Les entités nocturnes

C’est étrange. Nous nous réveillons toujours dans ce donjon instable, qui change de forme sans crier gare. Nous sommes emportés par les mouvements incessants de tes pensées ; nous changeons de visage, de corps, de décor. Nous nous aventurons ensemble dans les replis de ton inconscient, happés par sa brutalité et son absurdité inexplicable, et pourtant familière.

Nous prenons la forme de ce que tu redoutes, des pires atrocités que tu es capable d’imaginer. Nous prenons la forme de ce que tu affectionnes, de ce qui t’est le plus cher. Cauchemar ou rêve, angoisse ou tranquillité, nous sommes façonnés par la matière de tes secrets avec des visages innombrables, des paroles infinies. Tu nous dévoiles tes pulsions, tes appréhensions, la multitude d’émotions que tu extériorises dans la pénombre de ton sommeil.

Nous sommes les figurants qui animent tes nuits. Ton esprit endormi nous donne vie et nous nous activons, tels de petits acteurs illusoires. Nous sommes tantôt tes marionnettes, tantôt ceux qui tirent les ficelles.

Nous sommes factices, des imposteurs venus t’imposer des souvenirs qui n’en sont pas vraiment. Pourtant, tu te laisses duper et tu nous acceptes, comme si le seul univers que tu crois réel était le nôtre.

Et même s’il t’arrive de penser à nous et de te remémorer nos péripéties, tu finis souvent par nous oublier. Il suffit d’une seconde de flottement à l’aube pour que le donjon se referme à jamais et que nous tombions dans la cave des figures délaissées.

C’est étrange. Mais les rêves le sont toujours un peu.

Camille