Spécialisation et formation dans un « contexte favorable »

Des « laissés pour compte »

    Au début des années 1950, la France doit combattre la « crise du logement ». «1/3 des Français sont des mal-logés et il se construit entre 70 000 et 75 000 logements par an alors qu’il en faudrait selon le Commissariat général au Plan, 320 000 par an pendant 30 ans »1. Moins de 10m2 par personne sont possédés par 65 % des ménages ouvriers parisiens. Seulement 60 % de ces logements bénéficient de l’eau courante.»2 La croissance se réalise au détriment d’une partie de la population ce qui entraîne de profondes inégalités sociales. Beaucoup vivent dans des taudis, des bidonvilles, des habitats précaires… Ce sont des « laissés pour compte », ne profitant pas des vertus de la croissance. En 1959, on compte 350 000 taudis. Les immigrés sont très mal logés.

George Ducellier, président du conseil départemental de la Croix Rouge française de la Seine décrit dans un tract de 1953 la lutte menée dans le département pour les sans-logis avec l’ouverture de centres d’accueil, en mettant à disposition infirmières et secouristes, en distribuant des boissons chaudes, des vivres et vêtements. Cette même année, 20 000 personnes âgées au total sont aidées ou parrainées par le département.

    Les sans domicile fixe reçoivent des aides de l’association en alimentation par des distributions mais aussi des hébergements, surtout pendant l’hiver 1954, secoué par un très grand froid. Les hébergements sont nombreux, pas seulement pour les SDF. En 1953, lors de la grève des services publics, la Croix-Rouge française met en place des centred’accueil pour les voyageurs bloqués dans les gares partout en France. En 1960, elle consacre une partie de son budget à environ 100 000 personnes vivant dans des bidonvilles. La Croix Rouge française apporte son aide au bidonville de Champigny en région parisienne dans les années 1950.

Répondre aux besoins primaires des plus précaires

    Ce sont surtout des associations confessionnelles qui bénéficient du monopole de l’aide aux pauvres dans les années 1955 notamment celle de Saint-Vincent-de-Paulle Secours catholique français, les Petits frères des pauvres et Emmaüs. Elles complètent et concurrencent les actions de la Croix Rouge française.

Entre vieillesse, jeunesse et handicaps

    Jusqu’aux années 1970, les personnes âgées sont très touchées par la précarité à cause des faibles retraites et de leur dépendance.

    Le 2 mars 1949, l’aide aux personnes âgées devient une mission officielle de la Croix-Rouge française. Elle ouvre sa première maison de retraite en octobre 1956 à Antibes et se lance à la même période dans un programme de soins à domicile, surtout dans les zones rurales. Depuis les années 1970, les dépenses publiques de santé ont augmenté en particulier dans le médical et le sanitaire. En effet, l’espérance de vie des français s’améliore et augmente : elle passe de 59 ans chez les hommes à 69 ans entre 1946 et 1975 et de 65 à 76 ans chez les femmes.

Héberger et assister les personnes âgées

    La Croix Rouge française se forme mieux et se spécialise donc autour des personnes âgées mais aussi autour des personnes malades comme celles qui souffrent d’hémophilie3 ou de myopathie4, et également auprès des handicapés. On a aussi une meilleure formation dans l’éducation sanitaire, les soins au foyer, dans la puériculture et autres aides d’accompagnement.

    La question de l’enfance n’est pas délaissée, au contraire elle est renforcée. La Croix Rouge française passe de l’assistance à la protection. Elle combat le manque d’hygiène et l’ignorance, essaye d’influencer l’éducation des parents, donne la possibilité aux mères d’assister à des consultations avant et après l’accouchement mais aussi de posséder un carnet de santé pour le bambin. Les dons de la Croix-Rouge américaine sont nombreux en France et permettent à l’association française de mettre en circulation des camions de consultation de nourrissons sur les routes de campagne et d’imprimer des carnets de santé. Elle s’investit beaucoup dans la protection maternelle infantile (PMI), système créé en France en 1945 par le ministère de la Santé pour protéger la mère et l’enfant. Elle institue par exemple des crèches, maisons maternelles ou centres aérés qui permettent aux enfants de partir en vacances.  En 1947, un diplôme d’Etat de puériculture pour les sages femmes, infirmières et assistantes sociales est créé par le ministère de la santé. 

Des associations complètent les actions de la Croix Rouge française comme le Secours populaire français6 qui permettent à 300 000 enfants de partir en vacances en 1977. Après les années 1960-1970 les enfants concernés par ces aides associatives sont souvent orphelins, fils de père alcoolique, au chômage ou divorcé. D’autres associations comme l‘Union française des centre de vacances et de loisirs interviennent également.

De nouvelles préoccupations

    Les évolutions dans les domaines scientifiques et le recul de certaines maladies et épidémies permettent à la Croix-Rouge française de diversifier ses secteurs d’interventions.

    Lors du Tour de France cycliste, elle est présente pour assurer le service sanitaire depuis juillet 1946 où des conductrices ambulancières interviennent et voient ainsi leur profil évoluer.7 À partir de 1952, la Croix Rouge française multiplie ses campagnes publicitaires sur le Tour avec son association à la compagnie ASPRO du nom de son fondateur Nicholas qui met de nombreux véhicules à la disposition des médecins de la Croix-Rouge. 

    En 1949, le don de sang se développe, la transfusion sanguine prend un rôle important. La rapide évolution des techniques médicales le permet avec l’utilisation des poches à sang en plastique, le développement de méthodes de conversation du sang ou encore le fractionnement du plasma sanguin. Ces pratiques se banalisent. Pendant les années 1960 en particulier, elle organise des journées de don du sang, mais aussi le transport du sang, la formation d’auxiliaires et la participation administrative dans les centres de transfusion. Des établissements spécialisés sont créés ; certains sont consacrés aux maladies rares comme la myopathie, l’hémophilie, la spina-bifida ou encore les malformations.

Diffusion des nouvelles techniques sanitaires

    Les handicapés touchent peu d’allocations et connaissent des phénomènes d’exclusion8. Alors que le Secours populaire9 s’engage près des aveugles en 1959 puis vers les handicapés moteurs et mentaux, la Croix Rouge française multiplie ses actions dans le domaine dans les années 1960, principalement dans le Nord. Elles concernent les adultes mais aussi les enfants comme avec l’organisation de sorties, de baptêmes, etc. Elle aide aussi les grands malades, majoritairement ceux atteints de leucémie ou de maladie cardiaque. En décembre 1962, des plans de neuropsychiatrie pour enfants et adultes se mettent en place dans certains arrondissements de Paris. Les sanatoriums de la Croix-Rouge, actifs depuis la fin de la Première Guerre mondiale, restent actifs jusqu’en 1970 puis deviennent des « centres de soins » souvent pour les enfants aux handicaps divers.

    Mais aussi, dès 1988, la Croix-Rouge française met en place un programme d’écoute par téléphone qui vise à soutenir psychologiquement et gratuitement les personnes qui en ont besoin. Le soutien psychologique est une mission tout à fait nouvelle pour l’association. Il ne s’agit plus seulement de panser une blessure mais de la compléter par un soin psychiatrique par des professionnels du domaine.

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1 ZANCARINI-FOURNEL Michelle, DELACROIX Christian, La France du temps présent, 1945-2005, Paris, 2010, p. 139

2 PINEAU Frédéric, La Croix-Rouge française, 150 ans d’Histoire, Paris, 2014

3 L’hémophilie est une maladie qui perturbe la coagulation du sang. Les saignements sont plus fréquents et durent plus longtemps. Ceux touchés doivent suivre un traitement et être bien suivis.

4 La myopathie est une maladie neuro-musculaire, anomalie souvent héréditaire affectant le tissu musculaire. 

5 Infirmières pilotes secouristes de l’air.

6 Le Secours populaire français (SPF) est né en 1945 en tant qu’association à but non lucratif, qui a été déclarée Grande cause nationale et qui lutte contre la précarité.

7 archives de France

8 René Lenoir, Les Exclus. Un français sur dix, Paris, Le Seuil, 1974 

9 Autre association française qui lutte contre les formes de précarité