Perambulation algébrique

Au milieu d’immenses façades décrépites, une petite maison en pierre se cachait sous d’épaisses branches de lierre. Pour y entrer, il fallait traverser un jardin fleuri, entretenu mais pourtant sauvage, qui restait dans l’ombre de ses grands voisins, immeubles qui touchaient presque le ciel. La maisonnette ne voyait le soleil qu’à 14 heures, il passait son bras par la fenêtre pour ensuite le retirer sans un mot, laissant derrière lui assez de chaleur pour contenter ses amies les plantes.

Je marchais tous les jours devant cette habitation, jetant un œil plus ou moins rapide, selon mes humeurs, sur celle qui m’intriguait tant. Toute sa simplicité lui donnait un charme que ceux de la campagne savaient lui reconnaître. Chemin habituel et sans surprise, je fus étonnée un matin de trouver une dame âgée, habillée d’un gilet tartan bordeaux, qui récupérait son courrier devant la maison. Ne voulant pas paraître étrange, je ne m’attardai pas devant elle. Cette image paisible me resta longuement dans un coin de la tête. Le reste du chemin, j’imaginais cette femme comme une veuve lectrice, qui adore les plantes, collectionneuse d’anciennes tapisseries encadrées. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque le lendemain, comme je repassais devant la maison, un vieil homme sortit du garage sa R11 4 chevaux grise, légèrement écaillée. Mon personnage de veuve se désintégra, mais ce petit bonhomme aux cheveux blancs me parut si sympathique qu’automatiquement j’eus l’idée de laisser dans la boîte aux lettres un petit livre de la série Jeff Champo. Je regardai dans la pile qu’il me restait, j’en cherchai un assez petit, pour pouvoir le glisser dans la fente de la boîte aux lettres, et pas trop rocambolesque comme par exemple Autopsst ou Virulences, qui ne correspondaient pas à l’image que j’avais de cette maison confortable. Mon choix se porta sur Décombres algébriques & fifres romains, la couverture style Série blanche de Gallimard me plut, ainsi que le fait qu’il n’était pas épais. J’inscrivis une citation de Jules Renard sur un post-it : « Quand je pense à tous les livres qu’il me reste à lire, j’ai la certitude d’être encore heureux », suivie d’une petite dédicace de la part de l’équipe Jeff Champo.

Un matin, je passai devant la maisonnette, le livre à la main. Je glissai rapidement et discrètement celui-ci dans la boîte aux lettres vert sapin. Le livre était tombé dans un gros « boum » sur la ferraille, ce qui me fit observer autour de moi, frénétiquement, m’attendant à croiser un regard suspicieux. Au lieu de ça, il n’y avait que des personnes qui marchaient sur le trottoir d’en face, le regard planté dans le goudron.

Je sentais que je portais un poids en moins, ce livre comme offrande pour faire la paix avec cette maison qui me hantait depuis des semaines.

Eléa

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