Un marché se met en place autour du commerce maritime au XVIIIe siècle

 Un Commerce en émergence avec de nouveaux intérêts 

      Le XVIIIe siècle est considéré comme l’apogée des transports maritimes mondiaux. En effet, les pays influents de l’époque changent de cap et se tournent vers l’autre visage du commerce, les échanges maritimes. Alors que les grandes monarchies se dirigeaient presque exclusivement vers le trafic terrestre (à l’exception de l’Angleterre) la découverte des différents intérêts en jeu modifie leur philosophie.

Les enjeux sont tout d’abord diplomatiques. La prise de possession de territoire et l’installation de colonies permettent à un pays de montrer sa présence à ses rivaux. C’est aussi un gage de puissance puisque ce commerce coûte cher et n’est pas à la portée de toutes les nations. Le commerce maritime est un nouveau moyen pour les souverains d’affirmer leur grandeur et leur divine puissance, d’où les rivalités naissantes quant à l’attribution de ces nouveaux territoires.

De plus, l’autre enjeu pour le moins majeur est la question économique. Le commerce maritime permet le transfert de marchandises qui enrichissent les pays européens. Les principaux produits importés par les puissances maritimes sont le sucre, le café, l’indigo, le coton… Ainsi à la veille de la Révolution, les « îles d’Amérique » envoyaient en France prés de 185 millions de marchandises et importaient pour 78 millions de produits de la métropole, surtout des objets manufacturés, des comestibles, des vins et eau-de-vie. Le commerce triangulaire est également un facteur de cet enrichissement puisque le transport d’esclaves noir d’Afrique vers les colonies permet de cultiver massivement les plantations des Amériques et donc d’extraire les produits qui seront envoyés vers le vieux continent. Ainsi, la chambre de commerce de Bordeaux déclare en 1789 : « La France a besoin de ses colonies pour soutenir son commerce, et par conséquent d’esclaves pour faire fleurir l’agriculture dans cette partie du monde ».

L’émergence de ce nouveau type de commerce permet aussi le développement des ports tels que Bordeaux et Nantes en France, et Liverpool et Londres en Angleterre. Ils prennent de l’ampleur grâce aux marchandises qui arrivent des colonies et s’enrichissent en revendant ces produits. Par exemple, à la fin de l’Ancien Régime, la France est un pole de redistribution des produits tropicaux, ces derniers représentent prés de 40% de son commerce extérieur.

 Carte de l’isle de jamaique aux Anglais , Philippe Buache, 1740, bibliothèque nationale de France.

Carte de l’isle de jamaique aux Anglais , Philippe Buache, 1740, bibliothèque nationale de France.

Les politiques économiques des grandes puissances mondiales

Malgré de nombreux contretemps dus à des difficultés économiques et à l’instabilité politique au début du XVIIIe siècle, la France se tourne vers les océans. Ce développement, bien que tardif,  est marqué par la nomination au poste de secrétaire d’Etat de Maurepas en 1723 qui lance véritablement la politique d’expansion maritime de la France. Son plan consiste notamment à mettre en avant l’innovation technique en ce qui concerne la construction des bateaux et il s’appuie donc sur les grands savants de son époque. Cette politique est poursuivie par plusieurs personnages tels que Colbert, Choiseul ou encore Sartine qui multiplie les réorganisations, comme par exemple, celle du conseil du commerce en 1730. La France grandit et devient très vite un acteur important dans les océans.

En ce qui concerne l’Angleterre, elle mène la même politique depuis plusieurs siècles à savoir une politique commerciale tournée pleinement vers les mers et les océans. Elle affirme sa suprématie au cours du XVIIIe siècle au point de passer devant la Hollande, qui est la grande nation maritime du XVIIe siècle. En effet, contrairement à la France, le dynamisme du commerce britannique repose sur des marchés nouveaux comme l’Amérique mais aussi sur la révolution industrielle qui a lieu en Angleterre. Cette dernière permet une modernisation inédite de la marine puisque le développement de l’industrie charbonnière repose sur le transport par bateaux. Ainsi, l’Angleterre devient le marché principal de la sidérurgie au XVIIIe siècle car l’importation de charbon et de fer est indispensable à la sidérurgie britannique.

Le lancement du Cambridge, John Claveley, 1757, huile sur toile, 121.9 x 187.9, national maritime museum, Greenwich

Le lancement du Cambridge, John Claveley, 1757, huile sur toile, 121.9 x 187.9, national maritime museum, Greenwich

Tout comme les Anglais, les Hollandais sont également très actifs sur les mers, notamment en ce qui concerne le commerce. En effet, leur politique s’appuie sur l’exportation, principalement en Europe occidentale, et ce grâce à leur grande réserve en grain. Les céréales sont des produits d’un grand intérêt puisqu’elles disposent d’un large marché et cela permet d’étendre l’hégémonie hollandaise au travers de l’Europe. Cependant, les céréales ne sont pas les seuls produits exportés par la Hollande. Elle exporte aussi du sel qui est un autre produit important du XVIIIe siècle car sa demande est forte notamment pour approvisionner les pêcheries. Les transporteurs hollandais, très actifs, s’imposent progressivement jusqu’à supplanter toutes les autres flottes. On voit ici que la politique maritime hollandaise est avant tout tournée vers l’exportation, elle utilise ses grandes richesses en denrées alimentaires pour développer son économie, sa flotte et étendre son influence en Europe mais aussi dans le monde.

Enfin, l’Espagne, grande puissance maritime du XVIe et XVIIe siècle, s’effondre complètement au niveau de son économie. En effet, elle a connu plusieurs banqueroutes consécutives et tente de se redresser comme elle le peut. Elle délaisse par conséquent sa politique maritime ainsi que son influence sur les mers et les océans.

Nous voyons donc que chaque pays a une politique spécifique pour son commerce maritime. Certains, comme la France, cherchent à faire surface et à développer cette partie de leur économie alors que d’autres, c’est le cas de l’Angleterre et de la Hollande, sont déjà confortablement installées dans ce commerce là. Leur domination est due aux fonds importants investis dans les ports et les industries mais aussi au fait que les Anglais et les Hollandais ont mis en place cette politique il y a quelques siècles déjà. Enfin, certaines nations s’écroulent complètement en raison du coût trop important que représente ce marché.

 Les objectifs du voyage de Lapérouse

           L’expédition de Lapérouse répond principalement à une ambition économique du roi de France. Bien qu’au XVIIIe siècle, les voyages revêtent des finalités diverses, celui de l’expédition de Lapérouse a pour but la recherche d’une nouvelle ère commerciale. L’apparition de nouvelles cartes de plus en plus détaillées permet une connaissance précise des océans. Les puissances européennes, comme ici au travers le cas de Louis XVI et le navigateur Jean-François Galaup de Lapérouse, poussent donc leurs expéditions de plus en plus loin. Cette ambition économique passe par la découverte de régions. A travers ces expéditions, le roi espère trouver des zones riches en ressources comme les mines d’or, d’argent, ou encore le bois (très important pour la création d’une flotte navale) qui  manque cruellement à la France. Il espère par la suite établir des comptoirs français afin de s’approprier les ressources et de mettre en place un réseau commercial maritime[1]. Le roi recherche aussi dans ces zones les peaux et fourrures qui permettent de favoriser le commerce de pelleteries, c’est à dire de peaux et fourrures de par la création de liens commerciaux avec le Japon et le Cathay, l’ancien nom donné à la Chine. Ces fourrures rapportent beaucoup à la France, par leur caractère exotique, elles sont prisées par la noblesse et la haute bourgeoisie française en tant que mode vestimentaire.

De plus, en France, l’apparition des Lumières et de leurs idées de découvertes réveillent la curiosité de la population. Cela se fait ressentir sur le plan intellectuel, le royaume connaît des innovations et des développements dans divers milieux comme scientifique, social, ou encore économique. Les océans sont synonymes d’aventure pour beaucoup de Français mais représentent également le mystère. Le roi lui même, qui a eut une éducation poussée dans des disciplines telles les langues, l’économie, la géographie, l’astronomie, la géométrie, éprouve une grande curiosité intellectuelle. Louis XVI se passionne pour l’exploration et admire le capitaine anglais Cook. Son goût est si important, qu’il prépare lui -même les instructions destinées au voyage de 1885 de Jean- François de Lapérouse le 29 juin[2].  Cependant, les expéditions permettent aussi de vérifier la présence d’un ennemi potentiel et s’il n’a pas établi de base dans la région explorée. Tout au long de son expédition, il prend des notes, rédige des rapports, esquisse des dessins et des illustrations de ces régions totalement étrangères avec l’aide de spécialistes cités ci-dessous. Les études faites sont envoyées par la suite à Versailles afin de rendre compte au roi des découvertes faites et de la progression de l’expédition.

 


[1] POUSSOU Jean-Pierre, Espaces coloniaux et espaces maritimes au XVIIIe siècle, SEDES, 1998, p 201

[2] BELY Lucien,  La France Moderne, ed. Puf, chap. Vers la crise économique.