Délyrisme bicolore

La salle de sport Basic Fit à midi, c’est trois machines en cours d’utilisation, le contraste noir et orange présent sur absolument tous les objets de l’espace, et l’odeur latente de transpiration qui assaille vos narines dès la poussée du tourniquet à barreaux. Tant de sécurité mise en place pour pouvoir suer, c’est tout bonnement splendide. Au moins, le manque d’affluence signifie la disponibilité de mes machines préférées.

Un autre avantage serait les vestiaires vides à cette heure, ce qui serait optimal pour un dépôt discret, sauf que ma chance est telle qu’ils sont occupés. J’entame alors une chorégraphie lente, celle que j’ai intelligemment nommée « se changer en prenant le plus de temps possible tout en étant la moins suspecte possible », et cela fonctionne. L’autre sportive ayant sacrifié son repas de midi quitte la pièce vers son futur sûrement moins épuisant que le mien, et je me tourne vers mon sac ouvert.

Je suis prête, serviette sur l’épaule, gourde sous le bras, ventoline en poche et livre en main, peut-être un peu gourde moi-même. J’observe ce qui m’entoure afin de trouver l’endroit parfait, mes yeux se baladent sur les casiers orange vif et les bancs anthracite qui se fondent avec les murs. Si plusieurs portes sont ouvertes, aucun d’entre eux n’abrite de sac. Je pourrais aller vers les douches : l’une d’entre elles a un banc blanc, le noir de la couverture serait visible, il y aurait peu de risque que l’on se douche sans le voir. Je pourrais le mettre dans un des casiers, mais j’aimerais m’assurer qu’il soit vu, idéalement qu’il soit récupéré avant que je ne parte. C’est peut-être simple, certes, mais j’ai décoré Achluophiles & Leucophobes d’un post-it rose fluo annonçant « C’est cadeau, Jeff Champo vous offre ses mots ! »; l’ignorer demande un effort, alors je le laisse sur le banc le plus proche du mur, et je quitte la pièce.

La salle de sport est agencée de manière à ce que l’accueil et la sortie soient visibles depuis n’importe quelle section de la salle. Il s’agit là sûrement d’une simple coïncidence due à la superficie de l’endroit et non d’une nécessité, mais ça m’arrange : de là où je me positionne, je peux observer les allées et venues de tout un chacun, je peux ainsi m’assurer que le livre ne soit pas déposé à l’accueil en tant qu’objet trouvé.

C’est une stratégie sans faille qui prend absolument en compte l’état de concentration nécessaire à une bonne séance de sport, bien évidemment.

Toujours est-il que lorsque je me traîne avec peine vers les vestiaires, il n’est plus là, le banc est vide, tout comme mon estomac. Je souris à cet état des lieux et j’imagine quelqu’un comme moi, avec les jambes en coton et les poumons affolés, qui rêve d’une douche et de nourriture, et qui se retrouve confronté à un livre. Quelqu’un qui serait intrigué (sûrement), charmé (peut-être), par le sous-titre Délyrismes monochromes. Quelqu’un qui sourirait, certainement un peu sceptique, et qui rirait, ah parfait, c’est tout ce dont j’avais besoin.

Taysa

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