Scène d’exposition

Seize heures tapantes, fin de cours.

Je sors à grandes foulées pour rejoindre mes camarades de révisions dans la salle 238, et deux heures s’écoulent durant lesquelles la neuroscience me pompe ce qu’il me reste d’activité cérébrale.

Mais lorsque je rentre chez moi, pas le temps de m’arrêter.

Je pose mes affaires, me lave les mains, et c’est parti pour le grand nettoyage. J’astique, je mets les doigts dans la Javel sans crainte. Ça doit briller ! J’ai encore deux heures devant moi avant d’aller au théâtre. J’ai refusé la scène slam que j’avais prévu d’écouter, pas le choix. Je dois absolument voir l’ado que l’AFEV m’a confiée, et ce sera soirée littéraire pour compenser.

Dix-neuf heures vingt-quatre, j’arrive devant l’énorme bâtiment qui loge la Scène Nationale. J’attends presque trente minutes de plus avant qu’elle ne me rejoigne, et on entre. Bientôt vingt heures, on cherche par où passer… C’est ma première fois au théâtre, je ne sais pas où aller ! Ah ! Je vois une tête connue, je m’approche.

– Salut ! Excuse-moi, pour ces places-là, je suis dans la bonne file ?

– Étage impair, c’est là-haut.

Soulagement, sourire, je la remercie et on monte. Presque vingt heures, on entre et on s’installe. Silence dans la salle, ça commence

S’enchaînent un jeu d’acteur un peu extravagant, un humour bien tissé, et des scènes touchantes. Je reconnais la peine d’aimer un être fissuré, je reconnais l’envie de vouloir le réparer. Je regarde la comédienne tenter de ramasser les morceaux, alors que son propre reflet s’écroule.

Je me projette dans l’amour d’une fille envers un père qui sait mal aimer, je ressens l’affection d’une sœur envers son frère.

Je comprends qu’il faut lâcher le malheur des autres, plutôt que d’essayer de le dévorer pour le soulager. J’ai pris la bonne décision, il y a quatre ans. Je le sais. L’acte tragique familial est presque bouclé.

La fin est triste, la fin est réaliste. Lorsque les lumières se rallument, j’ai oublié mon nom et mon corps, je ne suis que pensées émerveillées. Je ressors de là et je marche en fixant les étoiles. Comment peut-on dire tant de choses en deux heures ? Comment un seul homme peut-il écrire une histoire aussi forte ? Comment ces acteurs peuvent-ils si bien porter le visage de ces personnages fictifs ?

Je rentre chez moi, fascinée. Et quand vient l’heure de me brosser les dents et de me coucher, je songe encore. Les mots dessinent des phrases, une poésie didascalique dans mon esprit. Commencent alors mes rêves éveillés, j’imagine mes histoires vivre sur scène.

Peut-être que j’ai l’étoffe d’une dramaturge ? Moi aussi, j’en ai des choses à dire. Et si je commençais ainsi :

Acte I, Scène 1

Esprit