RU-N

L’homme, de noir vêtu, s’assied. 

Devant lui :

carottes râpées sur leur lit de misère

poisson salé et ses croûtes salées baignant dans sa flaque de crème salée, accompagné d’une poêlée de légumes – salés

clafoutis alla puttanesca : raisins secs, framboises, noix et cerises confites

Il se sert un verre d’eau. Il aime boire avant de se délecter de ce qu’il observe. Le liquide coulant dans sa gorge, hydratant son œsophage, ne vaut pas les 9 minutes à attendre le remplissage de sa carafe. 

Il entame son triathlon avec les carottes râpées. Elles ont un goût de carotte. Il les aurait bien mieux préparées, mais ça ne le fait pas dégobiller. Il pose sa fourchette pour boire une gorgée de plus. 

Deuxième étape : le poisson. L’homme, véritable légende inconnue, tend son bras devant lui. Tenant fermement son outil à quatre dents, il laisse choir sa main, tel le sourire d’un étudiant constatant la valeur binumérale de son compte en banque. Le poisson s’effrite, amenant une petite pensée pour Snoop D-O-double G. Il déglutit. Pas terrible. Il vient d’avaler un poison qui a dû tourner en rond dans son bocal jusqu’à ce que Moïse ouvre sa mer morte. En effet, le sel abonde, et une carafe entière ne suffira pas. Toutefois l’énergumène craint que l’apport d’eau n’entraîne une résurrection de la chose dans son estomac. Il se retient donc. Il goûte à la jardinière. Elle croque car surgelée et sous-cuite. À cette étape, il aimerait s’en prendre une. De cuite. 

Il n’aime pas rester sur une défaite, alors il donne une seconde chance au poisson. C’est ce qu’aurait fait G-O-Single D, après tout. 

Et là, alors que l’aliment s’imprègne de sa salive, survient une madeleine de Proust, une véritable hallucination. Notre cher Antonin, car tel est son nom, se retrouve face à la porte de la première cuisine qu’il a visitée tout jeune. Il n’avait pas le droit d’y aller, et n’atteignait pas le hublot. Il avait poussé le battant de porte et découvert un univers dont il ne pourrait s’échapper.

Il revient à la raison pour goûter au dessert, qui la lui fait perdre à nouveau. Le clafoutis contient tellement d’ingrédients incompatibles que sa langue ne peut tout analyser. Son hypothalamus s’affole. Dans sa tête se mêlent et se bousculent tant de recettes possibles, tant de formes et de couleurs qui ne demandent qu’à être goûtées… Ce véritable trip vaut bien les effets de drogues dures, bien qu’économiquement plus abordable – un euro pour les étudiants boursiers. Antonin voit son plateau tourner. Son repas se meut et se mélange, des visages se forment et s’adressent à lui d’une même voix :

« N’oublie pas, Antonin : si tu aimes ses ingrédients, tu aimeras le plat. Laisse-toi tenter par des spaghetti au chocolat, des cannelloni camembert-cannelle-carotte ou des crêpes fourrées fromage-jambon-grenadine-bonbon Kréma. »

Ceci dit, les têtes végétales se décomposent, leurs éléments retombent dans leur assiette originelle. Antonin a vécu une épiphanie. Il se lève brusquement, attirant au passage tous les regards, fonce vers la cuisine, marque une pause devant la porte chargée de souvenirs, puis fait irruption et se lâche :

« Mesdames, Messieurs, je suis critique pour le plus grand guide culinaire qui soit, le guide Duchemin. Sachez que votre cuisine m’a séduit ! J’aime la cuisine, j’aime le RU, je vous aime ! Mesdames, Messieurs, vous aurez 5 macarons ! »

Sur ces mots il s’en va, laissant son public coi sans que personne ne le croie.

Tom

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