Suffoquer

Ô Solitude ! Solitude d’une âme dans le coin d’une pièce, engloutie par l’obscurité de ce lieu singulier, exigu. La sensation est si palpable qu’elle en devient écrasante, à tel point que je peux toucher la noirceur, la sentir, la ressentir, m’en vêtir. Où suis-je ? Je ne comprends pas. Je dormais, tout allait bien, et d’un coup, je me retrouve dans un endroit qui n’est pas ma maison. Surgit une vive douleur à ma tête alourdie. Un malaise envahissant, étourdissant, germe et s’enracine dans ma chair. Il m’habite, m’arrache la poitrine. Il me faut faire abstraction, dépasser cet état, surmonter cette épouvante, paraître serein, toujours rester serein…

Autour de moi, il n’y a que le vide : vaste et interminable. Un silence de mort, un air glacial, où ne règnent que rigidité et enraidissement, une atmosphère emplie de poussière et de chancissure y prédomine. J’ai l’impression de me trouver dans une demeure qui a été bien trop longtemps inhabitée. Dehors, il fait sûrement nuit. Tout est ténébreux ici, beaucoup trop ténébreux.

Je me lève, j’avance à l’aveugle dans ces lieux. En explorant, ils me paraissent à la fois inconnus et étrangement familiers. Mystérieux. Je frôle les murs, à la recherche de la moindre clarté, dans cet espace où le silence est aussi vieux que le monde. Je ne trouve rien pour m’éclairer. Puis, une idée lumineuse, bien que versatile, me traverse l’esprit, tel un feu follet.

Je dois chercher une fenêtre. J’en découvre une. Je dois enclencher l’ouverture, la forcer : fermée. Une autre : fermée, encore ! Pourquoi ces péripéties sibyllines m’arrivent-elles ? Les réponses m’échappent, aussi insaisissables que l’air que je me dois d’inhaler avec contrainte.

Je continue à longer les murs, jusqu’à trouver une lampe-torche, ou plutôt ce qu’il en reste. Je peux, par mon toucher, aisément affirmer que j’ai affaire à une antiquité. Elle doit éclairer si peu ! Bien évidemment, j’avais tenté, en vain, d’allumer la lumière, par n’importe quel moyen… rien à faire, a priori pas de courant électrique dans cette demeure. À long terme, il me semblait apercevoir, chimériquement, une faible clarté, mais ce n’était à cet instant qu’illusion désespérée. La situation ne fait que me désorienter davantage. Plus je réfléchis, plus la confusion s’installe en mon être. Vivement que cesse ce tourment… J’ai l’espoir ténu que cette lampe-torche puisse, ne serait-ce que l’espace d’un instant, apporter la lumière sur l’étrangeté de ce lieu. Je l’allume et découvre l’atmosphère mortifère. Je constate que la lumière est insuffisante, comme dévorée par les ténèbres. La noirceur ceint cet endroit : elle est animée, hostile et fait frissonner toute chose.

À la lumière faiblement présente et vacillante, je remarque la vétusté et la souillure effroyable de l’endroit. Un pressentiment terrorisant, faussé, rien de plus. Rien de choquant, c’est sûr, me dis-je. Avec un relatif apaisement, je reviens difficilement à mon point de départ et je décide de réexaminer toutes les fenêtres. Des cadenas. Des cadenas sur chaque fenêtre, reliés à des chaînes qui les condamnent, comme les menottes qui me relient au lieu, qui me privent de ma liberté. Sans issue ? Serait-il imaginable que quelqu’un, quelque chose, veuille m’enfermer ? Si c’est cela, qu’a-t-il comme objectif, quel est le sens de celui-ci ? Non, stop. Ne pense plus. Continue ta quête au lieu de divaguer dans tes pensées !

Désormais, à chaque pas, le malaise s’amplifie. Un espace qui a l’air de se déformer, ondulant sous mes yeux, tel un dédale sinueux, jusqu’à ce qu’apparaisse une femme.

Elle est vêtue d’un accoutrement des plus désuets. Pour cause, cette apparence vieillie est d’autant plus marquée par la longue robe qui a perdu de son opalescence et qui, dorénavant, n’est que grisâtre, tachetée, et en lambeaux.

Immobile, elle est. Un long sac de soie lui recouvre la tête jusqu’au cou, une corde ligote sa gorge. Elle est vivante, mais a perdu la raison. Les seules vocables intelligibles, tant le silence régnant est assourdissant, sont de longs râles d’agonie, une respiration profonde, saccadée, sifflante, irrégulière, d’une amplitude quasi inexistante, d’une fréquence faible, une respiration indescriptible qui peut crisper n’importe quelle chose.

Dès qu’elle entend ma présence parasite et saugrenue, un cri strident s’échappe de sa bouche, rien de comparable à un son humain ou bestial. Inconnu, jamais entendu auparavant. Tout mon être se paralyse. Sous mes pieds, soudain, le sol se dérobe. Je perds pied et je m’enfonce, contre ma volonté, dans un tunnel qui m’amène vers une trappe s’ouvrant sur la forêt de Brocéliande.

Je ne reprends conscience que quelques heures plus tard. Mon esprit n’est plus nébuleux. L’effroi, par contre, est toujours immiscé en moi. Je ne veux aucunement ressasser ces atrocités. Pourtant, il m’est impossible de ne pas m’imaginer le pire des scénarios… Cette silhouette horrifique, vivante et morte de l’intérieur, qui cherche à vous agripper de sa main spectrale pour vous rendre, comme elle, captive, tel l’oisillon dans la cage du monde.

La vérité n’est pas une lumière qui éclaire l’esprit, mais une obscurité qui engouffre la raison. Les plus grandes atrocités ne sont pas celles qui se produisent devant vos yeux, mais celles qui vous attendent dans l’ombre de l’inconnu.

Alizé