Il fait si beau. Les rayons du soleil viennent doucement réchauffer mes joues caressées par un vent doux.
Ça sera pour aujourd’hui.
J’ai vu l’affiche il y a quelque jours :
Donnez votre sang ! 1 poche = 3 vies sauvées !
Convaincant, n’est-ce pas ? Je me dirige donc vers le bâtiment multimédia.
Là-bas, je suis accueillie par une gentille jeune femme aux cheveux noirs, un peu pâle mais souriante. Elle est présente sur le campus depuis trois jours déjà, elle doit être épuisée. Le reste du personnel n’a pas meilleure mine. Elle me donne un formulaire à remplir et part m’attendre pour l’entretien médical. Je suis un peu stressée, c’est la première fois que je donne mon sang, mais en passant les portes du bâtiment, en voyant les cinq lits occupés par les donneurs, mon cœur se calme un peu. J’ai la pensée soudaine que mon sang, qui coule en ce moment même dans mes veines jusqu’au cerveau et me permet de penser tout court, va permettre à quelqu’un d’autre d’exister comme je le fais. Sauver une vie contre une aiguille dans le bras pendant 15 minutes, permettre à quelqu’un de sentir le vent sur son visage ou la chair de poule sur ses bras en échange d’un léger tournis. Quelle responsabilité !
Mon formulaire rempli, je rejoins la demoiselle qui m’attend derrière un bureau. Elle confirme les informations que j’ai fournies, puis me pique le doigt pour connaître mon taux d’hémoglobine : 12,4. Tout va bien, c’est assez pour donner.
La suite va très vite : je suis dirigée vers l’un des espaces qui vient de se libérer, on me demande quel bras piquer, et c’est parti. Je sens à peine l’aiguille m’entrer dans la veine, et puis de toute manière elle est cachée par une boule de coton scotchée à ma peau. Il ne se passe absolument rien, pas de perte de force vitale comme dans un jeu vidéo ; pourtant le liquide rouge et épais qui coule doucement dans le tuyau en plastique vient bel et bien de moi. Je suis comme fascinée, mes yeux ne se détachent pas de mon bras. Ceux de l’infirmière non plus. Sa déglutition est visible, je me demande si elle a eu le temps de prendre un pause ; elle a l’air assoiffée. Elle est particulièrement attentive à moi, elle ne cligne presque pas des yeux, et cette attention est légèrement oppressante, mais au moins quand le sang ne coule plus, sa réaction est immédiate. Elle me tend une petite balle anti-stress en forme de goutte rouge, et me dit de la serrer une fois par seconde. Mon sang se remet à couler et son sourire satisfait dévoile une canine particulièrement longue. Ma sœur a le même sourire ! C’est plutôt rassurant de voir quelque chose de familier, autre que le plafond du bâtiment multimédia.
Peut-être que je m’y prends un peu tard, mais il me vient à l’esprit de lui demander son nom. Elle s’appelle Sandrine, elle a 30 ans et est infirmière à l’hôpital d’Albi. On discute tranquillement. Un infirmier déambule entre le poste d’accueil et la station de don en distribuant des pochettes de jus à ses collègues. L’expression qu’a Sandrine après avoir avalé sa première gorgée me fait rigoler.
« Je ne pensais pas que le gaspacho était si populaire auprès du personnel médical!
– Ah, si tu savais ! me répond-elle. Il faut bien qu’on garde quelques secrets aussi. »
Nous ricanons toutes les deux, mais je sens mon bras s’engourdir peu à peu, et puis je suis prise de tournis. Ma vision se trouble.
« Sandrine… je ne me sens pas très bien…
– Je sais, ça va aller », me dit-elle avec un sourire sur le visage. Ses canines sont vraiment pointues. J’y vois flou, et…
… mes yeux s’ouvrent avec difficulté sur un plafond blanc.
Je regarde autour de moi et ne reconnais rien. Où suis-je ? Tous les murs sont blafards, le sol est froid. Mes oreilles sifflent. J’ai mal au crâne.
« Sandrine…? »
Aucune réponse ; son nom résonne autour de moi, ma propre voix résonne dans ma tête. Bon sang, mais où suis-je ?
Une porte s’ouvre et un homme apparaît. C’est un infirmier, je le reconnais: c’est lui qui a donné le gaspacho à Sandrine tout à l’heure.
« Hey… aid… aidez-moi… où… où suis-je…?
– Merde Sandrine, ramène-toi, il y en a une qui s’est réveillée ! Je vais la piquer ! »
Il s’approche de moi en courant et je sens une vive douleur dans mon cou et puis c’est le retour du noir.
Je lutte avec mon esprit pour rouvrir les yeux, me débattre, m’échapper de cette situation, mais mon corps ne répond pas. J’arrive à entrevoir quelque chose au bout d’un certain moment : un corps inerte, tout sanguinolent. Quoi ? Mes yeux se referment. Puis je recouvre la vue, je me retrouve dans l’auditorium 1, je le sais, j’ai fait un partiel ici il y a pas longtemps, sauf que les murs sont maculés de sang. Je ne comprends pas.
Je sens que l’on me pose sur une surface froide et métallique. Mon corps arrive peu à peu à chasser la substance qu’on y a injectée. Devant moi apparaît le visage angélique, presque irréel, de Sandrine, souriante et… la bouche tout ensanglantée, un bistouri à la main :
« À ton tour, ma grande ! Nous avons très soif, tu sais ! »
Taysa & Maïlys