Chardons d’inspiration

« Pourquoi t’écris plus ? »

Question dont elle est la cible depuis quelques jours déjà. Que dire si ce n’est qu’elle est prise en tenaille entre les factures d’électricité et la page blanche, de laquelle se dépêtrer est plus complexe que d’assurer la survie de son compte en banque ? Que dire de plus, quand pourchasser le firmament à l’aide d’une épuisette s’achève en une prise insignifiante, tellement que les poissons scintillants dans son seau sont d’une qualité médiocre et ne l’aident aucunement à encrer d’un quelconque sens le vide qui l’habite ? Elle sait qu’il ne s’agit que d’excuses pour repousser l’inéluctable. Même pour cette simple, innocente question, les mots lui manquent.

Blottie sur son siège, elle croirait même entendre le contrôleur du train s’outrer pour elle.

« Pourquoi t’écris plus ? »

A la place des yeux, deux bulbes cramoisis la dévisagent alors que l’homme agite sa machine, lui ordonnant d’un ton ubuesque de lui montrer son ticket. Sur quoi ses paupières lui répondent par deux fois – ou trois, elle ne sait plus – d’un clignement plus lourd que le pas d’un tyrannosaure. Entêtement du contrôleur, qui s’impatiente devant le regard de merlan frit de l’écrivaine en peine.

« Madame, votre ticket s’il vous plaît. »

– Ah euh… oui, attendez… »

Elle s’empare de sa veste couleur pamplemousse, qui dormait sur le siège d’à côté. Elle cherche dans une poche, ne trouve que l’écureuil de son trousseau, unique porte-clef en sa possession, et deux centimes plus rouillés qu’autre chose, couleur brique rouge. Grimace. Elle devrait peut-être se laver les mains après ça. Dans l’autre poche, le fugitif, qu’elle présente sans attendre. En lettres capitales, sur le corps froissé du titre de transport, est fièrement inscrit : Albi – Pétaouchnok.

Bip.

« Passez une bonne journée.

– Merci, vous aussi. »

La voilà maintenant seule, face à cet écran de malheur sur lequel s’affiche…

Rien.

« Pourquoi t’écris plus ?

– Je sais pas. »

Sous ses doigts, les touches sont des chardons, de ceux qui font fleurir sur sa peau des coquelicots. Le plaisir est devenu corvée. C’est facile, pourtant, d’écrire. Plus que d’aligner des rondelles – égales, attention, sinon l’esthétique n’est plus là – d’une cucurbitacée dont elle a oublié le nom, dans son sandwich, celui qui agonise à côté de son thermos. Tout ça pour quoi ? Le publier sur son Instagram avec, pour seule description, un #miam.

« Pourquoi t’écris plus ?

– Lâche-moi la grappe. »

Le curseur serpente entre les dossiers, en sélectionne un parmi tant d’autres avant de constater que ce projet est, une fois encore, laissé à l’abandon. Des idées de scénarios volent ici et là, le premier chapitre demeure inachevé, découpé de temps à autre par des penser à écrire un truc ici ou détailler un peu plus. Elle s’invente cryptologue pour comprendre ce qu’elle voulait dire, avec cette métaphore bancale de ses cheveux étaient des étincelles. Depuis quand c’est beau, de transformer une chevelure en une mèche lente? Pour sûr, si sa coupe venait à exploser en d’assourdissants feux d’artifice, elle serait déjà morte à l’heure qu’il est.

D’un soupir, elle coupe ce passage.

« Pourquoi t’écris plus ?

– Parce que je me prends trop la tête. »

Mælusine

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