Son radio-réveil poussiéreux, d’une lumière fluorescente, affiche 15:32. Vincent sort péniblement de son sommeil, dépité de voir une heure si tardive, mais toutefois habitué. Seule la caféine pourrait peut-être encore le faire tenir. Le temps où il se réveillait à l’heure où les oiseaux gazouillent, où le givre cristallisé sur les fenêtres laisse pénétrer une lumière froide, mais puissante, est révolue depuis… il ne compte même plus.
Pendant qu’il se fait couler son tout premier café de la journée, celui qui réveille son corps tout comme sa lucidité, ou ce qu’il en reste, il regarde par sa petite fenêtre. La ville est toujours en mouvement : les passants sont pressés, le parking de sa résidence est plein, la journée de labeur est presque achevée pour certains. Il s’installe à son poste de travail, c’est-à-dire sa table de salon dont il ne se rappelle plus la couleur d’origine, tant des piles de magazines, de prospectus et de feuilles en tout genre la jonchent depuis son emménagement. Pour enfin se mettre au travail, il part à la recherche de son crayon, sûrement caché quelque part dans son étroit studio de dix-neuf mètres carrés. Inutile de préciser que Vincent abandonne au bout de deux minutes d’intenses recherches. La transpiration perle déjà sur son front, entre l’effort et la chaleur subsaharienne.
C’est décidé, il ne peut travailler dans de telles conditions. Ouvrir la fenêtre serait s’exposer aux klaxons, cris, youyous de la voisine et musiques en tout genre qui n’aideraient pas à la concentration. Il enfile la première chose qu’il trouve : le T-shirt d’un groupe de rock qu’il n’écoute pas, et une salopette un peu grande. Salopette dans laquelle il retrouve son crayon, le seul qu’il possède, et qu’il considère comme son bien le plus précieux à ce jour. Au vu de la couleur des nuages, il était plus prudent de se munir d’un manteau, de remplir sa gourde de ses cinq prochains cafés de la journée, et de ne pas oublier son matériel de travail. Ça y est, il est temps de s’aventurer dans le monde extérieur.
Les visages sont serrés, les pas rapides. Vincent n’a jamais aimé vivre en ville, mais il n’a jamais gagné assez pour quitter son appartement étudiant. Le semblant de nature que lui offre le parc d’à côté rend cette situation moins amère. Tout comme lui, une pléthore de citadins veulent profiter de « l’air frais » du parc, qui se situe à deux pas de l’autoroute polluée.
N’ayant plus de place nulle part, il s’assoit près du lac, dans sa salopette qui lui donne une allure grenouillesque. Au printemps, cet emplacement est peuplé par diverses espèces qui inspirent beaucoup Vincent dans ses productions ; tel un paparazzi avec l’appareil photo argentique de sa grand-mère, il les capture alors pour ensuite les afficher dans son appartement, ce qui constitue au final sa seule et unique touche décorative. Des cygnes, des mésanges cohabitent avec les pigeons et les rats. Un hybride parfait entre la beauté énigmatique de la nature et le rappel à la réalité de la ville. En hiver, la seule chose que l’on retrouve près de ce lac sont les galets froids, qui rendent la situation plus triste et inconfortable pour l’homme obligé de s’asseoir à même le sol.
Il reste assis, sans rien faire, pendant plus d’une heure. Son manteau abîmé lui gratte la fosse cubitale, ce qui l’incite à rentrer chez lui. Sur son carnet, l’auteur ne réussit à écrire qu’un mot :
« Préambule ».
Luna