L’Amérique des Espagnols, un domaine immense mais menacé.
Tout au long du XVIIIe siècle, les Espagnols dominent théoriquement tous les littoraux de l’Amérique du Sud ainsi que le Pacifique avec ses îles, soit un espace maritime immense avec des ressources considérables et une population nombreuse. L’exception la plus ancienne et la plus étendue à la domination hégémonique de l’Espagne sur l’Amérique du Sud est l’empire Portugais. Comme l’indique la carte ci-dessous, l’Amérique Latine est partagée depuis le traité de Tordesillas de 1494 entre l’Espagne et le Portugal.
Les querelles viennent d’abord de l’imprécision des limites des zones d’influence. Les Espagnols détiennent certes la plus grande partie du nouveau continent comme on peut le constater sur cette carte, mais les Portugais ont progressé sensiblement vers l’ouest dans la première moitié du XVIIIe siècle. Ils ont repoussé les frontières initiales des possessions espagnoles dans la Plata (Argentine et Pérou). On trouve dans cette région deux petits centres urbains: Buenos Aires, ville espagnole sur la rive droite du Rio de la Plata et Sacramento, ville portugaise sur la rive gauche 1.
Dans son ouvrage Le 18e siècle, l’historien Noël Blayau évoque « les bandeirantes espagnols », qui sont les hommes de terrain pénétrant à l’intérieur du Brésil à la recherche de richesses minérales et qui sont responsables de la capture d’au moins 60 000 indigènes ainsi que de la destruction des missions jésuites du Gaira et du Rio Grande do Sul au Brésil. D’une façon générale, l’économie coloniale s’est profondément transformée au cours du XVIIIe siècle. Avec le lent épuisement des ressources minérales, l’exploitation se porte vers les ressources végétales. Parti des Antilles, ce mouvement se répand largement autour du golfe du Mexique vers l’Amérique Latine et l’Amérique du Nord.
Cette transformation dans laquelle la main-d’œuvre joue un rôle primordial, s’accompagne d’un grand mouvement d’immigration d’ Européens venus prendre la tête d’exploitations agricoles et d’esclaves africains déportés dans toutes les Amériques. Les jésuites des colonies Ibériques ont encouragé la fondation de colonies indigènes organisées en républiques souvent prospères notamment autour des fleuves de Panama et au Paraguay. Le commerce colonial se transforme grâce au trafic intense de denrées tropicales (sucre, rhum, bois, cacao…) comme l’indique la carte ci-dessus et s’accompagne de modifications de l’équilibre entre puissances mondiales. Si l’Espagne conserve ainsi un immense domaine, elle semble de plus en plus incapable d’organiser le développement économique de ses colonies. Dorénavant, la lutte pour la maîtrise économique des océans oppose surtout la France et la Grande-Bretagne.
L’enjeu aux Antilles
Les Antilles présentent un résumé assez complet des rivalités entre les puissances maritimes, la plupart de celles-ci y ont des possessions et veulent les étendre, celles qui n’en ont pas cherchent à en avoir ou du moins à contrôler une partie du trafic. La dernière grande guerre de Louis XIV, la guerre de succession d’Espagne dure de 1701 à 1714. Philippe V, petit fils de Louis XIV, monte sur le trône d’Espagne en 1701, il cède à la France le monopole de la traite négrière vers les colonies espagnoles, c’est ce que l’on appelle « l’asiento », en échange la France paye une redevance. A la fin de la guerre, la France doit céder Saint-Christophe, la première colonie Française des îles d’Amérique à l’Angleterre.
Le territoire Français reste cependant important aux Antilles. Mais l’Angleterre est nettement supérieure en mer et obtient de l’Espagne le monopole de l’asiento. Au final, l’Angleterre est la grande gagnante de la guerre, tandis que l’Espagne, qui doit céder une grande partie de son territoire, en ressort perdante. Avec Louis XV, commence une période de paix avec l’Angleterre et l’Espagne. Les ports français s’ouvrent au commerce vers les Antilles 2 .
De nombreux français partent pour les îles, parmi lesquels des marginaux et des vagabonds. Les ports de Nantes et de Bordeaux deviennent d’importants centres de traite négrière. Les îles à sucre apportent à la France une grande prospérité économique. Saint-Domingue, territoire peuplé en grande majorité d’esclaves devient l’une des colonies les plus riches d’Amérique avec des exportations de sucre qui finissent par dépasser celles de l’ensemble des îles britanniques, et par devenir les premières mondiales. La Martinique est également en plein essor et la Guadeloupe recommence à prospérer. Boucaniers et flibustiers ont complètement disparu, beaucoup sont devenus planteurs, d’autres ont rejoint la piraterie dans l’océan Indien 3.
L’importation d’esclaves commence à prendre des proportions énormes dans les colonies françaises avec l’introduction de la canne à sucre, le système esclavagiste français se met en place, entre 1713 et 1791, un million d’Africains arrivent dans les Antilles françaises comme le montre cette carte ci-dessous.
Pendant la guerre de Sept Ans, aux Antilles, l’Angleterre s’empare de la Grenade, de la Dominique et de la Guadeloupe, cela contribue au bouleversement de l’empire colonial français. Pendant les quatre années d’occupation anglaise de la Guadeloupe, les Anglais y font entrer massivement des esclaves et les exportations de sucre connaissent un énorme essor. En 1762, les Anglais prennent possession de la Martinique. Le Royaume d’Espagne, allié de la France, est également attaqué : la même année, les britanniques arrivent à Cuba et occupent la Havane, qu’ils ouvrent au commerce avec l’étranger et à l’importation d’esclaves à une plus grande échelle.
Lors du traité de Paris de 1763 qui conclut la guerre de sept ans, l’Angleterre conserve Anguilla, Saint-Christophe, Antigua, Barbuda, Montserrat, la Barbade, la Dominique, Saint-Vincent, Tobago et la Grenade. La Havane est rendue à l’Espagne. La France, humiliée après la perte du Canada, de la Louisiane ainsi que de ses colonies des Indes va réussir à conserver Saint-Domingue, la Guadeloupe, Saint-Barthélémy, la Martinique et Sainte-Lucie. L’empire colonial français est devenu quasi-inexistant, la France doit tirer le maximum de ce qu’il lui reste, les « Îles à Sucre » et pour cela, elle développera considérablement le trafic d’esclaves.
L’Amérique du nord, lieu de conflit franco-anglais
Au XVIIIe siècle, la France et la Grande-Bretagne « exportent leurs hostilités dans les colonies ». Chacun cherche à s’approprier le monopole du commerce en Amérique du Nord, ce qui va créer une rude concurrence entre marchands anglais et français autour des Grands Lacs, de la Baie d’Hudson et le long de la vallée de l’Ohio. Cette concurrence ne tarde pas à se transformer en guerre ouverte. Le traité d’Utrecht, en 1713, permet à l’Angleterre d’élargir son champ d’action en Amérique du Nord au détriment de la France qui perd la Baie d’Hudson au Canada, Terre Neuve et l’Acadie. L’Angleterre se fait l’alliée de la puissante tribu des Iroquois qui entrent plusieurs fois en lutte avec les Français de la Louisiane à l’Illinois, au nord. Ces conflits épisodiques marquèrent donc tout le début du XVIIIe siècle 4.
Un premier conflit éclata à partir de 1743 lors de la rupture franco-anglaise en Europe pendant la guerre de Succession en Autriche. De 1745 à 1748, les Anglais infligent de grandes défaites aux Français mais la paix de 1748 rétablit un certain équilibre. Le traité d’Aix-la-Chapelle doit mettre en place une trêve entre les deux ennemis mais les rapports ne s’améliorent pas. La guerre de Sept Ans (1756-1763) éclate entre les deux puissances et devient, par le jeu des alliances, un conflit européen. La rivalité franco-anglaise en Amérique du Nord prend une ampleur nouvelle qui s’achève en désastre pour la France. Le premier caractère de cet ultime conflit réside sans doute dans l’aveuglante disproportion des forces en présence. Sur mer, l’Angleterre dispose d’une supériorité écrasante, 90 vaisseaux de ligne, 70 frégates. L’ensemble du gouvernement Anglais va dans le même sens dans sa politique de lutte coloniale 5 .
En France, les efforts des secrétaires d’État à la Marine, Maurepas, Rouillé et Machaut d’Arnouville sont constamment paralysés par l’état catastrophique des finances. Machaut d’Arnouville est le seul à vouloir une guerre maritime contre l’Angleterre. De plus, les forces françaises sont de 9 000 hommes en Amérique et celles des anglais comptent environ 35 000 hommes. Le nombre très limité de colons français ne leur donne aucune aide et ils sont forcés de reculer de position en position pour laisser place à l’écrasante force anglaise. La France n’est pas la seule nation à supporter les conséquences de la guerre : les Espagnols qui rentrent dans la guerre en 1762 ne peuvent s’opposer à la prise de La Havane par l’Angleterre.
Au printemps 1762, la France ne conserve que Saint Domingue, la Louisiane et les Mascareignes dans l’océan Indien, sa flotte de guerre est anéantie. Choiseul, secrétaire d’État aux Affaires étrangères depuis 1758 et à la marine depuis 1761 cherche donc à négocier avec l’Angleterre. Après la victoire anglaise, le traité de Paris est signé par Louis XV, le 10 février 1763. La France perd la grande majorité de ses possessions coloniales cédées à l’Angleterre : De la Nouvelle France, il ne reste que le droit de pêcher dans l’estuaire du Saint Laurent et sur la côte de Terre Neuve et Saint Pierre et Miquelon comme on peut le constater sur cette carte ci-dessous.
La France abandonne la Louisiane occidentale à l’Espagne au moment où la colonisation religieuse des franciscains espagnols progresse en direction de la baie de San Francisco. La France perd donc son premier Empire colonial qui est réduit à 36000 km² et ne compte plus que 12 000 habitants. Le traité de Paris est plus considéré comme une humiliation politique qu’un désastre colonial, la prépondérance maritime de l’Angleterre est écrasante.
L’Orient, nouvelle cible des nations européennes
1 Philippe Haudrère, Le grand commerce maritime au XVIIIe siècle, Paris, Sedes, 1997, p. 11-13
2 Paul Butel, Histoire des Antilles Françaises : XVIIe-XXe siècle, Paris, Perrin, p. 322-330.
3 Raphaël Nicole, Histoire des Antilles Françaises (Des Amérindiens à nos jours), Paris, De la Frise, chapitres 5 et 7.
4 Alain Cabantous, Européens et espaces maritimes au XVIIIe siècle, Historiens et géographes, 1996, n°353, p. 271-282.
5 Élise Marienstras, Naomi Wulf, Révoltes et révolutions en Amérique, Paris, Atlande, 2005, p.33.