Copié collé

Fin de journée. Sortie de la salle après deux heures de cours. Prise de notes accélérée, regard perçant d’un professeur aux titres universitaires dorés, respect, « buenas tardes ». J’ai passé mon oral il y a une semaine, ouais, ça a duré une heure. Une heure de présentation d’un travail de recherche auquel j’avais pris goût. Sujet intéressant, des après-midis à taper sur mon ordinateur, à la BU, dans le train, sur ma terrasse, dans mon lit. Dix-neuf pages de mémoire historique, de faits, de témoignages, d’atrocités et de courage. J’avais branché sans difficultés mon ordinateur au vidéo-projecteur, et après avoir inspiré une longue bouffée d’air, j’ai commencé à débiter un discours que j’avais répété beaucoup trop de fois. Face à mes neuf camarades, je me sentais plutôt sûre de moi. Face au prof, j’appréhendais le moment où il allait me couper, pour me demander une date, une précision, ou pour me contredire. J’ai essayé de prévoir tout ça, je suis beaucoup trop perfectionniste, et parfois je me dis que c’est un de mes plus gros défauts. Parce que je pensais bien faire, je suis tombée de haut. Après 50 minutes dans un espagnol relativement correct, le prof m’a regardée, et m’a dit dans un castillan madrilène parfait : « Vous allez dire que non, mais j’ai l’impression que c’est du copié collé. » Souffle coupé l’espace d’une milliseconde, un ouragan de pensées dans mon esprit, mon choc s’est noué d’amitié avec mon estomac, et seulement quelques mots sont arrivés à sortir de ma bouche : « Non, je… j’ai pas fait ça, j’ai croisé les données des documents… enfin… » J’ai essayé d’argumenter, mais comment ? Comment on est censé réagir à ça ? Dans tous les cas, on a tort. Quoi qu’on dise, ça n’est pas suffisant. J’avais l’impression qu’il n’y avait que le prof et moi dans cette salle qui me semblait immense, et moi j’étais minuscule. J’avais envie d’en finir, de sortir, de hurler l’injustice, de pleurer la déception. Des heures de travail pour ça : copié collé. C’est alors qu’est venue me rendre visite une bonne amie : la remise en question. Peut-être que j’ai mal prélevé les infos, peut-être que j’ai pas creusé les bons aspects du sujet, peut-être que j’ai même fait du copié collé sans m’en rendre compte ! Non. Je sais à quel point j’ai fait des efforts pour ce dossier. Donc ouais, à chaque fois que je rentre dans la salle pour écouter les oraux des autres, j’ai honte. Une honte illégitime, reine pathogène dominant mon esprit, faisant surgir des chœurs de doutes. 16h01. Je sors du bâtiment Jean Jaurès et respire un bon coup, adiós.

Les chroniques de Champollion, c’est nous, c’est vous, c’est notre imagination. C’est nos échecs, nos rêveries, nos victoires sur ce campus. C’est des tranches de vie, des légendes urbaines, des anecdotes, des enquêtes. Étudiants, étudiantes, courage !

Lenael

2 commentaires

  1. Ce récit ressemble à du vécu, on a l’estomac noué et les sueurs froides, on ressent presque l’angoisse de la gorge sèche et des mots qui devraient fuser pour assurer la défense et qui ne viennent pas. La fin est un peu rapide, on reste persuadé qu’il y avait des choses à dire, comme suivre le professeur, scruter sa vie et comprendre pourquoi tant de haine. Plutôt qu’un simple « adiós » dans une reprise de souffle qui fait un peu réplique de western spaghetti. Je suis touchée par votre récit doublement en tant qu’étudiante sur le tard et enseignante de castillan.

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