Kuhêre code

En passant devant la BU, je remarque l’immense QR code parsemé de hiéroglyphes qui est peint sur la vitre, celui-là même que je vois un peu partout dans l’université sans jamais m’être questionnée dessus. Je m’arrête devant et demande à mes amis s’ils ont déjà essayé de le scanner. Tous me répondent par la négative, blaguent dessus en affirmant que ce doit être un énième questionnaire pour savoir comment on va, puis passent à un autre sujet. Ils s’en écartent et je suis le mouvement, sans plus m’interroger, dans l’euphorie des premiers rayons de soleil qui me réchauffent le cœur après mon énième gros rhume de changement de saison.

En fin de journée, il n’y a plus grand monde, l’atmosphère est réchauffée, trois étudiants assis dans l’herbe discutent joyeusement en arrachant des petits brins et décortiquent les premières fleurs qui survivent à Roger. Je souris en voyant une marelle dessinée à la craie sur le sol . Alors que la neige a fait retomber en enfance même les plus matures d’entre nous, la chaleur quant à elle réjouit les frileux.

Sur mon chemin, je revois le QR code de ce matin, le soleil l’éclaire comme un projecteur sur la scène ouverte. Il brille et semble avoir une aura que je ne lui ai jamais remarquée. Désormais seule, je m’en approche, et je dégaine mon téléphone pour le scanner. Je ne sais pas si c’est mon habituelle curiosité qui me presse tant de découvrir ce qu’il cache, ou si c’est bien plus…

Mon écran devient noir pendant quelques secondes, puis affiche une icône de chargement multicolore qui tourne en rond dans le sens des aiguilles d’une montre. Alors que je commence à me dire que peut-être le scan a fait planter mon téléphone et qu’une pointe de stress monte en moi, l’écran devient entièrement blanc et des hiéroglyphes s’affichent. D’abord progressivement, puis de plus en plus vite, de plus en plus gros, jusqu’au moment où mon écran redevient entièrement noir par leur trop grand nombre. Je ne comprends rien à ce qui se passe, un soupçon de regret me traverse, puis aussitôt un message en gros caractères blancs s’affiche :

BIENVENUE. POUR ANNULER L’IMMERSION, APPUYEZ TROIS FOIS SUR LE BOUTON POWER DE VOTRE APPAREIL.

Je reste un moment à fixer mon écran, sans comprendre. L’immersion ? Pourquoi rien ne s’affiche sur mon téléphone ? Je remarque alors qu’il m’est toujours possible d’aller dans le menu. Je ferme la page ouverte ayant pour onglet un hiéroglyphe en forme de scarabée. Désabusée et avec plein de questions dans la tête, j’éteins mon téléphone et le glisse dans ma poche pour rentrer chez moi. Soudainement, un lièvre passe à toute allure devant mes pieds, je sursaute et manque de tomber. Je le regarde déguerpir, sans comprendre plus exactement d’où il sortait.

Mes poils se hérissent quand je sens une main se poser sur mon épaule.

« C’est une hase. Très beau mammifère », dit tranquillement une voix un peu derrière moi. Je me retourne et manque de m’évanouir en y découvrant un homme accoutré d’habits égyptiens, tunique, coiffe, bijoux, et cætera. Il regarde un petit buisson, dans lequel a détalé le lièvre quelques instants plus tôt. C’est à ce moment-là que je découvre que ce ne sont plus des étudiants qui marchent dans l’université, mais toutes sortes d’humains, animaux et autres créatures fantastiques que moi-même je n’aurais pu inventer. Je recule, sous le choc, et mes pieds heurtent quelque chose de métallique.

« Hé ! Tu ne pourrais pas faire attention, espèce de bipède ? Y en a qui essaient de travailler ici ! Y a tout le temps quelqu’un sur mon passage, vous ne savez pas rester à votre place, les jeunes. »

Je me retourne, mais rien ne se trouve dans mon champ de vision. Je baisse alors le regard et vois Roger qui me fixe de ses deux petits yeux en plastique.

« Qu’est-ce t’as à me regarder comme ça, tronche de gazon ? », dit-il en crachant une touffe d’herbe à chaque mot. Stupéfaite, toujours aucun son n’est sorti de ma bouche, comme si mon corps ne voulait pas prendre conscience d’où il était ni de ce qui lui arrivait, comme si c’était un mauvais rêve dans lequel on n’a aucun contrôle.

Un énorme bruit sourd me fait me retourner, et j’aperçois de l’autre côté du gazon un immense Moaï de Champollion rouler, écrasant son visage déformé, ce qui lui fait pousser un râle dès qu’il regarde le ciel. Des soldats sont assis et jouent aux cartes, adossés au bâtiment administratif ; des chats, oiseaux, et autres bestioles se prélassent ou traversent le campus ; et de nombreux Égyptiens flânent, leurs toges blanches étincelant. Je déglutis difficilement en voyant un lion faire sa toilette à deux mètres de moi, mais il ne me jette même pas un regard.

J’aperçois alors un homme qui me semble un peu plus « normal », mis à part le fait qu’il porte une sorte de costume cravate. Il écrit sur un calepin en regardant le hiéroglyphe de la BU. Je m’approche avec méfiance :

« Bonjour ? Excusez-moi ? », je demande, un peu hésitante.

Il ferme son calepin d’un coup sec et me regarde, étrangement étonné.

« Eh bien ma foi, ce n’est pas commun, s’exclame-t-il en époussetant son veston.

– Désolée de vous déranger, je voulais savoir qui vous êtes et ce que vous faites sur le campus.

– Je suis Jean-François Champollion, et j’aimerais savoir ce que vous faites sur mon campus », répond-il en plissant les yeux. Voyant que je prends du temps pour répondre, éberluée de me retrouver face à Champollion, il ressort son carnet.

« Bon, vous m’excuserez, j’ai du travail. »

Il s’en va, et j’observe ce qui m’entoure. Je sors mon téléphone et tente d’envoyer un texto à une amie, pour lui demander où elle est, mais il ne part pas. Je me rappelle alors l’instruction du début. Trois fois sur le bouton power. Comme un appel d’urgence ?

Je prends un grand souffle, j’observe une dernière fois ce paysage loufoque, et presse le bouton comme indiqué. Étourdie pendant quelques secondes, je lève les yeux. Tout a disparu.

Tout, à part une chose. Les traces des Moaïs dans l’herbe.

Eléa

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