Mots d’adieux

J’ai donné un livre.
J’ai donné un recueil,
Palpitante d’émotions contraires.

J’imagine les volutes formées par les mots, sortant de la bouche des infirmières pour atteindre l’âme des patients.
J’imagine la poésie se faufiler entre les écueils de la morphine, se poser comme remède.
Je les vois lire vos textes, anciens poètes de l’atelier, pour procurer un dernier réconfort. Pour procurer une dernière émotion avant l’apogée de la vie.
Mélange de mélancolie et de douceur qui enveloppe.
Je ne sais pas qui tu es.
J’aime à imaginer les visages que tu auras.
Celui d’une grand-mère aux cheveux courts et blancs, aux traits marqués par la vie,
Celui d’une jeune femme incurable,
Celui d’un espoir déchu,
Celui d’une vie partie trop tôt,
Celui d’une peur sous-jacente.

La mort rôde dans les couloirs, malgré les chants de Noël de l’orchestre.
Je brandis cet amas de papier couleur cendres comme une arme.

J’imagine ta lassitude, ta fatigue.
J’imagine les infirmières te faire la lecture,
Tenter de sortir la douleur, de te faire sortir de ta torpeur,
Distraire par des mots.

Je t’imagine choquée, surprise, admirative, réceptive, déçue, heureuse comme une enfant.

Je rêve des pages tournées dans la salle de pause, dans les chambres, dans les couloirs. Je rêve que ce recueil devienne ton préféré. Je rêve qu’il éloigne les pleurs de la mort. Je rêve qu’il éloigne tes peurs face à cet environnement teinté de désespoir. Je rêve que ces poèmes soient lus et lus et lus et lus, jusqu’à ce que chacun les connaisse par cœur. Je rêve que recueil soit annoté, dessiné, gribouillé, corné, vivant.

Je rêve de troquer ta douleur contre des mots. Juste pour un furtif instant.

Souvent je pense à lui, livre abandonné à des infirmières dans des couloirs pâles et jaunes. Vas-tu devenir un remède, une source de réconfort ? Vas-tu être laissé pour compte dans un placard ? Vas-tu accompagner tes lecteurs dans les pires et meilleurs moments ? Que seras-tu ?

Je tourne les talons, donnant à jamais un bout de nous dans l’unité des soins palliatifs de l’hôpital de Castres.

J’ai donné un livre.
J’ai donné beaucoup plus que ça.

Le Corbeau