La couleur des âmes

Quelques secondes, ton âme est brune. Je ne te connais pas encore, mais tu m’intrigues. Tu me sembles être comme tous les arbres, avec ce même tronc qui ne te différencie en aucun cas des autres. Je m’approche et je caresse ton écorce. Avec mes ongles, je l’arrache, en essayant d’être un tant soit peu délicat. Mais ton corps pleure de douleur. Je grimace, mais je découvre une nouvelle facette de toi. Ton âme est brune, mais elle s’ouvre un peu.

Quelques jours, ton âme est grise. Je te connais à peine, et tu peines à te laisser connaître. J’ai envie de savoir plus de choses que ton simple nom, mais tu restes pour moi aussi trouble qu’un nuage. Je m’approche de toi, j’essaie de te saisir, saisir qui tu es, mais tes secrets cotonneux s’échappent de mes poings serrés. Tu m’énerves, je laisse échapper un râle d’exaspération. Je manque de patience, de clairvoyance, de bienveillance. Ton âme est grise : arrête d’être brumeuse.

Quelques semaines, ton âme est verte. Je commence à te connaître, et j’en suis plus que ravi. Mon cœur bourgeonne de cet espoir vert qui me fait vibrer de tout mon être. Tu me fais penser à un vaste champ d’herbe : je marche tout autour de toi, je découvre qui tu es. Dans ce champ sont dissimulés des plantes de sentiments, des fleurs de souvenirs, des insectes d’émotions. Et je les admire tous un par un, prenant le temps de m’imprégner de ta personne. Ton âme est verte, laisse-moi t’explorer.

Quelques mois, ton âme est jaune. Nous sommes les meilleurs amis du monde. Je te garde dans mes bras, alors qu’on profite d’un moment agréable à la plage. Ce soleil nous frappe de plein fouet, mais on aime se dorer la pilule. Je te dis que tu as un sourire aussi solaire que lui, et ça te fait rire, tes yeux cachés derrière tes lunettes. Et j’espère qu’on partage le même regard, ce genre brillant et lumineux, tout bonnement empli d’amour. Ton âme est jaune, bordel ce que tu me rends heureux.

Encore quelques mois, ton âme est rose. C’est bon, on file le parfait amour. Je caresse tes courbes du bout de mes doigts, tu frémis délicatement comme je l’aime. Je goûte à ta peau, elle a le goût de barbe à papa. Ça me rappelle l’époque où tu étais un nuage amer, alors que désormais tu es doucement sucrée. Je te câline, je te marque, je te porte et je t’emmène au septième ciel, au-dessus de tous ces nuages gris que je déteste tant. Ton âme est rose, ma vie n’est plus morose.

Quelques années, ton âme est rouge. Je ne te reconnais plus, tu n’avais jamais eu une couleur agressive. Tu n’es pas celle que j’ai connue, ça me rend dingue. On se crie dessus, on se lâche des mots sanglants. Mon cœur bat à cent à l’heure, je perds mon sang froid, je me sens perdu, je ressens trop de choses, passant d’un extrême à l’autre, sans comprendre pourquoi, une haine bientôt sempiternelle. Tant pis, tu mérites de t’en prendre une. Ton âme est rouge, pourquoi tu me détestes ?

Encore quelques années, ton âme est bleue. Tout ce que tu sais faire, bonne à rien que tu es, c’est chialer dans les jupons de ta mère. Tu sais que ça m’énerve, mais tu continues de me noyer dans tes larmes. Je cogne un ciel d’été sur ta peau, l’orage de ma haine se pose sur mes peintures. Tu es ma sculpture, je te modèle à ma façon. Tu froisses tout avec tes larmes, comme d’habitude tu gâches toujours tout. Alors je frappe encore tes larmes pour les arrêter. Ton âme est bleue, mais qui es-tu ?

Hein ? Ton âme est noire ? Pourquoi tout est devenu aussi imperceptible ? Pourquoi ne puis-je plus t’atteindre ? Tu es un trou noir, tu avales mes paroles et mes gestes comme si ce n’était rien. Je ne comprends plus, je broie du noir, je ne vois plus que le vide intersidéral. Tu n’as plus de couleurs, comment est-ce possible ? Valise à la main, tu quittes notre appartement, comme une âme fantomatique. Ton âme est noire, bordel quand reviendras-tu colorer ma vie, auparavant chromatique ?

Les autres couleurs ? Peut-être les avais-tu ? Ou alors je ne te connaissais pas assez pour les rencontrer. Dans tous les cas, tu m’as tout volé, le monde est fade. Tu étais ma muse, mon œuvre d’art, je pouvais dépeindre tout ce que je ressentais avec toi. Mais en partant, tu as volé mon pinceau et mon chevalet. Je ne suis que l’ombre de moi-même, une ombre noire dans un monde coloré. Mais je ne vois plus les couleurs, je discerne à peine les nuances. Moi, mon âme, elle est transparente.

Aeri