Les ports atlantiques de l’Europe : un nouvel espace économique du XVIIIe siècle
Au XVIIIe siècle, l’économie maritime transite par les ports européens situés sur la côte Ouest. En effet, comme dit précédemment, l’économie maritime connaît un bouleversement spatial où les ports tournés vers la méditerranée sont délaissés au profit des ports en bord de côte Atlantique. En France, c’est le cas du port marseillais qui connaît un réel ralentissement au profit de Bordeaux qui lui connaît une très grosse croissance notamment à partir de 1765. Le graphique ci-dessous illustre une prospérité du port de Bordeaux qui se traduit par un gain de quatre-vingt cinq millions de livres en un espace de vingt cinq ans. Le port de Marseille amasse dans le même espace temps de vingt-cinq ans, trente millions de livres. Cependant il faut savoir que ce graphique représente dans un espace temps, le profit en millions de livres dû aux colonies françaises.
Ce changement spatial est dû à une Europe qui utilise l’océan Atlantique comme principal espace de par la nouvelle ambition politique et économique en Amérique d’une part. D’autre part l’océan Atlantique permet de faciliter l’ouverture économique vers les autres continents, que ce soit bien évidemment l’Amérique mais aussi l’Afrique et l’Asie. Dans chaque continent, l’Europe a des intérêts économiques spécifiques favorisés par les ports de l’Atlantique. Ces ports font office de rentrée d’argents d’un long cheminement commercial. Les puissances économiques européennes mettent en parallèle deux types de routes commerciales. Une première nommée le commerce triangulaire. Le commerce triangulaire doit son appellation de par la mise en place d’un itinéraire qui gravite entre les trois continents qui sont l’Europe, l’Afrique et l’Amérique.
Ce commerce, allie traite négrière issue de l’Afrique qui fait office de main d’œuvre en Amérique dans les plantations. L’Europe acquiert des esclaves en échange de produits manufacturés tels que l’alcool ou encore les armes. En Amérique, des produits issus de ces plantations tel le café ou encore le coton mais aussi les épices et métaux précieux sont recherchés par les souverainetés européennes. Il y a alors un phénomène de réexportation vers l’Europe. C’est à dire que les capitaines achètent ces produits coloniaux qu’ils revendent en Europe. En prenant l’exemple de la France, son commerce repose majoritairement sur les denrées alimentaires et la réexportation des produits coloniaux qui représente en 1787, 56.6% des exportations du royaume.[1] Cependant, la traite négrière aussi connue sous l’appellation du trafic du bois d’ébène permet à la France de s’enrichir. Nantes est notamment connu pour son important trafic d’esclave. En France, elle se hisse au premier rang. La traite négrière représente 42% de l’activité portuaire au XVIIIe siècle[2]. On recense à Nantes au cours du XVIIIe plus de mille quatre-cents cinquante expéditions légales avec environ cinq-cents cinquante mille noirs achetés.
L’autre route commerciale est en fait un échange mutuel, d’épices, de porcelaine, ou encore produits textiles contre des produits manufacturés entre l’Europe et l’Asie. Comme l’illustre la carte ci-dessous, nous constatons que ce sont les sites portuaires de l’ouest de l’Europe qui sont une nouvelle fois favorisés par ces routes commerciales. Il faut savoir que les ports de l’Ouest connaissent un favoritisme au détriment des ports méditerranéens car le Moyen-Orient détient le monopole des routes commerciales terrestres et bloque donc les activités portuaires des puissances comme l’Italie ou encore la France.
Un aménagement portuaire adapté à l’importance économique maritime du XVIIIe siècle
Dans le but de pouvoir supporter le poids économique maritime, les ports européens de l’Ouest se dotent d’un nouvel aménagement au XVIIIe siècle. En France, Bordeaux apparaît comme le premier port français. De ce fait, la ville connaît des modifications qui donne un nouvel attrait à la ville. Ces modifications passent par un nouvel aménagement de la côte qui consiste à ouvrir la ville sur la Garonne. En effet au XVII, Bordeaux, ville médiévale parmi tant d’autres est emmurée et donc isolée du fleuve qui la longe. De plus, l’accroissement économique de la ville dû à l’activité viticole et au négoce qui stimulent l’activité portuaire contribuent à une hausse de l’immigration. Bordeaux passe de 45 000 habitants à 110 000 de 1700 à 1790. La ville doit donc s’adapter à sa nouvelle prospérité et sa nouvelle population et entreprend de détruire les fortifications. De plus, Claude Boucher, intendant de la ville de 1720 à 1743, fait construire une place royale en l’honneur de Louis XV. Cette place royale donnant directement sur la Garonne symbolise la réussite économique et politique du roi de France au coeur de la ville de Bordeaux. Cette place relie la ville au port, qui est le joyau économique Bordelais. Au niveau même du port, des chantiers sont entrepris en 1760 avec la constructions de chantiers navals aux quartiers de Bacalan et Lormont. Bordeaux construit aussi des cales aménagées sur des quais tel que celui de la Salinière qui permettent de mettre à l’eau les navires construits ou bien l’inverse de mettre sur terre des navires. On recense en 1784 près de trois mille navires amarrés dans le port.
Bordeaux devient au XVIIIe siècle le premier port de France. Cette nouvelle situation impacte aussi bien la ville sur le plan économique, politique que culturel. La ville est réaménagée sur le plan fonctionnel mais aussi esthétique et architectural. Sa prospérité incite la venue de familles riches. De nombreux hôtels particuliers de riches familles nobles mais aussi de la bourgeoisie versée dans le négoce s’intègrent à Bordeaux. Cet apport de richesses de ces familles qui investissent dans le négoce amplifie l’activité portuaire.
Le peintre français Joseph Vernet (1714-1789), spécialisé dans la peinture de paysages et de marines illustre la situation du port de Bordeaux en 1758.
L’auteur est né à Avignon en 1714. A quinze ans, il part faire un apprentissage de la peinture et étudie notamment les techniques de paysage et de marine. Il part par la suite pour l’Italie considéré comme un site incontournable de la culture et notamment de la peinture. C’est à Rome qu’il se fait connaître et détient une grande renommée. Lorsqu’il revient en France, le roi Louis XV commande des tableaux de ports français. Le roi désire faire peindre les ports afin de valoriser la puissance française dans l’espace maritime. Sur une commande de vingt-cinq tableaux, Joseph Vernet réalise le travail de quinze tableaux, dont celui-ci dessus[1]. Il se rend sur place pour peindre les tableaux, ce qui exprime un réel soucis de représenter les ports de la manière la plus réaliste possible. Ses œuvres semblent être des témoignages des ports qu’il peint. Son talent lui vaut le titre honorifique de Peintre de la Marine du Roi.
Ce tableau du port de Bordeaux a pour but de mettre en avant l’activité économique portuaire, et de montrer la puissance commerciale du port Bordelais, dans un contexte où l’Angleterre et la Hollande apparaissent comme les deux principales puissances commerciales d’Europe. La peinture est donc réaliste cependant, la vue est soigneusement choisie dans le but d’illustrer en une même image les différentes sources de fierté et de puissance française.
A la gauche du tableau est représenté l’Hôtel des Fermes, aujourd’hui connu sous le nom d’Hôtel des Douanes qui représente la richesse d’une certaine population portuaire de Bordeaux. Le centre de la scène sur le quai, qui représente deux bœufs chargés d’un attelage transportant des tonneaux, dits futailles illustre le commerce du vin qui est la principale activité économique du port destiné à une grande partie de l’Europe. Le fait dégagé à travers le port Bordelais est à la fois la diversité et la densité des navires sur la Garonne qui montrent l’importance portuaire de la ville. Nous voyons à travers les différents navires, Bordeaux en tant que grand port où gravite le commerce international à travers le navire de la Hollande dont on voit la poupe du trois mâts marchand. La présence du pavillon d’un navire hollandais tricolore à l’horizontale montre la présence étrangère d’une grande nation qui mouille au port et s’associe à l’économie maritime française. La sécurité maritime est illustrée par le biais de la corvette qui est un petit navire de guerre, et enfin, l’utilisation multiple du port Bordelais avec la présence de filardières, utilisées pour la pêche, le transport de marchandise ou encore de passagers. La filardière est une embarcation typique bordelaise. Le tout, est encadré sous la présence du château Trompette, symbole royal. Joseph Vernet esquisse une réelle puissance et importance du port de Bordeaux et donne une image de l’espace maritime français. Dans cette vue, le port n’apparaît plus comme un espace fermé, isolé de la ville, ce qui était le cas avant de par la présence de murailles. Désormais, il fait partie intégrante et est valorisé. Il est enfin ouvert sur le monde. Le port est le symbole d’une prospérité, l’acteur majeur de l’économie de la ville et un acteur économique important du royaume.
Des colonies indispensables au développement des puissances européennes
Selon le dictionnaire Larousse, une colonie est un « territoire occupé et administré par une nation en dehors de ses frontières, et demeurant attaché à la métropole par des liens politiques et économiques étroits ».
La puissance économique des royaumes du XVIIIe siècle passe par la possession coloniale. Pour le cas de la France, elles sont organisés selon le même modèle que les grands départements portuaires du territoire français. C’est à dire qu’elles sont sous la direction d’un gouverneur, qui est un officier d’épée et un intendant, officier de plume. Dans le cas de la France, les colonies sont importantes aux îles d’Amérique et au Canada, mais sont aussi présentes en Asie avec Pondichéry ou encore en Afrique avec l’île de Guinée. Les colonies sont des outils de la royauté qui permettent de développer davantage l’économie maritime à travers le commerce mais aussi d’importantes sources de pouvoir politique à travers la main mise sur des routes commerciales ou des bases militaires établis sur ces îles. En effet on recense à Pondichéry pour le cas de la France plus de deux milles soldats, un corps et un train d’artillerie, deux vaisseaux et deux frégates afin d’assurer son pouvoir colonial en Asie.[1]
Ces terres coloniales permettent aux puissances de supporter une économie grandissante au sein des puissances dû à l’essor de la consommation des produits d’Outre-mer. L’exemple de produits comme le tabac permet de voir l’intensité de cet essor commercial. En 1700 dans l’Europe, on importe plus de 50 millions de lbs[2] de tabac. En 1800 c’est plus de 125 millions de lbs de tabac qui sont importés.[3] Afin de répondre à cette demande commerciale, les puissances utilisent leurs colonies en tant que territoires de ressources comme les produits de plantations avec le coton, le sucre, de minerais comme l’or, mais aussi comme réservoir de main d’œuvre à travers la traite négrière afin d’assurer la production.
Dans le but d’assurer le lien économique étroit entre la métropole et les colonies, les transactions se font sous forme de troc, d’échanges ou bien encore évidemment sous forme d’achat. Ces échanges permettent d’enrichir la métropole, d’améliorer les colonies par le biais de produits manufacturés, et d’assurer un commerce entre les différentes colonies en échangeant ou monnayant entre eux, produits, et esclaves. De ce fait, un commerce perpétuel fonctionne où les colonies comme la métropole s’enrichissent.
Ce sont les compagnies qui permettent d’établir une économie maritime. En effet, les compagnies, comme la compagnie des Indes pour le royaume de France se chargent au nom de l’Etat du négoce international et de l’établissement de comptoirs. Elle est crée en 1719 sous l’impulsion de John Law, banquier et économiste. Cette compagnie permet la centralisation commerciale par région des possessions Outre-mer et assurent le transit entre ces possessions et la métropole. Elle regroupe les anciennes compagnies des Indes occidentales et orientales. Elles permettent donc un rattachement direct des colonies à la métropole.
Ces compagnies ont un pouvoir tant politique qu’économique. La carte ci-dessous illustre de manière significative la prépondérance européenne coloniale à travers le monde.
[1] MOULENQ François, L’Histoire des colonies au XVIIIe siècle, FORESTIE NEVEU, 1870, page 6.
[2] « lbs » est une unité de masse. n.d.rédacteur
[3] BUTEL Paul, Les Européens et les espaces océaniques au XVIIIe siècle, Presse de Paris-Sorbonne, Paris, 1997, page 101.
[1] www.universalis-edu.com
[1] MUCHEMBLED Robert, Le XVIIIe siècle, 1715-1815, éd BREAL, 1997.
[2] www.en-parallèle.com