Comme dans un bond dans le passé, les néons me ramènent à un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître. Dans la lumière faible de la matinée, ils clignotent fébrilement et grésillent, indiquant « LAVOTOP » et « Laverie », comme s’ils ne s’étaient jamais éteints depuis leur création. La vitrine est recouverte d’écritures de toutes les couleurs, en différentes polices, surlignées ou en majuscules. Tout ce que l’on doit savoir est inscrit ici, et aucun contact humain n’est nécessaire pour avoir une information. Ouf.
J’ouvre la porte comme si je passais un portail de Stargate, et me retrouve plongée dans les années 80. Proésies chaophoniques sous le bras et sans la moindre couette à laver, je fixe pendant quelques secondes la caméra dans un coin de cette pièce à la taille d’un appartement étudiant, et me dis que je ne dois pas paraître bien maline.
Je dépose mon bouquin sur la table qui, à mon avis, a connu de meilleurs jours, mon téléphone en main pour prendre des photographies furtives en souvenir de ce moment, et en regardant la porte d’entrée toutes les secondes pour vérifier que personne n’entre. J’observe alors mon œuvre et suis fière du tableau qui s’offre à moi : celui qui trouvera le livre rira peut-être lorsqu’il lira le titre, entouré de machines à laver chaotiques. Proésies Chaophoniques…
Curieuse et un peu triste de le laisser, sans jamais l’avoir lu, dans un endroit inconnu, je l’attrape et ouvre une page au hasard. Mes yeux se posent directement sur le titre d’un poème : « Bulle de savon ». Cette coïncidence me fait sourire. Dans une autre situation, j’aurais imaginé les personnes qui viennent ici, le nez sur leurs téléphones, la lumière qui se reflète sur leurs visages, les rendant blafards, cadavériques. Mais cette fois, c’est un homme spectral en sweat rouge qui entre dans la laverie, voit Proésies chaophoniques sur la table, seul objet de la salle mis à part les machines.
Il lit le petit mot dessus, « Cadeau de Champo, à celui qui le trouvera… », il l’attrape et se plonge dans sa lecture en attendant la fin de sa lessive, enfermé dans sa bulle de savon, assourdi par les vers qu’il lit, effaçant même le son répétitif du mécanisme de la machine.
Le soir même, je fais un détour pour passer devant la vitrine, je jette un coup d’œil : personne, et le livre a disparu.
Eléa
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