Le voyage de Bougainville

Le 16 mars 1769, la Boudeuse mouille dans le port de Saint-Malo, deux ans, quatre mois et un jour après avoir quitté celui de Nantes. Ce voyage, certes rapide, a cependant été marqué par de nombreuses escales tout au long de cette première tentative française de Tour du Monde.

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Développement de la Route des Vaisseaux du Roy La Boudeuse et L’Etoile autour du Monde (gallica.bnf.fr )

 Le 15 novembre 1766, la Boudeuse part donc de Nantes. Cette frégate est commandée par Louis-Antoine de Bougainville, nommé par le roi pour diriger cette circumnavigation. Mais le voyage débute mal et, très vite, la Boudeuse est victime d’une avarie. Le navire prend donc la destination de Brest, où il reste immobilisé quelques jours. Le 6 décembre débute réellement le Tour du Monde, quand la frégate quitte le port breton et les eaux françaises.  

Le 9 janvier, la Boudeuse passe l’Équateur. La frégate entre donc dans l’hémisphère Sud, dont elle ne sortira plus avant près de 18 mois. Le navire continue sa route vers le Sud et les Malouines qui représentent pour Bougainville le premier point important de l’expédition.  

Bougainville avait pris possession de ces îles pour la France quelques années plus tôt, mais il a reçu l’ordre du roi Louis XV de les céder à l’Espagne. Cette restitution a lieu le 1er avril 1767. Une fois à terre, Bougainville explique aux colons qu’il a fait s’installer sur l’île au moment de la prise de possession qu’ils peuvent rester, sous la domination des rois catholiques, ou monter à bord de la Boudeuse, qui les emmènerait à Rio, d’où ils pourraient rentrer en France. Peu de familles font le choix de rester.         

Le 2 juin, la frégate reprend la mer en direction de Rio de Janeiro. C’est là-bas, le 13 du même mois, qu’arrive l’Étoile. Flûte du roi, elle avait été annoncée à Montevideo puis aux Malouines, mais sa vitesse réduite par rapport à celle d’une frégate l’avait empêché d’arriver à temps pour retrouver la Boudeuse. C’est donc à Rio que le rendez-vous s’effectue, le 22 juin, jour du mouillage de cette dernière frégate dans les eaux brésiliennes. Cette rencontre n’arrange pas Bougainville, puisqu’il estimera dans son carnet de voyage que les rendez-vous fixés et l’attente de la flûte lui ont fait perdre près de 9 mois sur les 26 qu’a duré le voyage. Ce temps perdu, qu’il ne put pas rattraper, l’empêcha d’accomplir ses principaux objectifs.  

Le voyage ne s’attarde donc pas à Rio, d’où repartent les deux navires le 15 juillet, à peine plus d’un mois après l’arrivée de l’Étoile. L’escale à Montevideo, la suivante, est bien plus longue : elle s’étend du 31 juillet au 15 novembre, soit 3 mois et demi. Vingt jours plus tard après avoir repris la mer, la Boudeuse pénètre dans les Mers du Sud par le Détroit de Magellan. Le passage du détroit est très compliqué, le temps étant exécrable et le vent souvent contraire. Il faut plus d’un mois aux deux navires pour en sortir. 

En mars, après avoir découvert plusieurs îles depuis son entrée dans le Pacifique, Bougainville voit son attention se porter sur l’une d’elles en particulier. Il la nomme Nouvelle-Cythère, en référence à une île grecque, Cythère, île dédiée à la déesse de l’Amour, Aphrodite. L’équipage est sous le charme de cette vision, et le commandant du voyage n’hésite pas à comparer l’île au Jardin d’Eden. Cet émerveillement pousse la Boudeuse et l’Étoile à mouiller à proximité des côtes de cette île, aujourd’hui appelée Tahiti.  

Il s’agit de la dernière escale de grande importance du voyage, bien que les navires n’y restent pas longtemps, à savoir 9 jours. A bord de la Boudeuse, un nouveau passager est accueilli : Aotourou, jeune tahitien que Bougainville et Commerson espèrent présenter plus tard à la cour du roi.  En manque de vivres, la Boudeuse et l’Étoile sont forcées de mouiller à Batavia (actuelle Jakarta). Les déplacements dans le Pacifique et l’Océan Indien sont compliqués, puisque les hollandais, qui ont les connaissances les plus avancées sur la géographie de cette partie du globe, cachent leurs cartes aux étrangers. Une relâche près d’une petite île inhabitée et l’aide d’habitants de la région, venus en pirogue près du navire, permettent aux équipages de subvenir à leurs besoins jusqu’à l’arrivée à Batavia, qui intervient le 28 septembre. La Boudeuse et l’Étoile y restent dix jours, avant que Bougainville ne décide de reprendre la route une fois ses navires ravitaillés.  

Le 8 novembre, la Boudeuse mouille à l’Île de France, dont elle repart le 12 décembre. L’Étoile, en piteux état, doit rester sur place plus longtemps pour être réparée, et ne peut quitter l’île qu’à la fin du mois. Il s’agit du dernier contact entre les deux navires.  Après le départ de l’Île de France, une seule escale sera faite par la Boudeuse, au Cap. Elle y restera quelques jours seulement, faisant alors route plein nord au large de l’Afrique, jusqu’aux côtes françaises. Le 13 mars, Bougainville aperçoit Ouessant. Le 15, il mouille dans le port de Saint-Malo. Un peu plus d’un mois plus tard, le 24 avril, l’Étoile arrive à Rochefort.  

Le principal but du voyage était d’apporter de nouvelles connaissances scientifiques et géographiques. Ainsi, un naturaliste, Commerson, et un astronome, Verron, avaient embarqué à bord de l’Étoile Arrivé à Rio, Commerson est émerveillé par la faune locale. Entre le 13 juin, jour d’arrivée, et le 8 décembre, dernier contact avec des habitants d’Amérique du Sud, il découvre pas moins de 1 800 espèces qu’il réunit dans un herbier. La majorité a été trouvée aux alentours de Rio, seul endroit du continent où le savant a mis pied à terre avec la Terre de Feu. L’une de ces plantes est baptisée Bougainvillée, du nom du commandant du voyage.

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Bougainvillée mauve (source : miraclesseoceane.centerblog.net )

Dans l’Océan Pacifique, ses recherches s’orientent plus vers l’Homme, puisque les habitants des îles découvertes sont peu connus voire totalement inconnus des français. Ainsi, il étudie de près les Tahitiens, évoquant les théories philosophiques du bon sauvage, et estimant qu’elles sont infondées. A l’Île de France, où Commerson quitte l’expédition, Bougainville lui demande de continuer ses recherches sur la flore locale.  

Quant à Verron, à qui il est également demandé de rester à l’Île de France, c’est pour y observer le Passage de Vénus, puisque l’île de France est proche du lieu d’où cette observation est possible. Avant cela, il avait dressé avec Romainville, géographe et cartographe, plusieurs cartes faisant état des déplacements de la Boudeuse durant cette circumnavigation.  

Grâce à Verron, un grand nombre d’îles sont également reconnues, dont l’archipel Bourbon, les îles des Navigateurs et les Grandes Cyclades. Cependant, ces îles ne sont pas réellement utiles au voyage, puisque Bougainville estime souvent que les approcher serait trop périlleux et préfère donc rester au large, sans pouvoir en prendre possession.  

Cependant, dans l’Océan Indien, les cartes édifiées par Romainville et Verron sont très importantes. Les néerlandais gardant cachées les cartes qu’ils possèdent, les explorateurs français ne connaissent que peu de choses de cet Océan, la majorité des cartes françaises étant « plus propres à faire perdre les navires qu’à les guider »[i]. Ainsi, les futures explorations françaises profiteront de cet apport.  

Cependant, malgré ces avancées cartographiques, le voyage n’a pas réalisé ses objectifs, ou seulement quelques-uns. La perte de temps occasionnée par l’attente de l’Étoile a notamment empêché la Boudeuse et Bougainville d’aller jusqu’en Chine, ce qui lui était demandé, et de chercher le passage du Nord-Est.

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Arrivée de la Boudeuse à Tahiti. Tableau de Gustave Alaux, 1768 (source : Musée de la Marine )


[i] Bougainville L.A., Voyage autour du monde par la frégate du roi La Boudeuse et la flûte l’Etoile, Paris, Folio, 2010, p. 363