La faucheuse

Champollion, bâtiment Émile Borel, salle de travaux pratiques, le 12 mars 2012.

15 % de matière sèche, 15 % d’enzymes, 44 % de peptide et de protéines, 26 % de sucre et de phospholipide. De l’apitoxine ou, comme on l’appelle plus communément : venin d’abeille.

« Comme vous le savez, dans le cadre de vos cours en biologie du vivant, vous devez recueillir une production de venin d’abeille. »

Électrochoc : des décharges électriques parcouraient le corps frêle et gracile de ces insectes tant redoutés, et stimulaient leur dard fuselé pour les pousser à piquer, piquer et encore piquer.

Sur de fines plaques de verre, les larmes de venin formaient de légères taches blanches, des flocons. La collecte du précieux produit demandait une certaine rigueur, beaucoup d’attention.

Un étudiant (que nous appellerons X par souci d’anonymat) chargé de la récupération du venin, avait quelques difficultés à s’acquitter de sa nouvelle tâche. Il prit du retard, tant et si bien qu’il ne resta plus que lui, seul étudiant dans la salle. Sa professeure, un tantinet énervée et lasse de le surveiller, partit discuter avec ses collègues, à proximité. Alors qu’il était en train de manipuler le matériel, X eut un geste malheureux : par erreur, il tripla l’intensité de la charge électrique infligée aux abeilles. Celles-ci se mirent alors à se déchaîner, à s’agiter dans tous les sens. Elles s’attaquèrent à X, odieux personnage, le piquant à de multiples reprises sur tout le corps, s’infiltrant à travers ses vêtements, sans lui laisser de répit. Les cris de l’étudiant étaient camouflés par leur bourdonnement infernal, et personne ne vint à son secours. Leur vengeance accomplie, les abeilles s’en retournèrent à leurs occupations. C’est alors que se produisit un phénomène étrange. Au sommet du semblant de tête défigurée du pauvre étudiant, deux antennes monstrueuses se dressèrent. Ses yeux, globuleux, à la pupille sombre et humide, s’aplatirent en de multiples formes ovales. De longues ailes se déployèrent douloureusement dans son dos. Alors qu’il se débattait tant bien que mal, sa peau fut envahie d’un duvet à la texture particulière. Une douleur aiguë parcourut ses membres, qui laissèrent place à six étranges pattes. Le monde autour de lui se mit à tournoyer. Les tables, les chaises et le bureau prirent des proportions de géant. Il se sentit rapetisser pour ne devenir qu’une simple petite abeille. Et lorsque, quelques instants plus tard, la professeure revint, elle ne trouva nulle trace de l’étudiant, les abeilles reposaient paisiblement. Elle pensa qu’il avait dû partir sans la prévenir, et s’obligea, non sans manifester un certain agacement, à ranger le matériel abandonné sur la paillasse. Pour couronner le tout, une abeille plus agitée que les autres réussit à s’échapper de la salle de cours par la porte entrouverte, pour disparaître dans les airs. L’enseignante se jura de sermonner l’étudiant inconséquent lors de son prochain cours, mais à son grand étonnement celui-ci ne s’y présenta point.

Depuis ce jour, à l’incompréhension générale, et malgré l’arrêt de ce projet de recherche, plusieurs étudiants ont été victimes d’une abeille, surnommée « la faucheuse », dans les couloirs du bâtiment de sciences. En effet, ses piqûres ont provoqué chez eux des réactions démesurées : brûlures intenses, paralysie des membres, état comateux prolongé…

A l’heure où je vous parle, certains d’entre eux sont dans un état critique et leur pronostic vital est engagé : aussi chers amis, prudence, prudence aux abords du bâtiment de sciences !

Julia

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