AAC – Histoire des métiers de l’encadrement sportif. Des corporations aux professions

Colloque du FRAMEPA – Lundi 9 et Mardi10 octobre 2023 – Toulouse

Coordonné par Olivier Hoibian

Laboratoire FRAMESPA (UMR 5136) – Toulouse

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Le Colloque se déroulera du lundi 9 et Mardi 10 octobre 2023 dans la salle de réception de l’Hôtel d’Assézat dans le cœur historique de Toulouse.

Le professeur Georges Vigarello prononcera la conférence d’ouverture.

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Appel à communication

Dans la France de l’Ancien régime, les jeux et les loisirs physiques jouent un rôle essentiel dans la vie sociale et culturelle. Des corporations, des syndicats ou des confréries obtiennent le droit de se constituer, pour encadrer ces activités. Maître d’armes, de ballet ou d’art équestre, maître paumier, marinier sauveteur, etc. ne peuvent offrir leurs services et diriger des établissements qu’après avoir obtenu l’assentiment de leurs pairs et avoir satisfait à certaines exigences établies par les corporations. Dans les vallées de montagne, des paysans mettent leur connaissance des sentiers et des passages au service des voyageurs qui souhaitent franchir les Alpes ou les Pyrénées (Loux, 1990). Avec l’avènement des loisirs, à partir de la fin du XVIIIe siècle, ces activités se diversifient encore davantage (Corbin, 1995). Dans les stations balnéaires ou thermales, avec la vogue des jeux « au grand air » (bains de mer, golf, tennis, excursions, etc.), l’initiation et la transmission des techniques sont souvent assurées par les pratiquants plus expérimentés. Certains connaissent une forme de reconnaissance de leurs compétences pédagogiques en obtenant le titre de Maître professeur. La rareté de ce type de compétence favorise d’ailleurs la manifestation des inégalités sociales, les milieux aisés étant les mieux à même de s’attacher les services d’encadrants spécialisés moyennant rétribution. En montagne, le succès du thermalisme s’accompagne de l’engouement pour les excursions et le désir  de conquête des cimes encore vierges. Ce mouvement conduit à la création des Compagnies de guides. La première est fondée à Chamonix avec l’accord des autorités en 1823. Elle regroupe les montagnards de la commune, capables d’accompagner les touristes à dos de mules ou de chevaux sur les belvédères offrant la meilleure vue sur « les sites pittoresques » tandis que certains se spécialisent dans l’ascension des plus hauts sommets (Chaubert, 1994). Des  compagnies similaires vont essaimer par la suite dans de nombreuses stations des Alpes et des Pyrénées. Dans le domaine de la gymnastique, des Moniteurs ouvrent des salles privées dans la plupart des grandes villes tandis que l’Ecole militaire de Joinville voit le jour en 1852. Après un premier développement en rivière ou dans les piscines de quelques grandes villes, la pratique de la natation se diffuse également en bord de mer. Des Maîtres nageurs sauveteurs vont assurer son apprentissage avec un brevet délivré par la Fédération Nationale  de Sauvetage créée en 1899. Parallèlement, l’implantation des sports anglais en France conduit à la création de fédérations. L’initiation et l’entrainement des sportifs s’organisent avec le recours à des arbitres (Chovaux, 2022) et la délivrance des premiers brevets fédéraux qui peuvent parfois s’accompagner de compensations financières.

La multiplication de ces activités contribue ainsi à la naissance de nombreux « métiers » d’encadrement des pratiques physiques, relevant du secteur privé et donnant lieu à rétribution. A l’exception de la sphère scolaire[1], la puissance publique laisse longtemps ces métiers se structurer selon leurs propres principes de régulation.

Ces derniers interviennent en fonction des lois des marchés et parfois de l’action d’associations représentant les intérêts des usagers (délivrance des brevets, fixation des tarifs, création de caisse de secours, etc.). L’Etat finit cependant par intervenir en délivrant les premiers diplômes officiels, octroyant ainsi un « monopole légal » à certains de ces métiers. Il leur confère ainsi le statut de « groupe professionnel » défini comme « un ensemble de travailleurs exerçant une activité ayant le même nom et, par conséquent, doté d’une visibilité sociale et bénéficiant d’une reconnaissance, occupant une place différenciée dans la division sociale du travail, et caractérisés par une légitimité symbolique » (Demazière, Gadéa, 2009).

Dans ce processus législatif qui se traduit par la constitution de « marchés fermés du travail » (Paradeise, 1988), les métiers de l’encadrement des loisirs de montagne font figure de pionniers. Le gouvernement de Vichy instaure la profession de Moniteur de ski dès 1940 puis de celle de Guide de haute montagne en 1943. Ces mesures s’accompagnent de la création d’un centre de formation spécialisé, placé sous la tutelle du Commissariat général à l’enseignement général et sportif (CGEGS), désigné sous le terme d’Ecole nationale du ski et de l’alpinisme (ENSA). A la Libération, ce statut privilégié est entériné, sous la IVe République, par la loi du 18 février 1848 (Hoibian, 2015). Cette réglementation semble servir, par la suite, de modèle pour d’autres métiers avec la création du brevet de Maître nageur sauveteur en 1951 ou celui de Moniteur de judo en 1955. Dans le contexte de la « guerre froide », le sport est mobilisé dans la concurrence entre les deux blocs de l’Est et de l’Ouest et les compétitions internationales deviennent des enjeux de prestige pour les grandes nations rivales. Au début de la Ve République, en France, l’adoption de la loi du 6 août 1963 donne naissance aux premiers Brevets d’État d’éducateur sportif (BEES) et généralise la reconnaissance de l’Etat à l’ensemble des métiers de l’encadrement sportif. Elle s’inscrit dans la politique sportive impulsée par Maurice Herzog, à la tête du Ministère de la Jeunesse et des Sports jusqu’en 1966, tournée à la fois vers la masse et le haut niveau.

En dehors des travaux sur la formation des enseignants d’éducation physique, les dynamiques professionnelles à l’œuvre dans le domaine du sport et des loisirs physiques sont restées relativement à l’écart des investigations des sciences sociales. La focale s’est plutôt centrée sur les activités elles-mêmes ou sur les sportifs de premier plan, contribuant à l’occultation de ces métiers. La transmission des savoir-faire techniques et des connaissances concrètes constitue pourtant un élément essentiel de la diffusion de ces pratiques. Ces dernières années, quelques publications ont cherché à combler ce fossé en dépassant le cadre des études monographiques pour privilégier les approches plus globales. Ces premières initiatives se sont principalement préoccupées des effets produits par la loi de 1963 sur les Brevets d’Etat (Camy, 2001, Camy, Renoux, 2002, Augustin, 2003, Attali, Gomet, 2019).

Cet appel à communication invite les chercheurs à s’intéresser à la période antérieure au début des années 1960. L’ambition de ce colloque consiste à retracer la genèse des métiers de l’encadrement des activités physiques de la fin de l’Ancien régime à la loi de 1963. Sa dimension comparative vise à souligner les similitudes des conditions de structuration et de reconnaissance de chacun de ces métiers sans gommer pour autant leurs singularités.

Constitués principalement de travailleurs indépendants, ayant souvent une activité saisonnière, ils sont situés aux marges du monde du travail. L’intérêt heuristique des études portant sur les « petits métiers » a déjà été largement démontré par les recherches menées dans d’autres secteurs professionnels comme les milieux artistiques (Becker, 1985) ou l’artisanat (Mazaud, 2013).

Ces travaux permettent notamment de discuter le postulat dominant de la sociologie anglo-saxonne des professions, considérant comme une configuration universelle « la quête » par les représentants de ces métiers de leur reconnaissance par l’Etat  (Tripier, Dubard, Boussard, 2011). Dans ce secteur d’activité comme dans d’autres, des résistances se manifestent parfois pour privilégier le maintien de l’organisation en corporation et la préservation de l’autonomie à l’égard de l’Etat. Le compagnonnage et de l’apprentissage sur le tas sont alors souvent opposés aux formations centralisées, inspirées du modèle scolaire,  et considérées comme trop éloignées des réalités professionnelles.

Dans ces débats, la mise en perspective historique permet, selon Lucien Karpik,  d’appréhender les distinctions entre « professions » et « métier » en les inscrivant dans un processus au « cheminement incertain ». Elle évite aussi l’écueil d’une forme d’ethnocentrisme, entérinant le prisme du modèle anglo-saxon, pour favoriser, au contraire, la prise en compte des particularités historiques et nationales (Karpik, 2023). Pour étudier la structuration des métiers de l’encadrement sportif, l’approche sociohistorique semble particulièrement pertinente dans le cas la  France, avec l’instauration de « l’Etat social » à partir  de la Libération (Esping-Andersen, 1990).

Ce colloque entend également se saisir des communications sur la genèse de ces métiers pour aborder la controverse sur l’origine du sport. Celle-ci oppose d’une part les historiens des théories de la filiation entre les « jeux traditionnels » et les « sports modernes » reprenant l’antienne de Pierre de Coubertin parlant de la « Renaissance des Jeux Olympiques » lors de la création du Comité International Olympique (CIO) en 1894 à la Sorbonne (Coubertin, 1909). Ces auteurs considèrent que dès l’antiquité, les jeux athlétiques pratiqués présentent les mêmes caractéristiques que les sports actuels y compris l’enregistrement des records (Thuillier, Deker, 2004, Roubineau, 2016). Certains historiens soutiennent, au contraire, que les sports modernes sont une véritable invention de l’Angleterre du XIXe siècle et qu’ils se démarquent des formes d’exercices physiques qui les ont précédés. Leurs recherches les conduisent à considérer qu’il s’agit d’un bouleversement fondamental, en relations étroites avec l’entrée des sociétés occidentales dans la modernité industrielle (Chartier, Vigarello, 1982, Vigarello, 2003, Guttmann, 2006)[2]. Le passage des formes d’organisation héritées de l’Ancien régime ou du XIXe siècle à la constitution de « groupes professionnels » permet-il de soutenir l’une ou l’autre de ces thèses ? Peut-on, par exemple, établir une filiation entre les maîtres paumiers et les premiers joueurs de tennis dispensant des leçons ? Les participants sont invités à situer leur contribution dans ce débat entre continuité et rupture afin d’apporter un éclairage inédit sur cette question.

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Le colloque se tiendra à Toulouse le lundi 9 octobre et le mardi 10 octobre 2023 à l’Hôtel d’Asszat. Les propositions de communication sont à envoyer au plus tard pour le lundi 12 juin 2023 à l’adresse suivante : olivier.hoibian@wanadoo.fr

Consignes aux auteurs concernant les propositions de communication :

Elles comprendront :

  1. Le nom de l’auteur et son rattachement institutionnel
  2. Le titre de la communication
  3. Un résumé de 400 mots maximum

Repères bibliographiques :

Attali, M., Gomet, D. Animer, entrainer, éduquer, le sport et ses métiers (20e –21e siècles), Reims, PUR, 2019.

Augustin, J. P., Le sport et ses métiers : nouvelles pratiques – nouveaux enjeux, Paris, La Découverte, 2003.

Becker, H.S., Outsiders, Etude de sociologie de la déviance, Paris, Métaillé, 1985.

Camy, J., L’emploi sportif en France, Rapport au Ministère de l’Education Nationale, 2001.

Camy, J., Le Roux,N., L’emploi sportif en France – Situation et tendances d’évolution, Dijon, Runopes-Afraps, 2002.

Chartier, R. Vigarello, G., « Les trajectoires du sport, Pratiques et spectacle », Revue Le Débat, n°19, 1982

Chaubet, D., Histoire de la Compagnie des guides de Chamonix, Les Marches, La Fontaine Siloué, 1994.

Chovaux, O., Siffler n’est pas jouer ? Une histoire des arbitres de football, Neuilly, Atlande, coll. Penser le sport, 2022, 

De Coubertin, P., Une campagne de 21 ans (1887-1909), Paris, Librairie de l’éducation physique, 1909.

Defrance, J., L’excellence corporelle, la formation des activités physiques et sportives modernes, 1770-1914, Rennes, PUR, 1987.

Demazière, D. Gadéa, C., Sociologie des groupes professionnels, acquis récents et défis nouveaux, Paris, La découverte, 2009.

Elias N., Dunning, E., Sport et civilisation, la violence maîtrisée, Paris, Fayard, 1987.

Esping-Andersen, G. Les trois mondes de l’Etat-providence, Paris, PUF, 1990.

Guttmann, A. Du rituel au record – La nature des sports modernes, trad. Terret, R., paris, L’Harmattan, 2006.

Hoibian, O., « La montagne redéfinie : l’exercice professionnel aux prises avec les évolutions de la demande » in Attali, M. (Dir), Les voies de l’excellence – L’ENSA : une histoire des professionnels, un territoire, Grenoble, PUG, 2015.

Loux, F., Guides de montagne, Mémoire et passions, Grenoble, Didier-Richard, 1990.

Jusserand, J.J., Les sports et les jeux d’exercice dans l’ancienne France. Plon, Paris 1901.

Karpik, L., « Les professions et la sociologie historique » in Menger, P., Les professions et leurs sociologies, Paris, MSH, 2003

Mazaud, C., L’artisanat français. Entre métier et entreprise. Paris, PUR, 2013.

Mehl, J.M., Les jeux au royaume de France du XIIIe au début du XVIe siècle, Paris, Fayard, 1990.

Paradeise, C., « Les professions comme marché fermé du travail », Revue française de sociologie, n°2, 1988.

Roubineau, J.M., Milon de Crotone ou l’invention du sport, Paris, PUF, 2016.

Thuillier, J.P., Decker, W., Le sport dans l’Antiquité : Egypte, Grèce et Rome, Paris, Picard, 2004.

Tripier, P., Dubard, C., Bussard, V.,  Sociologie des professions, Paris, Armand Colin, 2011.

Vigarello, G., Du jeu ancien au show sportif : La Naissance d’un mythe, Paris, Seuil, 2003.

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Comité scientifique :

. Olivier Chovaux – PU – Université d’Artois

. Olivier Hoibian – MCF – Université de Toulouse

. Denis Jallat – MCF -Université de Strasbourg

. Jean François Loudcher – PU – Université de Bordeaux

. Antoine Marsac – MCF -Université de Marne la Vallée

. Michel Raspaud – PU – Université de Grenoble

. Gérard Six – Université de Paris V

. Georges Vigarello – PU – EHESS – Paris

Comité d’organisation – Laboratoire FRAMESPA – Toulouse :

Olivier Hoibian – Cécile Fabry – Pierre Estournel


[1] Le contrôle par l’Etat de l’encadrement des activités physiques des élèves intervient de manière précoce avec la création, dès 1869, du Certificat d’Aptitude à l’Enseignement de la Gymnastique (CAEG), par le Ministre de l’Instruction Publique, Victor Duruy (Décret du 3 février 1869).

[2] Cette controverse s’est exprimée encore récemment lors d’une série d’émissions du « Cours de l’Histoire » animée par Xavier Mauduit. France Culture a consacrée plusieurs épisodes au sport, particulièrement les émissions du lundi 7 novembre 2022 (Uppercuts dans la cité, le pugilat secoue la Grèce) et du jeudi 10 novembre 2022 (Plus vite, plus haut, plus fort, histoire de la performance sportive).