Dans la tisanerie de ma grand-mère, ma routine est lassante. Les tasses poussiéreuses rangées par couleurs rendent la boutique délabrée plus joyeuse qu’elle ne l’est réellement. Les fragrances des différentes plantes embaument l’espace. Cela rend l’atmosphère parfois lourde et chargée de rêverie, où mes désirs d’aventure sont des braises qui n’attendent que d’être ravivées pour flamber d’une lueur chaleureuse.
Si la pauvreté ne rythmait pas mon quotidien, j’aurais pu être une pirate, reine de ses mers sans peur qui naviguerait sur les eaux. Ma sœur, Jade, est déjà montée sur un voilier pour aider mon père à pêcher ; elle m’affirme que c’était certainement l’expérience la plus difficile de sa vie. Elle se qualifie de « thalassophobe » : un grand mot signifiant simplement sa peur des profondeurs maritimes. Pour elle, la mer est trop calme, trop silencieuse, trop grande, trop sombre ; il y a forcément un ou deux monstres marins qui l’attendent sous la surface.
Jade a hérité de la même imagination que moi ; néanmoins, nous ne partageons pas les mêmes centres d’intérêt. Elle reste plus prudente ; si la mer m’attire, elle, elle l’horrifie. Le moindre danger lui fait peur, la moindre aventure lui répugne. Ses rêves ne la portent pas, comme moi, vers de nouveaux horizons, ils sont plutôt cloisonnés dans un studio d’enregistrement, à créer de futurs hits derrière son micro.
Nous voyons les choses en grand, pour une famille destinée à la misère. A nos heures perdues, nous participons au recensement des plantes médicinales de notre tisanerie dans la pharmacopée ; nous classons dans un registre les bienfaits des herbes sur le système immunitaire. C’est là que nous nous laissons emporter dans nos rêveries les plus folles.
Mais, telles des volutes, nos ambitions se dissipent rapidement lorsque notre mère nous rappelle à l’ordre.
La vie est-elle injuste, ou nos rêves sont-ils trop grands ?
Nous ne le saurons jamais, coincées entre des cartons de plantes aromatiques.
Leya