Des difficultés à agir

 

L’indifférence et le manque d’anticipation des Alliés

      Grâce à la Convention de Genève de 1929, les soldats prisonniers bénéficient d’une certaines garantie de bons traitements dans les prisons et le CICR, pendant l’entre-deux guerres, veut tenter d’obtenir le statut des prisonniers pour les civils internés afin qu’ils bénéficient d’une protection similaire, mais cela s’est avéré impossible pour plusieurs raisons.

     En effet, ce projet est rejeté plusieurs fois par les États dans les années 20 lors de différentes Conférences internationales de la Croix-Rouge, car les populations restent traumatisées de la violence inouïe de la Première Guerre mondiale et ils ne veulent pas penser qu’il puisse y avoir une nouvelle guerre.

      En 1934, c’est le refus du gouvernement français à participer à la conférence qui fait échouer le projet. On peut se demander pourquoi la France a refusé alors que Hitler était déjà au pouvoir et que le nombre de camps de concentration augmentait dangereusement. Ce comportement peut s’expliquer par l’état d’esprit des Français à la veille de la guerre. En effet, en France, à ce moment-là, il y a très peu de dénonciation du nazisme et il règne aussi une forte anglophobie, les Français ne seraient pas tous contre un rapprochement avec l’Allemagne, nazie ou pas. À cela s’ajoute un certain antisémitisme, une majorité de la population a donc plus peur du fait que les Allemands menacent leur état de paix que du fait qu’ils aient une politique antisémite.

      En 1939, la Suisse obtient l’accord des États occidentaux pour une conférence diplomatique traitant de ce problème mais la date en est fixée en début 1940 et les Occidentaux sont rattrapés par la guerre. Les États ont donc mal anticipé la guerre malgré les appels au consensus du CICR. Ce dernier semble avoir ainsi rempli son rôle dans les limites politiques qui lui étaient données mais on lui reproche encore de ne pas être allé beaucoup plus loin, de ne pas avoir sorti ces États de leur passivité.

      De plus, le 4 septembre 1939, le CICR relance un appel aux gouvernements occidentaux pour ce projet, il reçoit d’abord la réponse de l’Allemagne, puis celle des Alliés qui acceptent d’assimiler au régime des prisonniers de guerre celui des internés civils. Ainsi, les Allemands prisonniers sur le territoire d’un des belligérants sont protégés par le CICR et les civils des Alliés emprisonnés sur le sol allemand bénéficient eux aussi, officiellement, de cette aide humanitaire. Les civils des pays occupés par l’Allemagne, comme la Pologne par exemple, ne sont donc pas protégés par cet accord.

     Par conséquent, ce n’est qu’après la guerre, le 12 août 1949 que la Convention relative à la protection des personnes civiles, de toutes nationalité, en temps de guerre, est adoptée. Nous pouvons donc dire que l’indifférence des Alliés a joué un rôle important dans la passivité et l’attitude prudente du CICR puisque ce sont eux qui lui posent ses limites juridiques qui, elles, définissent le cadre de son action humanitaire.

Plusieurs gouvernements ne collaborent pas avec le CICR : les problèmes juridiques

      L’État soviétique et le Japon refusent de signer la Convention de Genève de 1929 qui protège les prisonniers de guerre. Or, ils sont tous deux impliqués dans la Seconde Guerre mondiale, des soldats de leur nation sont donc capturés, et eux internent des soldats ennemis. Le CICR se trouve donc dans l’incapacité de venir en aide à tous ces soldats. Ainsi, trois des cinq millions de Russes capturés par la Wehrmacht meurent de faim, de froid, de maladie ou de désespoir.

      Le grand enjeu qui se pose avec ces conventions, c’est qu’elles sont comme une garantie minimale en temps de guerre car c’est un moment où le respect de la personne n’est plus assuré. De plus, l’action humanitaire de la Croix-Rouge dépend de ces Conventions qui se construisent à partir de débats diplomatiques entre gouvernements et ceux qui ne signent pas ces Conventions empêchent une partie de cette action.

      L’Allemagne nazie, quant à elle, s’oppose totalement à la protection des civils juifs et répond peu aux demandes humanitaires du CICR, ce qui les empêchait notamment d’entrer dans leurs camps de concentration et d’extermination, que les nazis considéraient comme une entreprise privée. Il semblait donc très difficile au CICR d’agir en faveur des déportés face aux refus de ses demandes auprès de l’État allemand et en plus, le CICR n’a pas le pouvoir de contraindre un État à faire telle ou telle action ou à lui concéder des droits. En 1942, l’organisation humanitaire envoie au ministère des Affaires étrangères du Reich une demande d’autorisation à pouvoir effectuer, dans les camps de concentration et d’extermination, ces missions ci-dessous :

– Transmission des informations qui permettraient au CICR de renseigner les familles des détenus.

– Possibilité pour les captifs d’envoyer des nouvelles à leurs familles.

– Possibilité pour les familles et les Sociétés nationales de la Croix-Rouge de faire parvenir des secours aux détenus.

– Autorisation donnée aux délégués du CICR de visiter les prisonniers.

Mais les Allemands refusent en bloc cette demande qui ne sera pas renouvelée par le CICR, certains qu’ils se retrouveraient encore face à un refus et les prisonniers civils des camps ne reçurent pas de secours. L’organisation humanitaire a longuement tenté de faire accepter ce projet mais a finalement abandonné, encore aujourd’hui beaucoup se demandent : ont-ils bien fait ? Le CICR a donc remplit son rôle légal, mais étant donné la situation terrible et les actions inhumaines des nazis, n’aurait-il pas du être plus actif dans les camps et faire des protestations officielles ? Le CICR et les Croix-Rouge nationales qui en dépendent n’auraient-ils pas dû agir dans l’illégalité vis à vis de l’État nazi ? Peut être le CICR a-t-il craint que de s’opposer aux Allemands risquait de les pousser à être encore plus fermés à leurs initiatives humanitaires.

Une crédibilité à conserver pour pouvoir continuer à agir

      Le Mouvement des Éclaireuses et Éclaireurs de France était interdit dans la France occupée, mais les scouts continuaient leurs actions en prenant, par exemple, le nom de « Jeunesse Croix-Rouge » pour ne pas que l’on comprenne qu’ils étaient scouts. Cela prouve bien le prestige qu’avait la Croix-Rouge auprès des gouvernements des deux camps. Le CICR ne représentait pas une menace pour le Reich puisqu’il était censé respecter son vœu de neutralité et il devait donc montrer à tous qu’il ne prenait pas partie pour les Alliés dans la guerre et qu’il ne favorisait pas le peuple juif dans ses actions humanitaires.

     La Croix-Rouge suisse avait envoyé une délégation à Toulouse pour sauver les enfants du Sud de la France qui, dans un contexte de pénurie alimentaire à cause de la guerre, étaient sous-alimentés. Mais en automne 1940, le Délégué de Toulouse a pris la décision de sauver 40 enfants juifs de la déportation. Pour cela, la Croix-Rouge suisse–Secours aux enfants fut fortement critiquée à Berne car s’opposer à une décision du gouvernement est une violation du principe de neutralité. Cette délégation avait donc été créée seulement pour « adoucir la misère des enfants français » et non pour les sauver de la déportation.

      C’est donc surtout le vœu de neutralité de l’organisation qui a posé problème puisque le CICR ne pouvait pas se consacrer plus aux populations civiles juives qu’aux autres civils et militaires. Le CICR a toujours refusé aux organismes juifs comme le Congrès juif mondial de reconnaître les Juifs persécutés comme un groupe à part dans ses actions. Ici, nous pouvons donc voir que le vœu fondateur de la Croix-Rouge, sa plus grande valeur, qui lui donne toute sa légitimité sur un champ de bataille où s’opposent plusieurs camps, nationalités ou même religions, est devenu un problème dans une guerre avec un contexte aussi complexe, où tout un peuple définit par sa religion est victime de génocide.

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