Acte x, scène inconnue
L’action se déroule dans une chambre, dans une vraie chambre ou… est-ce-vraiment une chambre, n’est-ce-pas plutôt une scène ? Un individu, au bout du rouleau, est avachi sur son lit. Il regarde sur son téléphone.
L’Individu – Je suis avalé par mon lit. J’en peux plus. Enfin le repos ! Mais quoi de neuf sur la toile ?
La Narratrice – Alors, très cher public, je me confesse à vous – bien évidemment avec grande honte – je n’ai que très peu de réseaux sociaux. Mais qu’est-ce que cela me satisfait grandement ! Toutefois, j’aime bien m’y immerger, de temps à autre. Je ne suis pas mieux que la plupart d’entre vous mais… Vous vous imaginez ? Tout un immense flot, un tsunami de bribes de vie, plus ou moins véridiques, qui vous arrive en pleine face ! Cela m’effarouche rien qu’en y repensant. Comment font ces personnes, à toujours être sur leurs réseaux, en sachant qu’une partie du contenu proposé peut être, ou devenir, abrutissant à forte dose ? Pour vous citer des exemples, qui cela peut bien intéresser de voir des femmes ou des hommes se vanter, se pavaner ? Ou bien… – Oups, j’allais oublier !
Un panneau apparaît en face de la fenêtre : « Attention : les propos que vous entendrez ne proviennent en aucun cas de moi. »
La Narratrice – Je reprends. Ou bien des contenus comme ceux d’un homme ayant pour nom de plume Joe Bartwadeula, d’une personne en campagne qui veut préserver son auditoire avec des préservatifs. Comparé à ces autobiographies – bien que futurement démodées comme tous les livres en papier, mis au placard grâce à notre Internet – nous n’avons ici aucun pacte d’authenticité : nous avons, du moins j’en ai l’impression, la sensation que chacun vit SA vie si idyllique. Que des hypocrites, à vouloir toujours révéler le bon côté des choses… Tout va bien dans le meilleur des mondes, pour eux. (Dans un moment de lucidité.) Ah, malheur ! Je vous épuise trop, vos Honneurs ! Maintenant, il faut que ça aille toujours plus vite ! Qu’est-ce que c’est chiant de prendre le temps d’écouter et de, en plus, comprendre ce qui est dit. J’aimerais encore déblatérer avec vous, mais bon, je vous laisse en paix. Je dois être une véritable vieille à vos yeux, totalement has been, celle-là.
Fin de ce délicat aparté.
Des personnes nommées l’Agréable Jeunesse (pensant à voix haute) – Pfff, mais elle est vraiment relou, cette meuf, elle m’a trop soulé !
La Narratrice – Il est à noter que les rageux – ou haters pour les idolâtres de l’anglicisme, comme beaucoup ne savent même plus rédiger dans la langue de Molière – nient la vérité présentée.
Ces rageux se détournent du réseau.
L’Agréable Jeunesse (réfléchissant) – Tiens, pourquoi pas aller sur Twitter.
Interruption générale.
La Narratrice – Mince, j’ai mal écrit ce texte ! Veuillez m’excuser, je rectifie tout de suite ma faute.
Rembobinage et reprise de la pièce.
L’Agréable Jeunesse (réfléchissant) – Tiens, pourquoi pas aller sur X plutôt.
Un nom qui, je trouve, pour des has been, peut sembler drôlement suspect.
Ils vont sur X. Ils défilent les shorts, vite, rapidement, hâtivement, prestement, et freinent d’un coup avec leur doigt sur un live. C’est un live on ne peut plus particulier. La personne fait son spectacle.
La Populaire (avec un ton mesquin et enchanteur) : Salut mes loulous ! (Elle fait un cœur avec ses mains, puis balance ses cheveux d’un mouvement de tête.) Aujourd’hui, je suis ici pour vous parler de mon tout nouveau projet qui s’appelle : Discordance ! J’ai à ce jour commercialisé mes harmonieux instruments de musique faits main et made in China. Aussi, je vous annonce mon tout nouveau sponsor du jour : Assatue, en partenariat avec ma marque de produits. Donc, je me permets… je dis ça, mais vous avez pas le choix, en fait. (Elle se roule de rire, comme une bécasse.) Oui donc, je vous fais la présentation : vous pouvez par exemple opter pour ce merveilleux produit qu’est le Hamac autonome, très pratique pour se la péter.
En même temps que le farniente se fait en envolée, vous possédez des doigts de fée ! Parfaitement, plus besoin d’attacher un hamac aux arbres, il peut maintenant voler avec des ballons gonflables. En plus, un acheté égale un Revolver lance-pierre offert : très pratique si vous souhaitez enterrer votre ex.
La méthode de meurtre est au choix : soit en lui tirant dessus avec le revolver, soit en visant les ballons avec son lance-pierre intégré. De plus, pour votre décoration d’intérieur, vous pouvez combiner la Porte-gigogne avec la Balançoire d’appartement.
Eh ouais, vous avez maintenant la joie de supporter les cris de vos adorables enfants au sein de votre petit chez-vous. Magnifique, me direz-vous. Si le désespoir d’avoir eu une progéniture vous préoccupe trop, pas d’inquiétude ! Vous aurez le droit, si elle vous fait chier, de lui cogner la tête contre le mur grâce à cette balançoire d’intérieur. (Elle chuchote.) Nous n’allons pas nous le cacher mais, en vérité, nous en voyons tous les jours, des enfants qui ont été balancés trop près du mur. (Elle reprend une voix audible.) Ah, je divague ! Aussi, avec la corde d’attache, vous avez l’honneur de pouvoir mettre fin à vos jours. Que d’heureuses familles nous allons faire, j’en suis ravie. Avec la Porte-gigogne, vous aurez le choix de décider de votre porte préférée.
Vous êtes d’accord avec moi, c’est trop naze, une seule porte. Donc, comme j’aime le travail de qualité, nous avons encastré plusieurs portes entre elles. Cependant, il faut pas que plusieurs personnes empruntent les portes sinon… vous risquez de le payer cher. (Elle esquisse un sourire de garce.) Vous serez coupés net, comme à la guillotine : mais bon, c’est seulement un défaut de fabrication. Et c’est pas fini, j’en ai encore plein en réserve. Alors, si vous êtes curieux, explorez mon site Internet. Et sur ce, cela conclut mon live, merci pour votre soutien les losers et oubliez pas de me liker, j’adore l’argent. Ciao ciao, mes amours !
La Narratrice (Toujours dans les parages, elle revient pour proclamer son mot de fin.) – Merci à tous pour votre témérité. Je vous invite, s’il vous plaît, à soutenir ceux qui font du travail de qualité : tous ceux qui nous permettent de rire de bon cœur, de nous instruire, de nous amuser, de nous divertir sur des contenus qui mutuellement nous passionnent. Bravo Internet pour tes prouesses, désolée pour ceux qui te salissent. Je vous remercie, spectateurs et spectatrices à l’écoute bienveillante. Ai-je tout dit ? Eh, mais laissez-moi finir ! Je ne sais même pas si j’ai encore fi…
Tous les téléphones s’éteignent. Chacun est dans son lit.
Des Voix parmi tant d’autres (perplexes) – Mais qu’est-ce qu’elle a fumé pour rédiger ça ?
Alizé