur de Lapérouse ? Association Salomon, Nouvelle Calédonie , p. 185.