V. Passage à l’édition des textes de non-professionnels

           Rémy Cazals, 2021

Le problème central est déjà posé : pendant longtemps il ne pouvait pas venir à l’idée des témoins de milieu populaire de chercher un éditeur pour des textes que beaucoup d’entre eux considéraient cependant comme leurs livres. Certains eurent recours à l’autoédition. Parmi les rares cas, on peut citer les Pages de guerre d’un paysan de Jean-Louis Talmard, tiré à 300 exemplaires en 1971. Du temps a passé, les chemins vers l’édition sont devenus plus accessibles, « 68 » a suscité l’intérêt pour la « mémoire populaire » (titre d’une collection chez François Maspero qui a accueilli le caporal Barthas, tonnelier). À certaines dates, la publication de témoignages de 14-18 est devenue un phénomène éditorial, 1998, 2004, 2008, le Centenaire… Les éléments moteurs de ces opérations sont nombreux et divers, à commencer par les descendants directs des témoins.

            1. Rôle des descendants dans l’édition

            Il ne sera pas possible de citer ici les dizaines de cas de publication par piété familiale de fils et filles, petits-fils et petites-filles, arrière-petits-enfants. Seulement quelques-uns, principalement ceux qui montrent une coopération entre générations.

            Auguste Allemane a mis en forme ses carnets de guerre au début des années 1920. Ses deux petits-enfants ont retrouvé, transcrit et publié le texte en 2014 sous le titre Journal d’un mobilisé. Une petite-fille de Georges Baudin a récupéré ses six carnets manuscrits et a pris le temps de les transcrire soigneusement. Avant l’édition, un arrière-petit-fils a placé le texte sur son blog. Le tirage sur papier date de 2015, sous le titre Brancardier sur le front, carnets de guerre 1914-1918.

            Quarante ans après la mort de Louis Bobier, son petit-fils a édité son témoignage sous le titre Il avait 20 ans en 1913. Louis Bobier, un poilu du Bourbon dans la grande tourmente (en 2003 à 300 exemplaires). Yann Prouillet, un solide connaisseur, estime : « L’édition confidentielle de ce monument testimonial n’est pas à la hauteur de la large diffusion qu’il mérite. Une réédition plus ambitieuse est toujours possible. »

            Georges Capel, du 289e RI, est mort en janvier 1915 des suites de ses blessures. Sa veuve a recopié son journal de guerre car l’original était en train de s’effacer. Son petit-fils Michel a ajouté un bref commentaire à l’opuscule de 41 pages, composé par l’arrière-petit-fils Patrick.

Le journal rédigé par Aimée Cellier dans Valenciennes occupée n’a été redécouvert par la famille qu’en 2010. Une petite-fille l’avait caché, jugeant le texte trop plein de lamentations. Trois représentants de la génération suivante l’ont transcrit, annoté et publié sur le site Calaméo.

C’est en effectuant une recherche généalogique que Pierre Austruy a trouvé les lettres de 14-18 de son arrière-grand-père Albert Cols de Graulhet (Tarn). Il les a transcrites et illustrées dans un livre hors commerce dont des exemplaires sont déposés aux Archives départementales du Tarn et à la bibliothèque municipale de Graulhet.

Du vivant de Joseph Faury, quand il commençait à raconter à ses petits-enfants un épisode de la guerre, sa femme lui répondait : « Tais-toi, ils la connaissent par cœur ta guerre ! » Alors il a écrit ses souvenirs en 1960-61, à l’âge de 73 ans. Son petit-fils Paul a mis en forme le manuscrit sous le titre Maudites soient les guerres (éditions France Libris, 2017). Pour rédiger la notice « Faury Joseph » sur le site du CRID 14-18, Vincent Suard a pu parler avec Paul Faury et obtenir des renseignements intéressants. Vincent a également interviewé Soizick Le Pautremont, historienne, petite-nièce d’Émile Madec, responsable de l’édition du journal de Milec le soldat méconnu,

Les trois filles de Paul Frot (qui avait 17 ans en 1914) ont publié son Journal de guerre du 15 juin 1917 au 11 novembre 1918 aux éditions Connaissances et Savoirs en 2005. Le texte est précédé d’une « adresse » des trois sœurs à leur père, en guise de dernière lettre à lui envoyée après sa mort.

En 2000, Marie-Joëlle Vandrand publie à compte d’auteur le livre « Il fait trop beau pour faire la guerre », Correspondance de guerre d’Élie Vandrand, paysan auvergnat (août 1914-octobre 1916). Elle commence ainsi son introduction : « Élie. Pendant toute notre enfance, ce prénom a été associé à un portrait de collégien trônant dans la salle à manger de nos grands-parents, et à une petite photo sur le caveau familial. « Élie, c’était mon oncle », nous avait dit notre père, « il a été tué à la guerre ». C’était tout ce que nous en savions. » Marie-Joëlle a découvert beaucoup plus tard la matière de son livre qu’elle a pu rééditer en 2013. J’ai été heureux de répondre à sa demande de rédiger une préface.

Une situation originale : c’est l’arrière-petit-fils de sa marraine de guerre qui a publié à L’Harmattan les lettres d’André Tanquerel, tué en 1916.

Marie-Noëlle Goujon, petite-fille du couple Jean-Marie Relachon – Mathilde Rozet a retrouvé dans la maison familiale les lettres de ses grands-parents et du frère de Mathilde, tué en 1918. Sous le titre « Et nous, nous ne t’embrasserons plus », Trois jeunes Lyonnais dans la tourmente de la Grande Guerre, le livre a été tiré à compte d’auteur en 2014. En précisant son objectif : « Par ce livre, en racontant l’histoire de quelques-uns j’ai souhaité non pas les figer comme des morts mais les regarder et essayer d’en parler comme des vivants. » Nous avons là un comportement digne de celui des « passeurs ».

2. Les passeurs

Tous les descendants qui ont contribué à faire connaitre des témoignages familiaux sont des passeurs. Certains sont allés plus loin, en accompagnant la publication. D’autres, très actifs cependant, n’avaient pas de rapport de parenté avec les témoins qu’ils ont transformés en auteurs de livres. Je ne peux évidemment développer que les situations que je connais.

Michel Mauny

Michel est le petit-fils du sergent Émile Mauny du 246e RI, puis du 122e RIT, et le réalisateur du livre Émile et Léa, Lettres d’un couple d’instituteurs bourguignons dans la tourmente de la Grande Guerre. Les 1250 lettres échangées se trouvaient dans un carton marqué du simple mot : « Guerre ». Ingénieur des travaux publics, Michel Mauny estimait ne pas avoir la compétence nécessaire pour les exploiter mais, conseillé par les historiens membres de l’association Adiamos du département de l’Yonne, il a réalisé en 2005 une première édition à compte d’auteur tirée à 500 exemplaires, épuisée en quelques mois, ce qui a nécessité un second tirage de 500. Découvrant Barthas, Michel Mauny m’envoyait un exemplaire de son livre en me demandant de lui adresser des critiques constructives : « Elles me seraient particulièrement précieuses si je venais à envisager une nouvelle réédition. » J’ai évidemment répondu en suggérant quelques améliorations.

Retraité, Michel Mauny a pu faire la promotion de son livre par une série de conférences. Une troisième édition est sortie en 2007, en tenant compte de mes remarques. 500 exemplaires de plus. Et toujours une grande activité de passeur décrite dans cette lettre du 5 mai : « Le compte rendu que vous avez aimablement diffusé sur le site du CRID 14-18 m’a apporté une caution de poids auprès de mes différents interlocuteurs. Cela m’aide particulièrement lors de mes propositions de conférences. J’en ai déjà réalisé une vingtaine devant des publics variés comme vous pourrez en juger puisque l’on y trouve en particulier une classe de CM2, plusieurs classes de troisième et de première mais également une association de libres penseurs ainsi qu’une association d’officiers de réserve ! Centré initialement sur l’Yonne, j’ai depuis quelques mois étendu mon rayon d’action géographique. […] Enfin j’ai mis au point un autre type d’intervention sous la forme d’une lecture-spectacle. Les extraits de courriers y sont lus par une comédienne et un comédien professionnels costumés d’époque et il me revient de présenter et de commenter. »

Plus tard, en avril 2009, Michel Mauny pouvait évoquer « une bonne quarantaine » de conférences et m’envoyer un carton d’invitation à celle qu’il allait donner au Centre mondial de la Paix à Verdun le 12 mai.

J’ai rencontré Michel Mauny à Auxerre lors du colloque sur L’Yonne dans la Grande Guerre organisé en novembre 2013 et publié en 2014 sous le même titre. J’y évoquais « L’originalité du témoignage de la famille Papillon », également originaire de l’Yonne (Vézelay) et dont la publication du témoignage collectif doit beaucoup à des « passeurs » suisses, Madeleine et Antoine Bosshard. Tiphaine Martin donnait au colloque une communication sur « Émile et Léa », tandis que Michel Mauny lui-même, pris par la passion de l’histoire, présentait deux Icaunais, un préfet et un soldat. Il me demandait l’autorisation de reprendre des passages de ma notice « Mauny » en postface à la quatrième édition de son livre (2014). Quatre éditions avec un tirage total de 1900 exemplaires, l’exploit d’un passeur infatigable.

Les Papillon, dont il vient d’être question, sont des personnages marquants du Centre d’interprétation de la guerre inauguré à Suippes (Marne) le 9 décembre 2006, après un important travail de réflexion, préparation  et animation effectué par des membres du CRID 14-18. Le chirurgien Prosper Viguier y est également bien représenté par des documents fournis par son petit-fils, un autre passeur motivé.

Pierre Galabert

Pierre Galabert est le petit-fils du médecin major Prosper Viguier dont j’ai réussi à publier le témoignage sous le titre Un chirurgien de la Grande Guerre aux éditions Privat à Toulouse dans la collection « Témoignages pour l’histoire » en 2007. Né à Verfeil-sur-Seye (Tarn-et-Garonne), médecin major au 18e RI de Pau, puis responsable de l’ambulance 8/18 à partir de mai 1915, Prosper Viguier a terminé sa carrière comme médecin-chef de l’hôpital Larrey à Toulouse. Membre fondateur du CRID 14-18, le général André Bach a fait en 2008 dans les Annales du Midi un long commentaire élogieux du livre dont la publication a été soutenue par le département de l’Aisne dans le cadre des manifestations du 90e anniversaire de la bataille du Chemin des Dames.

Le fonds Viguier était important et varié. Aux documents écrits et photographiques utilisés pour composer le livre, s’ajoutait le contenu des cantines professionnelles. Pierre Galabert a offert les instruments chirurgicaux de son grand-père au musée de l’histoire de la Médecine de Toulouse, et il a contribué à illustrer la partie « L’homme blessé » du Centre d’interprétation de la guerre de Suippes.

Dans la perspective du Centenaire de la Première Guerre mondiale, Pierre Galabert, l’association des Amis de l’Hôtel-Dieu  et le musée de l’histoire de la Médecine à Toulouse ont lancé un projet d’exposition dans les locaux de l’Hôtel-Dieu Saint-Jacques. De très nombreuses séances ont réuni une équipe d’une dizaine de personnes, principalement des médecins, et moi-même en tant qu’historien. Prosper Viguier et son ambulance y occupaient une place éminente. Une vitrine exposait des livres ayant pour origine l’université de Toulouse-Jean-Jaurès. Un cycle de conférences a contribué à l’animation autour de l’expo pendant les deux années 2017 et 2018.

Guy Durieux

C’est le 3 janvier 2007 que Guy Durieux a pris contact avec moi : « Sur les conseils de Robert Serre, j’ai le plaisir de vous adresser un exemplaire des Mémoires de la guerre 1914-1918 de Marius Perroud. Ayant retrouvé son récit il y a peu, nous en avons, avec son petit-fils, assuré une édition à tirage limité (une centaine d’exemplaires destinés principalement au cercle familial) qui ne sera pas commercialisée. Sachant l’intérêt que vous portez à de telles publications (cf articles du Monde du 25/11/05 et du 11/03/06) nous pensons que vous pouvez en faire bon usage. » En avril 2013, Guy Durieux m’envoyait un exemplaire de la deuxième édition dont l’avant-propos précisait : « Et quelle surprise de découvrir que les historiens Rémy Cazals et André Loez citent sept fois les Mémoires dans leur dernier ouvrage Vivre et mourir dans les tranchées. »

Entre temps, Guy Durieux s’est penché sur le carnet de guerre d’Hippolyte Davat du 206e RAC. Un  article du Dauphiné libéré du 11 novembre 2011 montrait le passeur en plein travail, un travail minutieux suivi de l’édition en 2014, un tirage de 218 exemplaires à compte d’auteur.

Guy Durieux a poursuivi ses recherches de manuscrits inédits à publier à très faibles tirages pour le témoignage de guerre de Valentin Mathieu. Marius Perroud, Hippolyte Davat et Valentin Mathieu ont une notice sur le site du CRID 14-18.

Daniel Lautié

J’ai acheté à la librairie Privat de Toulouse le témoignage de l’Alsacien Dominique Richert, ayant fait toute la guerre de 14-18 dans l’armée allemande, livre publié par la maison d’édition strasbourgeoise La Nuée bleue en 1994 sous le titre Cahiers d’un survivant, un soldat dans l’Europe en guerre 1914-1918. Le manuscrit d’origine est en allemand ; il a été publié dans cette langue en 1989 à Munich. Au colloque de 1998 à Montpellier, j’ai présenté une lecture comparée, « Deux fantassins de la Grande Guerre : Louis Barthas et Dominik Richert », texte publié dans les Actes quelques années plus tard.

Coïncidence, le mari de la petite-fille du soldat alsacien habite Toulouse. Daniel Lautié prend au sérieux son rôle de passeur. Il a créé un site (1418-survivre.net) d’une richesse extraordinaire, faisant état de la réédition en français chez le même éditeur (2016), d’une traduction en anglais (The Kaiser’s Reluctant Conscript), d’une traduction en russe, de divers films et documentaires. Grâce à Daniel Lautié, on peut tout savoir sur ce soldat que la publicité de La Nuée bleue présente comme « le Louis Barthas allemand », et sur la notoriété internationale de son texte. Daniel Lautié et la famille de Dominique Richert ont offert les manuscrits originaux au mémorial de la Haute Alsace qui vient d’ouvrir ses portes à Dannemarie en août 2021 et qui les expose.

Marion Geddes et Françoise Moyen

Petite-fille de Bernard et Magali Collin, Marion Geddes a retrouvé la correspondance de ses grands-parents, d’août 1914 jusqu’à la mort du soldat en septembre 1915. La qualité de ces textes justifiait la publication d’un livre ; la quantité imposait un choix. Le livre, publié à compte d’auteur en 2017, a pour titre Une famille dans la Grande Guerre, correspondance de Bernard et Magali Collin ; il compte 376 grandes pages ; le texte intégral peut être consulté aux Archives municipales de Sète. C’est en effet en étroite collaboration avec cette institution que l’opération a été montée, accompagnée d’une exposition, dans le cadre de la Grande Collecte. Bernard Collin était un homme remarquable ; sa petite-fille l’a parfaitement mis en valeur.

Françoise Moyen a présenté ses quatre grands-parents dans le livre collectif 500 témoins de la Grande Guerre : André Charpin et Céleste, Abel Gilbert et Désirée. Lors du colloque de Carcassonne sur le thème Travailler à l’arrière 1914-1918 (publié en 2014), elle a insisté sur ses deux grands-mères, Céleste Chassinat et Désirée Frémond dans son intéressante communication : « Paysanne, femme d’artisan, le travail des femmes à la campagne pendant la Grande Guerre ». Françoise Moyen a transcrit les carnets et toutes les correspondances et a déposé son travail aux Archives départementales du Loiret, territoire d’origine de la famille.

Colin Miège

Petit-fils du sous-officier puis lieutenant Désiré Sic, Colin Miège a attiré l’attention sur le fonds de photos de son grand-père en fournissant la matière d’un hors-série de La Lettre du Chemin des Dames en 2012. Il a ensuite travaillé avec Alexandre Lafon à la publication chez Privat du premier volume de la collection « Destins de la Grande Guerre » sous le titre Une guerre d’hommes et de machines (2014). Le fonds Désiré Sic était suffisamment important (« source presque inépuisable », dit Colin Miège) pour permettre la publication d’autres livres par son petit-fils : Désiré Sic : le parcours d’un militaire Bas-Alpin entre le Maroc et le front de France (1904-1934), par les Archives départementales des Alpes de Haute-Provence en 2014 ; La Grande Guerre vue par un officier du Génie, un beau livre des éditions E-T-A-I, 2014 ; Le Maroc à travers l’objectif du photographe Désiré Sic (1912-1933) par un éditeur marocain en 2017 ; Désiré Sic, l’aventurier enraciné, récit d’une vie dans le XXe siècle, chez L’Harmattan, 2019. Colin Miège souhaite publier aussi l’importante correspondance de guerre entre Désiré Sic et sa femme.

Nommé sous-préfet de l’arrondissement de Castres, son intérêt personnel pour la période désignait Colin Miège pour l’animation du comité départemental du Tarn pour le Centenaire de la Première Guerre mondiale.

Dans le dictionnaire des témoins, sur le site du CRID, figure une notice « Bergerie, André », signée Colin Miège. Le bref journal de campagne tenu par ce soldat du Génie est rédigé au crayon sur un minuscule carnet publicitaire Vermouth-Cinzano. Il se termine le jeudi 31 décembre 1914, interrompu par une grave blessure qui a entrainé sa mort. Le document a été conservé par Désiré Sic qui a inscrit au dos la phrase suivante : « Carnet de route du s/m Bergerie, tué au bois des Zouaves, agent de liaison de l’adjudant Sic (en souvenir) ». Colin Miège a retrouvé la tombe de ce sapeur mineur à la nécropole nationale de Sillery près de Reims. Il a déposé le carnet original aux Archives municipales de Bordeaux, ville d’origine du soldat.

Claude Rivals et Yves Pourcher

Deux ethnologues réputés ont rencontré 14-18 au cours de leurs recherches. Claude Rivals est le grand spécialiste de l’histoire technique, sociale et culturelle des moulins et des meuniers. Yves Pourcher s’est aussi intéressé aux moulins et à l’ensemble des activités traditionnelles de son département, la Lozère.

En Anjou en 1973, en quête de témoignages sur les moulins à vent, Claude Rivals a rencontré Pierre Roullet, qui fut meunier à la « Belle Époque ». Le meunier avait écrit quelques pages de souvenirs ; un échange de propos oraux suivit ; les questions du « passeur » obtinrent de nouvelles rédactions, suscitant cette remarque : « Je vous remercie, M. Rivals, par vos questions vous donnez un sens à ma vieillesse. » L’universitaire souhaitait obtenir des renseignements sur les moulins, mais il dut tenir compte d’une période marquante pour l’homme qui avait eu 27 ans en 1914 et qui avait fait toute la guerre. Dans son livre de 1983, Pierre Roullet, la vie d’un meunier, Claude Rivals a dû consacrer deux chapitres à la guerre, reconnaissant l’intérêt incontestable de leur apport.

Sans abandonner son domaine principal, Claude, alors professeur à l’université de Toulouse-Le Mirail, n’avait pas oublié la Grande Guerre. Son propre père lui avait raconté que son instituteur à l’école de Fenouillet (Haute-Garonne), Monsieur Caubet, lisait en classe des passages de ses mémoires de sergent. Claude a retrouvé la fille de Georges Caubet et les cahiers originaux. Il ne s’agissait pas d’un récit continu, mais de deux cahiers intitulés « Mes souvenirs sur Verdun, Cumières, Chattancourt, le Mort-Homme, février-mars 1916 » et « Six mois de captivité en Allemagne, juin-novembre 1918 » ; un troisième cahier contenait le récit inachevé de son retour en France. Sous le titre Instituteur et Sergent, mémoires de guerre et de captivité, la collection « La Mémoire de 14-18 en Languedoc » a publié en 1991 les textes de Georges Caubet dans une présentation étoffée de Claude Rivals.

Notons encore l’activité de passeur de Claude dans la valorisation des témoignages lors de manifestations pédagogiques qu’il organisa à Toulouse entre 1981 et 1985, intitulées « Archives vivantes ». Sans oublier son texte sur la canne du poilu Alain Moisset sculptée de thèmes meuniers (dans le livre à deux entrées, Bleu Horizon, publié en 2001 par Gilles Bernard aux éditions Empreinte).

Dans son ouvrage original solidement documenté Les jours de guerre (Plon, 1994), Yves Pourcher a retranscrit sur une trentaine de pages des extraits du journal du maire de Mende, Émile Joly, en 1916, un témoignage intéressant qui a, depuis, été intégralement publié. En 1998, aux Éditions de Paris Max Chaleil, Yves présentait Un commandant bleu horizon, Souvenirs de guerre de Bernard de Ligonnès 1914-1917. Puis, en 2003, le Journal d’un Poilu sur le front d’Orient, de Jean Leymonnerie, chez Pygmalion. Le maire d’une ville à l’arrière, un officier supérieur, un simple soldat.

Gérard Canini

C’est à Gérard Canini que l’on doit la première réédition de Témoins de Jean Norton Cru en 1993 aux Presses universitaires de Nancy, une opération indispensable car l’original était depuis longtemps épuisé (et les quelques exemplaires venus entre les mains des bouquinistes atteignaient un prix exorbitant). Professeur agrégé d’histoire en lycée à Verdun, Gérard avait créé la collection « Témoins et témoignages » à la suite de la publication d’un ouvrage collectif dirigé par lui, Mémoires de la Grande Guerre. Les titres de la collection étaient choisis pour leur rapport direct avec Verdun : Tranchées de Verdun, par Daniel Mornet, et Nous autres à Vauquois, par André Pézard (deux témoignages classés en 1ère catégorie par JNC) ; Verdun, par Raymond Jubert ; L’angoisse de Verdun, par Pierre-Alexis Muenier ; Trois ans de front, par Gaston Pastre ; À Verdun avec la 67e division de réserve, de Paul Voivenel.

Gérard Canini est malheureusement décédé en 1991. La Fédération audoise des œuvres laïques a contribué à la diffusion des ouvrages de sa collection sur son catalogue et lors du colloque Traces de 14-18, organisé à Carcassonne en 1996.

D’autres passeurs

Beaucoup d’autres passeurs pourraient être cités. La publication du témoignage collectif de sa famille (six frères ayant fait la guerre) par Dominique Saint-Pierre a demandé quinze années d’un « travail de bénédictin ». Après avoir publié le témoignage de son père Anatole (Verdun, années infernales), Henri Castex a présenté aux éditions Imago en 2003 le Journal d’un poilu, août 1914-décembre 1915, de Zacharie Baqué. Castex et Baqué sont de Vic-Fezensac, Gers, mais ces Castex n’ont pas de rapport direct avec la famille d’un premier ministre sous la présidence d’Emmanuel Macron.

Philippe Henwood a joué un rôle important dans la mise en ligne du site « Mémoire des Hommes ». Il a fait connaitre le témoignage de son grand-père Eugène lors du colloque Écrire en guerre 1914-1918 qu’il a co-organisé dans le cadre des activités de la Société des Amis des Archives de France, des Archives nationales, et le soutien de la Fondation Singer-Polignac. Il a ensuite rédigé la notice « Henwood Eugène » sur le site du CRID, et il a réussi à publier le remarquable livre « Maudite soit la guerre », Écrits censurés d’un journaliste dans les tranchées (1915-1918) aux éditions Pierre de Taillac (2015).

André Durand, qui a remis en marche le moulin de son grand-père Xavier Chaïla, a encouragé l’édition de son témoignage du temps de guerre. Le moulin à papier de Brousses, sur le versant audois de la Montagne Noire, travaille à l’ancienne et reçoit de nombreux visiteurs. Le livre est vendu à la librairie du moulin. André a eu l’idée de faire éditer par la poste un « timbre à moi » représentant Xavier sur son cheval en uniforme de hussard. Je me souviens d’avoir utilisé quelques-uns de ces timbres dans ma correspondance avec des amis du CRID. Autre cas de piété familiale, les petits-enfants d’un sous-officier du 323e RI puis 206e RI ont créé une Association des Descendants du Poilu Auguste Hervouet qui a publié son témoignage en 2010 : « Harcelés par une pluie de fer et de feu », retranscription fidèle de son récit écrit en 1919.

Rencontrée à Genève lors d’une « Journée Louis Barthas », Isabelle Jeger m’a montré les lettres de son grand-père Charles Patard, et nous avons pu les faire éditer par Privat dans la collection « Destins de la Grande Guerre » : « Si on avait écouté Jaurès », Lettres d’un pacifiste depuis les tranchées. Isabelle a ensuite rédigé plusieurs notices pour le dictionnaire des témoins sur le site du CRID 14-18. Les auteurs de notices sont aussi des passeurs. Merci à Vincent Suard et à toutes celles et tous ceux qui contribuent à cette œuvre utile.

Sources :

Dans Témoins, notices Mornet, Pézard, Jubert, Muenier, Pastre.

Dans 500 témoins, notices Barthas, Bobier, Capel, Vandrand, Mauny, Papillon, Viguier, Perroud, Richert, Charpin, Gilbert, Sic, Roullet, Caubet, Joly, Ligonnès, Leymonnerie, Voivenel, Saint-Pierre, Castex, Baqué, Chaïla, Patard.

Sur le site du CRID, notices Talmard, Allemane, Baudin, Cellier, Cols, Faury, Madec, Frot, Tanquerel, Relachon et Rozet, Davat, Mathieu, Collin, Bergerie, Henwood, Hervouet.

3. Activités pédagogiques et édition

L’appel à projets pédagogiques par la Mission du Centenaire a rencontré un franc succès : plus de deux mille projets ont été labélisés. Il n’est pas possible de les citer ici. On les trouvera dans les gros volumes publiés par la Mission. Le livre Le Centenaire à l’école, un laboratoire pédagogique, coordonné par Alexandre Lafon, en établit le bilan. Bien avant le centenaire, des activités pédagogiques avaient abouti à la publication de témoignages.

Concours scolaires

Au début des années 1980, à la suite immédiate de l’édition du livre de Barthas, la Fédération audoise des œuvres laïques et le CDDP de l’Aude ont organisé un concours dans les écoles et collèges du département. Ce concours a suscité quelques textes (par exemple Marie Saint-Amans, institutrice retraitée, qui avait 10 ans en 1914, a préféré s’exprimer par écrit). Des entretiens ont été enregistrés au magnétophone et transcrits. Les personnes interviewées avaient les souvenirs des enfants qu’elles étaient en 1914-1918 et ont rappelé les éléments les plus marquants : le tocsin du 1er août pendant le dépiquage ; les restrictions alimentaires ; l’entrée au travail agricole à l’âge de 11 ans et même de 8 ans ; la mort du père (Louis Cros). Ce dernier a ajouté un souvenir scolaire inattendu sur la mobilisation : un écolier disant que, cette fois, il n’y aurait pas « un Bazaine pour nous trahir ». Une distribution de prix a eu lieu à l’issue de ce concours, et les témoignages recueillis ont été publiés dans le livre Années cruelles, n° 6 de la collection « La Mémoire de 14-18 en Languedoc ».

C’est aussi dans le cadre d’un concours organisé par Le Progrès de Lyon sur les poilus jurassiens que deux professeurs d’histoire et de géographie ont proposé le témoignage de Marcel Maire, sergent au 172e RI, Sac au dos, Chroniques de guerre 1914-1918.  Un éditeur suisse, Les Presses du Belvédère, a publié ce texte en 2006.

Collèges et lycées

Au cours de l’année scolaire 1984-1985, dans le cadre d’un PAE (projet d’action éducative), la classe de 1èreA2 du lycée Guez de Balzac d’Angoulême a invité l’ancien combattant Jean Decressac, lui-même ancien élève de l’établissement. Une plaquette a été publiée relatant les moments forts de l’expérience pédagogique et donnant des passages des carnets rédigés par le poilu. Le collège Hurlevent de Hayange a bâti son PAE sur les carnets manuscrits du brancardier et musicien Jules Poulet, publiés en 1985.

François Barge est mort en 1957, mais son carnet de guerre a servi de support à un travail pédagogique au lycée Blaise de Vigenère de Saint-Pourçain-sur-Sioule. Le CRDP de Clermont-Ferrand en a publié le compte rendu en 1984 dans une plaquette intitulée Avoir vingt ans dans les tranchées. Le texte du soldat est reproduit, accompagné de commentaires pertinents. Le réseau qui a pris le nom de Canopé a participé, par exemple, à l’édition des Carnets de route de P.-G. Barreyre, poilu girondin (CRDP d’Aquitaine, 1989) et du Carnet de guerre, Aquarelles, novembre 1915-avril 1916 de l’artiste Ernest Gabard (CDDP des Pyrénées Atlantiques, 1995, livre remarquable par la qualité des reproductions, les annexes, le renvoi à un site internet pour y trouver des compléments).

Professeur au lycée Louis-Querbes de Rodez, Jean-Michel Cosson a découvert deux témoignages, un en provenance du front, l’autre de l’arrière en territoire envahi par l’armée allemande. Son travail pédagogique a pu ainsi éclairer la vie des soldats et des civiles, avec la dimension supplémentaire de l’occupation. Il en a fait un livre à deux entrées (Impressions de guerre). D’un côté le témoignage du très jeune soldat aveyronnais Roger Gamel (en 1914, il avait l’âge des élèves des classes terminales de J.-M. Cosson). De l’autre, celui de Brunette Jacob, Lorraine de famille aisée, vivant à Sarrebourg, dont le journal est écrit en français avec quelques passages en allemand.

Sans doute y a-t-il beaucoup d’autres cas, mais un des plus remarquables est celui du collège Paul-Éluard de Noyon en RRS, Réseau de réussite scolaire. Sous l’impulsion de Thierry Hardier, professeur d’histoire et de géographie, l’équipe compte des collègues de diverses disciplines comme Agnès Guillaume (français). Le collège a réussi à éditer plusieurs livres de témoignages, y compris celui d’un soldat allemand, l’artilleur Hermann van Heek (2007). Côté français : le sculpteur Louis Leclabart (2010) ; une civile, Virginie Pottier (2013) ; le sergent Eugène Lasbleis (2015) ; Trois Nordistes sur le front d’Orient (2021). Ceci entre autres activités que Thierry Hardier a présentées dans sa communication au colloque Enseigner la Grande Guerre qui s’est tenu à Sorèze (Tarn) en 2017 et a été publié en 2018. Lors du même colloque, la partie « Expériences » mentionnait des travaux pédagogiques réalisés à divers niveaux, du CM2 à l’université.

Mémoires de maîtrise à l’université

Très investi dans la recherche des témoins de 14-18, j’ai pu diriger à l’université de Toulouse-Le Mirail (qui a pris le nom de Jean-Jaurès) quelques mémoires ayant pour objet des témoignages. Ceux-ci provenaient des envois de manuscrits que je recevais de temps à autre, des fonds déposés aux Archives départementales ou municipales, et même de documents familiaux trouvés par les étudiantes et les étudiants. Dans cette dernière catégorie, figurent Louis et Dalis Lamothe, agriculteurs du Lot, de même qu’Élie Baudel, le Girondin Alfred Sarrazin, le brasseur Albert Denisse d’Étreux (Aisne), le jésuite Émile Goudareau.

Le déroulement de l’expérience est présenté dans les Actes du colloque de Sorèze. Citons seulement ici les noms des témoins devenus auteurs de livres après le travail universitaire : Andrée Lecompt, Xavier Chaïla, Charles Gueugnier, le capitaine Bonneau et sa future épouse, l’instituteur Arnaud Pomiro, Henri Charbonnier, Jules Puech, Albert Denisse. Ainsi qu’un lieutenant photographe (Raoul Berthelé) et un capitaine collectionneur de photos (Léon Hudelle).

Sans doute d’autres mémoires de ce type ont-ils été préparés dans d’autres universités. Sur le site du CRID 14-18, Raphaël Georges a présenté le cas d’Aloyse Stauder, combattant lorrain de l’armée allemande dont le témoignage a été publié en 2012 à la suite d’un mémoire de maîtrise. En contact avec le département de la Drôme à propos des témoignages de 14-18, j’ai appris que les 1295 lettres du fonds César Vincent constituaient le support de la thèse de doctorat de Mies Haage à l’université de Nimègue.

En guise de complément, il faut rappeler les recherches des germanistes de l’université de Toulouse-Jean-Jaurès sur les internés civils allemands et autrichiens à Garaison, qui ont abouti à des publications et à des notices sur le site du CRID. Quant au manuscrit de Jean Suhubiette, Basque émigré en Argentine, il a été apporté à Toulouse par une professeure invitée venant de l’université nationale de la Pampa à Santa Rosa.

Ouvrages cités :

Le Centenaire à l’école, un laboratoire pédagogique, coordonné par Alexandre Lafon, Mission du Centenaire et réseau Canopé, 2019.

– Rémy Cazals & Caroline Barrera (dir.), Enseigner la Grande Guerre, Portet-sur-Garonne, Éditions midi-pyrénéennes, 2018.

Sources :

– Dans 500 témoins, notices Cros, Maire, Decressac, Poulet, Barge, Barreyre, Gabard, Leclabart, Lamothe, Baudel, Sarrazin, Denisse, Goudareau, Lecompt, Chaïla, Gueugnier, Bonneau, Pomiro, Charbonnier, Puech, Berthelé, Hudelle, Vincent, Suhubiette.

– Sur le site du CRID, notices Saint-Amans, Gamel, Jacob, van Heek, Pottier, Lasbleis, Stauder.

4. Le rôle des associations

Entre le passeur et la maison d’édition, s’intercale souvent une association, spécialisée 14-18, société savante, ou même généraliste comme la FAOL.

Associations spécialisées dans l’histoire de la Grande Guerre

« Bretagne 14-18 » est animée par René et Ronan Richard et Yann Lagadec. Parmi les témoignages que cette association a édités, figurent le sapeur Jules Bataille de l’armée d’Orient, l’artilleur Jean-Baptiste Belleil, Louis Cadoret tué aux Éparges en février 1915, le lieutenant Joseph Clément, le médecin Paul Deschamps, le sergent Jules Lachiver tué dans une attaque en mai 1915, le lieutenant Maurice Ledeux tombé en août 1918 près de Noyon, le capitaine Charles Mahé également tué en 1915 et dont le carnet de route, récupéré par les Allemands, est revenu dans sa famille après la guerre (voir ci-dessus 3e partie, point 4).

Plus proche de l’ancien front, l’association « Soissonnais 14-18 » a une activité très variée de restauration et de mise en valeur du patrimoine matériel (carrières, cimetières), de rappel des épisodes traumatiques comme la malheureuse affaire des fusillés de Vingré. On en trouvera le récit dans l’ouvrage original de Jean-Luc Pamart, Le paysan des poilus, le « témoignage » d’un passionné. L’association mène une intense politique d’édition de témoignages parmi lesquels Je t’écris de Vingré… Correspondance de Jean Blanchard, fusillé pour l’exemple le 4 décembre 1914 (publié en 2006). Animateur de l’association « Soissonnais 14-18 » et de la Société archéologique, historique et scientifique de Soissons, Denis Rolland a publié les carnets d’un civil : Amblény, le temps d’une guerre. Journal d’Onézime Hénin (en 1993). Autre civil publié : Georges Muzart, maire de Soissons pendant la guerre (en 1998). Quant à Albert Bertier de Sauvigny, maire de Cœuvres, son témoignage édité en 1934 a été repris en 1994 en fac-similé par « Soissonnais 14-18 ».

Sociétés savantes, associations culturelles

Le Groupe de Recherches, d’Études et de Publication sur l’Histoire de la Drôme est animé par des professeurs d’histoire et de géographie. Avant son travail sur la Grande Guerre, le groupe a publié quatre volumes sur la période allant de la fin de l’Ancien Régime à 1815. En partenariat avec l’Association Universitaire d’Études Drômoises, le groupe a lancé en août 2000, une recherche de documents départementaux sur 14-18. Cela a abouti, d’abord, à un numéro thématique « Paroles de Poilus drômois » de la revue Études Drômoises (décembre 2001), puis à la publication à Valence du gros livre de 500 pages Je suis mouton comme les autres, dont le surtitre est 1914-1918, Du patriote enthousiaste au poilu résigné, et le sous-titre Lettres, carnets et mémoires de poilus drômois et de leurs familles. Le livre fait entrer une trentaine de noms dans le corpus des témoins. Il a été composé par Jean-Pierre Bernard, Claude Magnan, Jean Sauvageon, Robert Serre, Claude et Michel Seyve. J’ai été heureux de répondre à leur demande de rédaction d’une préface.

Dans le Tarn, Aimé Balssa a su dynamiser la Société culturelle de Castres en proposant des ouvrages sur les activités industrielles et tout sujet intéressant la région. On lui doit la publication en 2010 d’un remarquable témoignage, celui de Victorin Bès, dont la Revue du Tarn avait conseillé la publication dès 2004, le délai étant imputable à des tergiversations des héritiers. La Société a encore publié en deux volumes la correspondance d’un couple d’instituteurs, le sergent Alfred Roumiguières et sa femme Rosa, ainsi que le carnet de Pierre Fau qui contient un exemple concret de mission commandée, non réalisée, mais décrite dans un rapport. Jean Norton Cru avait signalé qu’il était de règle de tromper les chefs : « Ceux qui reçoivent de faux rapports les ont provoqués par leur insistance à exiger l’impossible. »

Dans un petit canton montagnard du même département, le Centre de Recherches du Patrimoine de Rieumontagné a publié les témoignages de trois combattants nés à Murat-sur-Vèbre : les chasseurs alpins Joseph Alengrin et Louis Granier, et l’artilleur Romain Julien. Non loin de là, mais dans le département de l’Hérault, le Bulletin des Amis de Montagnac a fait connaitre en 2000 et 2001 les carnets du sergent Jean Bec. Le Bulletin de la Société ariégeoise des Sciences, Lettres et Arts a publié en 1996 de larges extraits des carnets et de la correspondance de l’instituteur et caporal Marius Piquemal. L’association « Gens de Savoie » a rassemblé les lettres de Maurice Marchand et de Delphin Quey, composant la chronique de 14-18 d’une famille de Tarentaise.

Didier Béautis a apporté à la Société littéraire du Maine le témoignage de son grand-père manceau André Bouton, « un mobilisé aux expériences multiples ». En 2014, la Société des Sciences, Lettres et Arts de Pau a édité le livre du docteur Michel Barthaburu, La Grande Guerre de mon père, carnets et correspondance d’Élie Barthaburu 1914-1919, soldat puis officier basque. C’est un bon exemple de motivation de piété familiale, avec le support d’une société savante, un éclairage bibliographique dans une préface universitaire et le soutien de la Mission du Centenaire.

Les Amis du Pays civraisien (département de la Vienne) ont publié en 1994 des extraits du journal de Paul Clerfeuille, présentés selon un plan thématique par Gérard Dauxerre. Le livre collectif du CRID sur le Chemin des Dames donne les pages de Clerfeuille relatives aux combats de l’Aisne. On a signalé plus haut la valorisation de son « livre » par l’auteur. Les Cahiers du Bazadais ont publié en 1979 le carnet intégral du caporal Renaud Jean, gravement blessé à la bataille de la Marne. L’association « Chemin faisant » a édité en 2013 le Carnet de guerre d’un soldat lorrain de Pierre Pénin, texte mis en perspective par Jean-Claude Fombaron. Un exemplaire dactylographié des Vieux souvenirs de guerre de Théodore Hannart, industriel à Wasquehal, avait été déposé à la Société historique de Villeneuve-d’Ascq, qui en a fait un livre en 1998.

L’ancien combattant Henri Couvreur, né à Carvin, « historien amateur » d’après Vincent Suard, avait créé la Société de recherches historiques de Carvin dans les années 60. Elle a publié en 1998 les mémoires de son fondateur. J’ai cité quelques exemples, je ne les connais pas tous, le Centenaire ayant mobilisé beaucoup d’associations et de sociétés savantes sur les années 1914-1918 et les témoignages locaux. Le dernier cas concerne une organisation associative qui a commencé à s’intéresser dès 1975 aux témoignages de 14-18.

La Fédération audoise des œuvres laïques (FAOL)

La FAOL, dont le siège se trouve à Carcassonne, réunit plusieurs associations ayant des activités périscolaires, théâtre, sport, vacances… La FAOL elle-même est la section audoise de la Ligue de l’Enseignement. L’édition de témoignages pour l’histoire a débuté en 1975 avec la publication en plaquette artisanale de format A4 des textes écrits pendant la guerre de 1939-1945 par les écoliers d’un village des Corbières, Tournissan, ouvrage repris par l’éditeur Privat en 1978, puis par Vendémiaire sous le titre Il nous tarde que la guerre finisse. Louis Barthas est venu juste après, sous la même forme avec un tirage de 500 exemplaires. Sur 72 pages, la plaquette reprenait des extraits du manuscrit pour utilisation en classe. Elle fut envoyée à François Maspero, et la réponse positive de ce merveilleux éditeur fut immédiate. La FAOL participa largement à la diffusion et au succès du livre.

            La publication du Barthas suscita des suites intéressantes. C’est d’abord un lecteur d’Aigues-Vives (Gard) qui attira notre attention sur les carnets 1939-1945 de Gustave Folcher que la FAOL a également fait publier par Maspero. Ce texte est reconnu par les historiens spécialistes comme un témoignage de premier ordre sur la captivité en commando agricole et sur la débâcle allemande vue par un PG français, ainsi que sur les combats de 1940. Retenons ici les allusions à la guerre de la génération précédente : les visites peu réjouissantes des cimetières militaires ; la découverte directe de la boue des régions du nord-est, telle que « ceux de 14 » l’avaient décrite. Le 11 avril 1945, tandis que les blindés américains foncent vers Schorstedt, le village où Gustave se trouve en commando agricole, un bruit sourd se rapproche. Le fermier lui demande s’il s’agit du canon. « Je lui dis que c’est bien là ce que j’avais entendu sur le front [en 1940]. Lui, qui a fait la guerre de 1914, a bien compris aussi. »

            La collection « la mémoire de 14-18 en Languedoc » constitue une autre suite de Barthas. Plusieurs auteurs découverts par la FAOL figurent dans 500 témoins de la Grande Guerre et dans le dictionnaire en ligne sur le site du CRID. Ce qui a caractérisé leur édition a été le souci permanent de coopération avec d’autres éditeurs, ou avec d’autres parties prenantes comme la mairie de Fenouillet (Georges Caubet), le moulin à papier de Brousses (Xavier Chaïla), etc.

            En 1992, à l’occasion de la publication du dictionnaire biographique départemental, la FAOL, la Société des études scientifiques et les Archives de l’Aude se sont associées pour organiser et publier successivement dix colloques internationaux parmi lesquels quatre sur la Première Guerre mondiale ou lui faisant une place dans une thématique plus générale. Certains de ces livres figurent parfois sur des sites de vente par correspondance à des prix prohibitifs, alors qu’on peut se les procurer à prix normal ou même soldé en s’adressant à la FAOL (www.ligue11.org, rubrique librairie). Dans le catalogue se trouvent aussi les témoignages publiés dont les tirages ne sont pas épuisés.

            Grâce à l’action de la FAOL, le texte du tonnelier Barthas est passé à la postérité, comme l’auteur le souhaitait ; la collection « La Mémoire de 14-18 en Languedoc » a fait découvrir plusieurs autres témoignages ; la FAOL s’est associée au concours scolaire dont il a déjà été question et à la recherche, pour les Archives départementales, des notes sur la guerre prises par les institutrices et les instituteurs.

Ouvrage cité :

– Jean-Luc Pamart, Le paysan des poilus, Éditions des Équateurs, 2004.

Sources :

Dans 500 témoins, notices Bataille, Belleil, Cadoret, Clément, Deschamps, Lachiver, Ledeux, Mahé, Blanchard, Hénin, Muzart, Bertier de Sauvigny, Bès, Roumiguières, Alengrin, Granier, Julien, Bec, Piquemal, Marchand, Quey, Clerfeuille, Jean, Hannart, Barthas, Caubet, Chaïla.

Sur le site du CRID, notices Fau, Bouton, Barthaburu, Pénin, Couvreur.

            5. Implication des maisons d’édition

            On a cité plus haut les éditeurs français prolifiques dans la publication des témoignages sur la guerre entre 1915 et la sortie du livre de Jean Norton Cru. Les grandes maisons d’édition ont-elles poursuivi dans cette direction ? Parmi les autres, peut-on citer les plus  motivées ?

            Grands éditeurs nationaux

            Flammarion réédite régulièrement les grands classiques, Ceux de 14 de Genevoix et Le Feu de Barbusse. Les Lettres à sa femme 1914-1917 de ce dernier sont publiées par Buchet-Chastel. Albin Michel a donné à lire la correspondance de Dorgelès, mais a abandonné le projet de publier le carnet d’Albert Thierry. En application de la formule « Soyez connu et nous vous ferons connaitre », le Mercure de France a publié Louis Pergaud, les Belles Lettres une partie de la correspondance du philosophe Alain, Armand Colin a édité Jules Isaac et Marc Bloch. Clavel soldat a trouvé sa place dans la politique éditoriale de Viviane Hamy concernant les œuvres de Léon Werth. Mais le tonnelier Barthas était un parfait inconnu lorsque son témoignage a été retenu en 1978 par François Maspero (voir plus loin le point 6 réservé au cas Barthas).

            Des éditeurs plus modestes, mais motivés

            On placera en premier Yann Prouillet et sa maison vosgienne Edhisto. Son catalogue n’est pas limité aux Vosges et à 14-18. Mais, dans ce dernier domaine, il a une grande expertise. Il sait prendre des risques en publiant les œuvres  monumentales que sont les livres de Gaston Mourlot et Lucien Lanois, et combien d’autres témoignages. Il collabore étroitement aux travaux du collège Paul Éluard de Noyon présentés plus haut. Il tient fidèlement le stand EDHISTO-CRID aux Rendez-vous de l’histoire de Blois, un coin réputé pour son bon accueil. Il fréquente aussi de nombreux salons. Lui-même auteur de notices sur les témoins, il est coauteur et coéditeur du livre collectif 500 témoins de la Grande Guerre dont la couverture est illustrée par Tardi.

            À Toulouse, Privat a créé deux collections en rapport avec notre sujet. « Témoignages pour l’histoire » compte quatre volumes 14-18 sur neuf parus (Berthelé, Despeyrières, Pomiro, Viguier). Intitulée « Destins de la Grande Guerre », la deuxième collection, apparue avec le Centenaire, est spécifique. Elle compte six volumes parmi lesquels le journal de Stéphane Ivanovitch Gavrilenko, un soldat russe en France en 1916-1917.

            Parmi les éditeurs très actifs, il faut signaler C’est-à-dire de Forcalquier, plutôt intéressé par les Provençaux. Plutôt intéressé par les auteurs protestants, Ampelos a réédité Samuel Bourguet en rétablissant les passages censurés, il a publié quelques pasteurs et l’importante correspondance de Marie-Louise et Jules Puech. Bernard Giovanangeli, Éric Labayle, Éric Mansuy ont largement participé au mouvement, de même que L’Harmattan avec plusieurs témoignages dont celui d’Émile Carrière (Un professeur dans les tranchées).

            Italiques a publié Marc Delfaud (bien accompagné par Antoine Prost et André Bach). Les photos de Paul Minvielle et le carnet de Camille Rouvière ont trouvé leur place chez Atlantica à Biarritz. Pierre de Taillac a donné une traduction française du livre allemand d’Alexander Langsdorff, et la prose très intéressante d’Eugène Henwood.

            Léonie Bonnet, née à Nérac, est publiée par les éditions d’Albret ; Louis Caujolle, né dans les Hautes-Pyrénées, par les éditions Gascogne ; Émile Morin, né en Haute-Saône, par Cêtre à Besançon ; mais les éditions des Saints Calus de Bordeaux ont choisi l’Héraultais Joseph Bousquet par affinité d’idées.

            Cette liste est loin d’être exhaustive mais l’allonger serait fastidieux. En parcourant 500 témoins de la Grande Guerre, on découvrira de multiples situations éditoriales. Mieux vaut développer un cas sur lequel mon information est abondante.

Sources :

– Dans Témoins, notices Genevoix, Barbusse, Dorgelès, Thierry, Werth, Bourguet.

– Dans 500 témoins, notices Pergaud, Alain, Isaac, Bloch, Barthas, Mourlot, Berthelé, Despeyrières, Pomiro, Viguier, Puech, Carrière, Delfaud, Minvielle, Rouvière, Bonnet, Caujolle, Morin, Bousquet.

– Sur le site du CRID, notices Lanois, Gavrilenko, Langsdorff, Henwood.

            6. Le cas du caporal Barthas

            Le tonnelier audois, caporal d’infanterie, titulaire du certificat d’études primaires, est déjà apparu à quelques reprises dans ces réflexions. Qu’il s’agisse de l’opinion exprimée par un autre poilu (« ce livre est une merveille ») ou par le président Mitterrand (« une haute valeur historique, une véritable œuvre littéraire »). Qu’il s’agisse aussi de l’encouragement de ses camarades d’escouade à écrire pour la postérité en réfutant le bourrage de crâne. Et du rôle de la Fédération audoise des œuvres laïques dans la découverte et la promotion de son livre.

            Le double pari de 1977-1978

            Au départ de l’aventure, donc, en 1977, c’est l’émerveillement devant les 19 cahiers d’écolier, la beauté de l’écriture, le soin de l’illustration, l’intérêt du texte qui ne faiblit jamais. Puis le choix d’extraits pour être utilisés en classe et l’édition d’une plaquette de 72 pages tirée à 500 exemplaires par la FAOL. Le premier pari a été de proposer à un grand éditeur national la publication intégrale. J’étais en train de préparer dans la collection du Centre d’Histoire du Syndicalisme de François Maspero un livre tiré de ma thèse sur le mouvement ouvrier à Mazamet. J’ai envoyé un exemplaire de la plaquette Barthas à François et obtenu une réponse positive quasiment par retour du courrier.

            Le deuxième pari fut celui des éditions Maspero : Barthas était un auteur inconnu ; le livre allait être très gros (plus de 500 pages) donc avoir un coût d’impression élevé ; le public ne semblait pas motivé pour la période de la guerre de 14-18 ; la maison d’édition ne pouvait se permettre un échec. J’ai conservé une lettre de François Maspero m’exposant son problème et demandant s’il fallait publier le texte intégral ou procéder à des coupures. Toutes les personnes consultées (y compris François lui-même) souhaitaient le respect du texte complet. Pour arriver à le publier à un prix de vente raisonnable, des efforts ont été faits : la famille Barthas acceptait de ne pas recevoir de droits d’auteur sur le premier tirage ; moi-même, je ne demandais rien ; la FAOL s’engageait à diffuser 500 exemplaires dans son propre réseau. Un tirage de 4000 était effectué juste avant le 11 novembre 1978. Des périodiques enthousiastes répondirent à l’efficacité du service de presse Maspero ; le bouche à oreille fonctionna à plein rendement. Les 4000 exemplaires furent épuisés en quelques jours et il fallut lancer un deuxième tirage avant Noël. Pari gagné.

            Depuis, plusieurs autres tirages se sont succédé chez Maspero et La Découverte dans le format d’origine 13,5 x 22, puis en collection de poche en 1997. L’édition de 2013 pour le Centenaire de la Première Guerre mondiale permettait de dépasser le chiffre de 100 mille exemplaires, et de nouveaux tirages suivaient encore. Compte tenu des traductions et d’une adaptation graphique, le tirage total de l’ensemble des éditions a dépassé 150 mille. Le livre de Barthas est l’exemple même du « long seller ». J’ai conservé les lettres de lecteurs enthousiastes, et l’abonnement de Maspero à l’Argus de la presse m’a fourni de nombreuses coupures. Une fois le succès du livre indiscutablement constaté, Le Monde a fini par en donner un compte rendu.

            Les traductions en trois langues résultent de coups de cœur. Le premier, en 1998, est celui de l’éditeur d’Amsterdam Bas Lubberhuizen. Pourtant, son pays était resté neutre en 14-18, et les Hollandais n’avaient pas de raisons particulières de s’intéresser à la vie d’un soldat français. Là encore, la presse a bien accompagné la sortie de De oorlogsdagboeken van Louis Barthas 1914-1918, et une sixième édition est sortie en 2014 avec un avant-propos de Piet Chielens, directeur du musée « In Flanders Field » d’Ypres.

            C’est l’historien Robert Cowley qui a conseillé à Edward Strauss de traduire le Barthas en anglais. Il s’y est lancé avec enthousiasme, avant même de savoir s’il trouverait un éditeur de son travail. Je l’ai aidé dans la mesure du possible. Ed a fait deux fois la traversée depuis New York pour venir dans le Midi, à Toulouse et à Peyriac-Minervois. Dans la région, il a cherché les traces des camarades de Barthas, en particulier de l’instituteur Mondiès (après sa mort, Barthas avait envoyé son carnet de route à sa famille). Finalement, l’éditeur de Poilu, The World War 1 Notebooks of Corporal Louis Barthas, Barrelmaker 1914-1918, a été la prestigieuse université de Yale en 2014. Le livre était accompagné de commentaires d’historiens : « I have waited many years for this work to be published in English » (Kermit R. Mercer) ; “This has to be one of the best books on WW1 that I have ever read” (Maurice Salter). Excellentes recensions dans le New York Times, le Financial Times, la Los Angeles Review of Books, le Washington Times. Le « paper-back » a suivi le « hard-back » et on peut aussi se procurer le livre en édition numérique.

Lorsque Juan Casamayor Vizcaino, directeur des éditions Páginas de Espuma à Madrid, a voulu publier un livre sur la Première Guerre mondiale pour marquer le Centenaire, il a demandé conseil à l’écrivain argentin Eduardo Berti. Celui-ci a répondu : Barthas, et je vais le traduire. Là encore, j’ai pu aider le traducteur rencontré plus tard à l’Institut Cervantès de Toulouse. Cuadernos de guerra 1914-1918 a paru en 2014 et a reçu une excellente critique des grands journaux comme El Pais, La Razon, El Mundo, invités à une conférence de presse à l’Institut culturel français de Madrid. Or, comme les Pays-Bas, l’Espagne était restée neutre pendant la Grande Guerre.

            Le livre est devenu un « classique » et le caporal un personnage incontournable de l’histoire de la Première Guerre mondiale : dans les émissions de KCET/Los Angeles et de la BBC, à partir desquelles a été réalisé le livre The Great War and the Shaping of the 20th Century ; dans la série de huit émissions d’Arte en 2014 ; parmi douze témoins privilégiés dans le livre de Max Hastings, Catastrophe, Europe goes to War 1914. Barthas a une entrée dans le Dictionnaire de la Grande Guerre de François Cochet & Rémy Porte et dans l’Encyclopédie de la Grande Guerre mise en ligne par la Freie Universität de Berlin.

De mars à août 2014, la Bibliothèque nationale de France a exposé sur le site François Mitterrand les photos prises par Jean-Pierre Bonfort « Sur les pas de Louis Barthas », le long des anciennes lignes du front. L’exposition a été reprise de novembre 2014 à février 2015 aux Archives départementales de l’Aude qui  a réussi à en publier le catalogue. Une partie de l’expo a pu encore être présentée lors d’une journée Barthas à Feytiat (Limoges). Une journée Barthas avait également été programmée à Genève le 8 janvier 2009.

            Les diverses facettes du témoignage de Barthas ont été présentées dans des colloques pour en illustrer la thématique particulière. Pierre Barral avec sa communication au colloque Traces de 14-18 à Carcassonne en 1996. Moi-même dans la rencontre « Verdun et les images des batailles de la Grande Guerre » à la cinémathèque de Perpignan ; dans une comparaison avec Richert à Montpellier la même année 1998, et plus tard dans la même ville lors du colloque « La Grande Guerre des gens ordinaires » ; en 2015 pour les Archives nationales avec « Louis Barthas et la postérité. Réflexion sur la relation entre documents privés et publics » ; la même année à La Flèche, « La paix dans les Carnets  de guerre de Barthas », pour le colloque « Pratiques et imaginaires de Paix en temps de Guerre 1914-1918 ».

            D’autres textes viennent conforter le témoignage de Barthas : les carnets et les lettres de Léopold Noé, François Guilhem, François Blayac, Louis Grelet, Étienne Derville et même Charles de Gaulle décrivant les assauts stériles de 1915. Barthas et Richert se trouvèrent un moment face à face, dans le secteur de La Bassée, Vermelles, Notre-Dame de Lorette, de novembre 1914 à janvier 1915. Le texte du caporal audois peut être illustré par les dessins de Pierre Dantoine et les photos de la collection de son capitaine, Léon Hudelle, deux autres Audois.

            La publication de ce texte de « mémoire populaire » a été comme un déclic pour la recherche de documents de même type. La réaction a été provoquée directement par le livre  ou par les nombreux extraits donnés par les manuels scolaires. Celui  de 3e des éditions Hatier de 1980 consacre au témoignage de Barthas une double page ; celui de Nathan place Barthas dans un dictionnaire des personnages du XXe siècle aux côtés de Salvador Allende, Léon Blum, Albert Camus, Winston Churchill, etc. Plusieurs enseignants ont lancé des recherches, des PAE comme ceux déjà présentés plus haut dans ces réflexions. Quelquefois, après une conférence, on venait m’apporter ou me signaler un carnet de route, une transcription, une correspondance. C’est la « journée Barthas » organisée à Genève qui est à l’origine de la publication par Isabelle Jeger des lettres de son grand-père normand Charles Patard. Une remarque significative : le manuel de 3e des éditions Hatier de 1984, qui remplace celui de 1980 cité plus haut, accorde toujours une double page au thème « Les combattants [de 14-18] », mais sur les extraits de témoignages, un seul est de Barthas, et deux viennent du témoignage d’Antoine Bieisse, découvert après celui du tonnelier et publié aussi par la FAOL.

            Enfin, si le livre lui-même de Barthas peut être qualifié de « monument », de véritables monuments érigés sont directement en rapport avec lui. Le premier qui soit venu à ma connaissance, grâce au livre de Danielle et Pierre Roy, est celui de Pontcharra-sur-Bréda (Isère), qui porte, gravées, les dernières lignes du livre du tonnelier « pour l’idée de la paix et de la fraternité humaine ». C’est ensuite dans le gros village de Peyriac-Minervois qu’une association a voulu célébrer à la fois son tonnelier et la paix dans le monde par l’édification d’un monument de pierre au cœur d’un Jardin de la Paix. N’oublions pas enfin qu’en décembre 1915 près de Neuville-Saint-Vaast, le magnifique texte du caporal décrivant une fraternisation se terminait par un appel à élever « un monument pour commémorer cet élan de fraternité entre des hommes qui avaient l’horreur de la guerre ». En 1992, Marie-Christine Blandin, présidente de la région Nord-Pas-de-Calais, avait le courage de proposer de répondre à l’appel de Barthas, suscitant la levée de boucliers des forces rétrogrades. Christian Carion et Bertrand Tavernier reprirent l’idée après le succès du film Joyeux Noël (2005). C’était encore trop tôt. Mais les esprits évoluaient. En décembre 2015, le souhait de Barthas était exaucé : le président de la République François Hollande – un deuxième président à s’intéresser au tonnelier – inaugurait le monument édifié à l’endroit même des fraternisations de 1915. Une belle opération pour le Centenaire. Les livres Enseigner la Grande Guerre  et De Mémoire et de Paix en rendent compte avec des photos.

Barthas en BD.

Ouvrages cités :

– Jay Winter & Blaine Baggett, 1914-1918, The Great War and the Shaping of the 20th Century, BBC Books, 1996.

– Max Hastings, Catastrophe, Europe goes to War 1914, London, William Collins, 2013.

– François Cochet & Rémy Porte (dir.), Dictionnaire de la Grande Guerre 1914-1918, Paris, Robert Laffont, 2008.

Sur les pas de Louis Barthas 1914-1918, Photographies de Jean-Pierre Bonfort, Carcassonne, Archives départementales de l’Aude, 2015.

– Pierre Barral, « Les cahiers de Louis Barthas », dans Sylvie Caucanas & Rémy Cazals (dir.), Traces de 14-18, Carcassonne, Les Audois, 1997.

– Institut Jean Vigo, Les Cahiers de la Cinémathèque, « Verdun et les batailles de 14-18 », n° 69, novembre 1998.

La Grande Guerre 1914-1918, 80 ans d’historiographie et de représentations, Montpellier, Université Paul Valéry, 2002.

– Philippe Henwood &Paule René-Bazin (dir.), Écrire en guerre, 1914-1918, Des archives privées aux usages publics, Rennes, PUR, 2016.

– Danielle et Pierre Roy, Autour des monuments aux morts pacifistes en France, 1999.

– Rémy Cazals & Caroline Barrera (dir.), Enseigner la Grande Guerre, Portet-sur-Garonne, Éditions midi-pyrénéennes, 2018.

-Emmanuel Delandre, De Mémoire et de Paix, le pacifisme dans les monuments aux morts de 14-18, Toulouse, 2017.

Sources :

– Dans Témoins, notice Derville.

– Dans 500 témoins, notices Barthas, Richert, Noé, Guilhem, Blayac, Grelet, de Gaulle, Dantoine, Hudelle, Patard, Bieisse.

            7. De quelques problèmes

            Commentaires historiques peu satisfaisants

            Mais voici un « passeur » qui n’aimait pas Barthas. Dans la présentation des Carnets de guerre du sergent Granger, Roger Girard se prononce de manière péremptoire : « Les carnets de Barthas ont été entièrement réécrits par lui en 1919-1920. Et non seulement réécrits mais surtout repensés à la lumière de ses opinions au lendemain de la guerre qui ne sont pas forcément, qui ne sont certainement pas celles qu’il avait jour après jour de 1914 à 1918. On ne peut donc y relever aucune évolution de mentalité et pour cause ! Grosse différence avec Granger dont on suit l’évolution continue. En somme, pour l’historien, Barthas donne ce qu’était l’opinion sur la guerre d’un militant socialiste à la veille du congrès de Tours, sujet fort intéressant à condition d’en être conscient en lisant ses carnets. Ce que je viens de dire de Barthas s’applique pratiquement à tous les auteurs : leurs écrits ont presque toujours été en partie ou en totalité repensés et réécrits postérieurement aux événements racontés. »

            Il s’agit évidemment pour Roger Girard de valoriser le témoignage du poilu qu’il édite, texte incontestablement intéressant qui n’avait pas besoin de tels arguments pour être défendu. Quant à Barthas, j’ai montré que de nombreux indices prouvent qu’il a écrit pendant la guerre et qu’il a mis son texte au propre après, en y ajoutant quelques phrases immédiatement repérables et qui n’en changent pas l’esprit. Barthas était pacifiste en 1914 et il l’est resté. Dire que son témoignage donne l’opinion « d’un militant socialiste à la veille du congrès de Tours » est une absurdité quand on sait à quel point les affrontements d’opinions entre militants socialistes lors de ce congrès ont été féroces. Mais R. Girard ne le sait pas. Alors que son livre est publié en 1997 et qu’il se prétend historien, R. Girard ignore celui de 1989 de Thierry Bonzon et Jean-Louis Robert qui contient une lettre résolument pacifiste du 17 août 1916 adressée par le caporal Barthas au député Pierre Brizon. 1916 : quelques années avant le congrès de Tours !

Voici un autre exemple de commentaires « historiques » fort maladroits. Il s’agit de la correspondance récemment publiée de Léon et Madeleine Plantié, témoignage intéressant, mais que sa présentatrice a alourdi de quelques aberrations. Lorsque Léon critique « le commandement », elle pense qu’il vise les caporaux. Plus loin, elle écrit cet étonnant passage : « Du 23 janvier au 3 février [1915], Léon et ses camarades sont aux tranchées. Jamais au front, ils sont malgré tout en première ou deuxième ligne pour effectuer diverses tâches d’intendance. » La première ligne ne serait pas le front ? Plus loin, en annonçant la mort de Léon, la présentatrice, qui est sa petite-fille, écrit : « Un obus français mal calibré l’a atteint. » Le cas de poilus tués par l’artillerie française s’est produit assez souvent mais, ici, on n’a pas la source de cette information. Cette source existe-t-elle ? Et que signifie « mal calibré » ? Enfin, voici un commentaire sans rapport avec ce qu’a écrit Léon, en contradiction complète, et même privé de sens : « Parfois même, il [Léon] tiendra un discours rigoureusement anticommuniste, accusant ces derniers d’avoir fomenté la guerre afin de parvenir au pouvoir. » Je n’arrive pas à comprendre d’où peut venir cette phrase aberrante, alors que Léon critique de façon parfaitement claire les « grands meneurs du catholicisme » et les « réactionnaires pur sang ». Si la présentatrice n’avait pas de compétence en histoire, elle aurait dû faire relire ses commentaires par un historien ou une historienne.

Trop ou trop peu

            Parmi les problèmes rencontrés, viennent ensuite deux erreurs opposées qu’il faudrait essayer d’éviter. Si l’on veut faire comprendre un témoignage, il est nécessaire de donner un minimum d’informations sur son auteur : âge, situation de famille, études, milieu social, opinions politiques, religieuses, etc. Cela permet aussi de mieux se représenter la personne ; quelques photos y contribuent. Ne pas donner ces informations est une lacune. Mais il ne faut pas tomber dans l’autre erreur qui consiste à dire dans la présentation tout ce que contient le texte. Il faut laisser découvrir par le lecteur la richesse de l’œuvre du témoin. L’édition de celle de Jean-Louis Beaufils est l’exemple même de ce qu’il ne faut pas faire : une biographie inexistante, mais la présence d’une préface par un évêque qui ne s’imposait pas ; une présentation qui rend la lecture du témoignage inutile puisque tout est déjà paraphrasé ; des notes erronées ou ridicules (je renvoie à la notice « Beaufils » dans 500 témoins de la Grande Guerre pour en découvrir quelques-unes). Si on pense que les lecteurs risquent de n’avoir pas perçu tel aspect important du témoignage, il est possible d’y revenir dans une postface. Alexandre Lafon, par exemple, a adopté cette démarche en éditant Henri Despeyrières.

            Il ne faut pas confondre le poilu André Bach avec le général de même nom, historien de valeur, qui fut vice-président du CRID 14-18 jusqu’à son décès. Établi par deux petits-enfants et par un historien spécialiste d’Henri IV, le texte des Carnets de guerre d’André Bach remplit 120 pages du livre publié en 2013, mais présentation, annexes et notes occupent ensemble 160 pages. Les 208 notes (sur 60 pages) sont trop longues, redondantes, parfois fautives ou involontairement comiques comme celle-ci : « Les « Terribles Taureaux » : vraisemblablement le nom d’un régiment britannique. » [Pour les non spécialistes de la période, ce sont les soldats territoriaux français qui ont reçu ce surnom.]

            Jean Norton Cru avait fait des remarques proches dans sa notice sur Luc Platt, tué en février 1916 à Nieuport. Le texte du présentateur et celui de l’auteur tenaient une place égale dans le livre publié en 1917, qui fait partie de ceux « dont les éditeurs indiscrets et présomptueux ont imaginé augmenter l’intérêt en tronquant les textes qu’ils éditaient pour faire place à leur glose irritante d’incompréhension ». On trouvera d’autres exemples dans la dernière partie de ces réflexions, « Les historiens et les témoins ».

            Regrouper les témoignages

Les éditeurs de témoignages font parfois des regroupements. C’est parfaitement légitime lorsqu’ils sont effectués sur une base territoriale, qu’il s’agisse du Nord, de l’Aude, de la Drôme ou de la Bretagne. C’est encore le cas pour le livre des deux musiciens Maurice Maréchal et Lucien Durosoir qui se sont trouvés ensemble dans le quintet destiné à charmer les loisirs du général Mangin. Le livre est accompagné d’un CD contenant « Trois pièces pour violoncelle et piano » dédiées par le compositeur Maréchal au violoncelliste Durosoir. Le livre Ennemis fraternels réunit un Allemand (Hans Rodewald) et deux Français (Antoine Bieisse et Fernand Tailhades) qui ont connu des situations proches : combats, blessure, capture et soins par l’adversaire. Dans Récits insolites, pas de proximité géographique, pas de thème commun ; c’est le qualificatif qui est fédérateur. Insolites sont en effet les récits de Charlotte Moulis (« Six mois de front inoubliables » pour une femme), d’Émile Bonneval (« Le prisonnier aux mille tours ») et d’Étienne Loubet (« Ma campagne de Sibérie »).

Par contre, les Destins ordinaires dans la Grande Guerre des Presses universitaires de Limoges paraissent hétéroclites. Un brancardier, un zouave, une religieuse, dit le sous-titre, annonçant des textes regroupés de façon artificielle, et qui nous renseignent plus sur le passage à l’écriture du témoignage que sur les faits eux-mêmes. Le brancardier Goulmy s’est fait aider pour lisser son récit ; l’officier de zouaves Dardant a eu recours à l’Historique du régiment pour compenser les faiblesses de sa mémoire ; la religieuse Germaine de Balanda a décrit des miracles. Mais, comme je l’ai exposé plus haut, tout fait témoignage.

La question de l’orthographe

J’ai souvent entendu affirmer sans accepter de discussion : il faut respecter l’orthographe des témoins. Se montrer péremptoire, c’est souvent éviter la réflexion. En réalité, la question de l’orthographe des témoignages est complexe.

Prenons le cas de la famille Papillon, de Vézelay. La comparaison des niveaux très différents au sein de la fratrie impliquait de reproduire sans la modifier l’orthographe phonétique de Lucien. Au contraire, il me paraît souhaitable d’effectuer automatiquement la correction des textes des témoins qui commettent de rares fautes, comme Barthas. Les éditeurs ont-ils « respecté » les auteurs célèbres, Barbusse, Dorgelès, Duhamel ? Ou bien le respect n’était-il pas de corriger leurs fautes éventuelles ? Je n’ai pas vu les manuscrits de ces auteurs et je ne sais donc pas si leurs éditeurs ont dû intervenir. Mais Nicolas Offenstadt a montré qu’Abel Ferry, le propre neveu du célèbre ministre de l’instruction publique, faisait  des fautes d’orthographe. Ses éditeurs successifs les ont évidemment corrigées.

Si l’on suivait les puristes, seul le fac-similé serait acceptable, mais c’est rarement possible pour des raisons de coût de l’impression. Et, est-ce que ce serait confortable pour le lecteur ? Sur un manuscrit rédigé dans des conditions difficiles, qui peut prétendre lire « tuer » ou « tué » ou « tués » ? Le plus grave est d’introduire des fautes là où il n’y en a pas.

Des fautes d’orthographe ou des aberrations. Ceux qui saisissent les manuscrits ne connaissent pas toujours les termes spécifiques. Si le fantassin français a évoqué la menace des « taubes », le lecteur du manuscrit, qui n’a jamais entendu parler de ces avions allemands, transcrira « tanks, même si l’épisode avait lieu en 1915. Dans le catalogue d’une exposition d’aquarelles du docteur André Mazeyrie, montée en 2014 à Tulle puis à Limoges, figure un poilu hilare, assis sur une chaise, les deux pieds bandés. La légende manuscrite dit : « On l’a, le filon. » Il s’agit de ce que les soldats appelaient « la fine blessure ». Dans le catalogue, cette légende, mal lue, est devenue : « On l’a le film. » Ce qui ne veut évidemment rien dire.

Certains présentateurs n’hésitent pas à ajouter des [sic], croyant respecter le témoin, alors qu’ils ne font que souligner ses prétendues insuffisances. Personnellement, je n’aime pas cette formule. Lorsque, en mai 2000, les éditions des Saints Calus m’ont envoyé leur bulletin de souscription pour le Journal de route 1914-1917 de Joseph Bousquet, j’ai attiré leur attention sur quelques [sic] intempestifs qui se trouvaient dans un morceau choisi. Je les ai convaincus et ils m’informaient trois semaines plus tard que leur préface annoncerait la normalisation de l’orthographe. Quant aux [sic], « ils n’ont plus lieu d’être ; ils n’y seront plus. » Sage décision d’avoir satisfait ce qu’ils ont appelé mes « légitimes exigences ».

L’emploi des [sic] dans la publication de la correspondance Plantié est mal venu et laisse beaucoup de regrets car le témoignage lui-même est très riche. La présentatrice a voulu respecter l’authenticité des lettres. L’orthographe des Plantié étant ce qu’elle est, certaines notes me paraissent inutiles (par exemple préciser que le mot « espectateur » doit être lu comme « spectateur », ou « assasins » comme « assassins », ou encore « aluminion » comme « aluminium »). Je regrette aussi quantité de [sic]. En toute logique, il aurait fallu en placer après toutes les fautes (mais que dire, alors, des quelques coquilles décelées dans les commentaires de la présentatrice). Surtout, beaucoup de ces [sic] proviennent de la méconnaissance d’un procédé d’écriture qui consiste, pour l’épistolier quand il tourne la page, à reprendre en haut le dernier mot de la page précédente. Alors, dans ce livre, on a profusion de formules comme « te te [sic] », « et et [sic] », « c’est de m’en c’est de m’en [sic] », etc. On est loin du respect des témoins.

Insuffisance de mes réflexions : la publication sur sites

Les témoignages numérisés et placés sur des sites constituent-ils une immense forêt ? Si c’est le cas, je ne m’y suis pas aventuré et je compte sur les lecteurs de ces réflexions pour apporter les compléments nécessaires.

Je signale cependant en n° 1 le site « Ch’timiste ». Vincent Suard l’a consulté pour rédiger quelques notices. Il est question d’autre part du soldat Albert Huet sur le site bien organisé de sa petite-fille Hélène. Les Archives départementales ont mis en ligne divers témoignages reçus lors de la Grande Collecte.

Ouvrage cité :

« Nous crions grâce », 154 lettres de pacifistes, juin-novembre 1916, présentées par Thierry Bonzon & Jean-Louis Robert, Paris, Les Éditions ouvrières, 1989 (lettre de Barthas p. 76-77).

Sources :

– Dans Témoins, notice Platt.

– Dans 500 témoins, notices Granger, Barthas, Beaufils, Despeyrières, Maréchal, Durosoir, Bieisse, Tailhades, Moulis, Bonneval, Loubet, Goulmy, Dardant, de Balanda, Papillon, Ferry, Bousquet.

– Sur le site du CRID, notices Plantié, Bach, Rodewald, Mazeyrie, Huet.