Les égoïstes​

Commençons par la fin. Par ce jour où elle tourna la clef dans la serrure, s’apprêtant à franchir la porte d’un appartement rempli de souvenirs, mais désormais vide de sens. Il était partout, alors qu’elle se sentait partir peu à peu vers un nulle part. Il avait sûrement dû garder le meilleur d’elle. Quel égoïste.

Un pas sur le carrelage froid, et là voilà déjà en train de verser sa première larme. Ce sentiment étrange que tout était sa faute, qu’en réalité c’est elle qui l’avait quitté, resterait des années durant dans un coin de sa tête. Mais ça, elle le découvrirait dans une nouvelle histoire. Faudrait-il encore que cette prochaine histoire soit belle, même si elle ne pourrait jamais être la principale. Même si celle qui comptait vraiment se terminait ici, aujourd’hui.

Par automatisme sûrement, elle ferma les volets en bois, grinçants et lourds. Elle évita de regarder les étoiles, son étoile surtout.

Elle se sentait sale dans sa longue robe noire. Comme si des atomes en putréfaction s’étaient imprégnés dans les fibres de son vêtement, elle jeta sa tenue à la poubelle. Jamais elle ne pourrait porter un si triste souvenir une seconde fois. Elle resta plantée là, conscientisant son corps plein de vie, que d’autres seraient en droit de jalouser. Elle-même ne comprendrait jamais pourquoi elle avait le droit à plus de temps sur terre que les autres. Et pourquoi lui avait dû rejoindre ces étoiles qui, de nombreux soirs d’été, les avait fait rêver à un avenir différent, à de vastes possibilités. Ces soirées à eux, tous les deux couchés sur cette herbe, sur cette Terre qu’elle trouvait aujourd’hui profondément ridicule. Quelle égoïste.

Mais les minutes continuaient à défiler, comme si la décomposition des uns ne devait pas impacter le quotidien des autres. Quel égoïsme. ​​

Luna