A chaque classe sociale, sa consommation
« Dis moi ce que tu bois, je te dirais qui tu es ». Au XIXe siècle et jusqu’au déclenchement de la Première Guerre mondiale, la consommation et l’usage du vin renseignent sur la classe sociale à laquelle appartient un individu qui en consomme. On peut donc distinguer « le boire » bourgeois, ouvrier et paysan prolétaires. Au XIXe siècle, la production et la consommation de vin en France augmentent considérablement grâce aux améliorations introduites par la révolution agricole et l’amélioration des transports. Dès la seconde moitié du XIXe siècle, la consommation du vin se répand dans tout le territoire français. Cette hausse de la consommation est permise par une baisse du prix du vin mais aussi à par un certain progrès technique. Les paysans, et plus particulièrement les viticulteurs, sont les premiers consommateurs de vin. Toutefois, cette consommation varie en fonction des récoltes. Ainsi, dans l’Hérault, en 1840, le paysan consomme 250 l/an. En 1873, il en consomme 457 l/an, tandis qu’en 1885 il n’en consomme plus que 184 l/an. Le vin est généralement coupé à l’eau. Le patron réserve à son ouvrier 1 l/jour de vin en hiver et de 2 à 3l/jour en été. A l’origine, la consommation de vin est un privilège de gens d’Église et de la noblesse. Les nobles qui sont souvent des propriétaires terriens en profitent pour cultiver leur propre vin. Au XIXe siècle, l’émergence de la bourgeoisie « démocratise » la consommation de vin. Dès lors, tout bourgeois peut montrer à quel rang social il appartient à travers la consommation de vin de qualité.
La cadence de travail difficile des ouvriers explique en partie qu’ils soient les plus grands buveurs de vin. Selon une étude (docteurs Landouzy et Labbé), les ouvriers parisiens dépensent en moyenne 1,24 francs pour leur alimentation contre 1,14 franc pour leur boisson, généralement du vin. Pour les mineurs, le vin est aussi un facteur de cohésion. Grâce à l’usage et à la consommation, on peut donc définir l’appartenance socioprofessionnelle des individus. Ce propos est toutefois à nuancer, certains individus de la classe bourgeoise sont de grands consommateurs et a contrario certains ouvriers ne boivent que peu ou pas d’alcool. Il ne faut donc pas oublier que des exceptions existent.
La symbolique religieuse du vin
Le vin et la religion ont toujours entretenu des rapports très étroits. Le vin apparaît comme un élément clé dans de nombreuses religions. L’analyse de la place du vin dans les communautés religieuses semble donc nécessaire pour saisir l’importance de ce lien. De toutes les religions monothéistes, le judaïsme est celle où le vin à la place est la plus importante. Lors de « Shabbat », fête traditionnelle juive hebdomadaire, le vin se doit d’être consommé en grande quantité. Cette fête est respectée par les juifs car elle est axée sur la convivialité et le partage. Le vin est donc un vecteur fort de cohésion et un met très apprécié. Rapportée à son nombre de fidèles, la religion juive est la plus grande consommatrice de vin. La religion chrétienne offre également au vin une position particulière. Pour preuve, Jésus aurait transformé l’eau un vin. Toutefois, les chrétiens se divisent en plusieurs communautés où le vin conserve une place primordiale malgré un usage différent. Lors des cérémonies catholiques, on l’utilise sous forme de « vin de messe ». C’est durant l’eucharistie, rite de la consécration, que le vin et le pain se transforment, pour les fidèles, en sang et corps du Christ.
Cette pratique est contestée par les protestants. Cependant, ils organisent durant l’année quatre Cène reproduisant le dernier repas du Christ. Au cours de ce rituel, la consommation de vin est prescrite. Pour les orthodoxes, le vin possède son propre rôle. En effet, lors de chaque cérémonie religieuse, on dispose un verre de vin qui est perçu comme une offrande au Christ. En outre, lorsqu’un décès survient, du vin est versé sur le corps du défunt dans le but de favoriser sa résurrection. Enfin, la religion musulmane est certainement la plus intéressante vis à vis de l’usage et la consommation du vin car personne ne sait réellement ce que dit le Coran à ce sujet. On constate que ce n’est pas le vin mais l’ivresse qui est prohibée par l’Islam. Par contre, le vin est promis aux musulmans au Paradis. Le vin, par sa place importante dans chacune des grandes religions monothéistes, apparaît bien comme un vecteur de cohésion. Plus la religion est ancienne, plus son rapport avec la boisson issue des vignes est important. Ainsi, il permet à chacune de ces communautés de se différencier les unes des autres.
Un soldat, un fusil et du vin
Si il y a un métier où la cohésion de groupe se crée autour du vin , c’est bien celui de soldat. Les « popotes » permettent de fêter les victoires, d’oublier l’horreur des combats et de renforcer l’esprit de camaraderie. Être soldat, c’est faire partie d’un groupe. Il est donc primordial de créer du lien entre ces hommes. Cette cohésion est amorcée par les rations quotidienne et les rituels militaires. En effet, il est de coutume pour les anciens d’initier les jeunes recrues à « devenir de vrais hommes », en les faisant boire. De plus, ce moment de convivialité autour du vin fait disparaître pour quelques instants, la barrière qui sépare les officiers et les sous-officiers, des soldats de premier rang. L’usage du vin dans le cadre militaire est une action collective derrière laquelle se cache une démonstration de sa virilité. Un soldat qui ne consomme pas d’alcool est donc suspecté d’homosexualité par ses pairs et mis à l’écart. Participer au beuverie devient donc une obligation sociale.
Le vin est également un remède efficace contre la peur des combats et l’éloignement de ses proches. À l’approche d’une bataille, du vin est distribué aux soldats afin de contrôler leurs angoisses et de les galvaniser face à l’adversaire. Les usages du vin sont multiples au sein de l’Armée, pour autant, les soldats nient avoir une consommation abusive. Ceci conduit à véhiculer parfois une image négative des corps militaires. Le boire soldatesque est donc une réalité toutefois ce propos est à nuancer car de nombreux appelés avaient déjà une consommation élevée de vin avant d’intégrer l’Armée.