Les fesses collées à mon siège, j’écoute les exposés qui s’enchaînent depuis des semaines, différents dans chaque matière et pourtant si similaires. Les lectures monotones, sans yeux levés vers moi, font que je me déconnecte peu à peu de ce qui se passe autour. Les bruits sont lourds, aqueux, les mots me parviennent comme dans le grand bain à mes huit ans. Vous savez, ce moment où on découvre que le bruit est déformé par l’eau, comme si on développait un sixième sens. Dès que j’observe autour de moi, il n’y a que des regards de poissons morts, à la manière des photographies d’Ariane Ruebrecht dans Les Trois Règnes de Jeff Champo.
Ils baillent comme des huîtres, leurs bouches pâteuses s’ouvrent et se ferment. Leurs poignets font un angle droit à force de soutenir leurs têtes (pour ceux qui font au moins cet effort). De temps en temps, un oral sort du lot, perle au milieu des muscles, valves et branchies d’une huître exquise. C’est une bouffée d’air frais… ou bien d’eau fraîche, si on veut rester dans les métaphores aux odeurs de marée basse.
Chacun est dans son aquarium, sali à force qu’on s’y cogne pour essayer de sortir mentalement de cette salle. Je regarde Les Trois Règnes, le seul objet sur ma table à côté de ma trousse. Il est passé de main en main parmi mes amis, leur arrachant un sourire à la lecture de certains textes, puis une mimique de dégoût devant certaines photos. Après ce moment fugace, leurs regards s’ancrent de nouveau sur la personne bégayante en face.
Les oraux terminés, je me lève et échoue mon livre au fond de la classe, pour qu’il devienne la bouée d’un prochain naufragé.
Elea