Le sucrage est l’augmentation du degré d’alcool d’un vin en ajoutant du sucre au moût de raisin. L’origine botanique de celui-ci n’est pas spécifiée, il peut provenir de la canne à sucre ou bien de la betterave. Il est préférable d’effectuer cette opération dans le premier tiers de la fermentation alcoolique. De plus, la dissolution est plus rapide lorsque le moût est réchauffé et l’aération, consécutive, stimule l’activité fermentaire des levures. On note alors une augmentation du degré d’alcool et une diminution de l’acidité totale.
Ce procédé est également appelé chaptalisation, du fait de la vulgarisation de la méthode par Jean-Antoine Chaptal (1756-1832). A partir du XVIIIe siècle les chimistes améliorent cette méthode empirique : au lieu du miel, technique pratiquée pendant l’empire romain, ils rajoutent directement du sucre dans le moût de raisin. L’instigateur de ces nouvelles recherches est Pierre Joseph Macquer (1718-1784). En octobre 1776, Macquer entama une expérience. Il tira le moût d’un rebut de vendange qui était lamentable, il en obtint un vert, acide et trouble. Après l’ajout de sucre, il obtint un breuvage plus doux. Après trois jours de fermentation et huit jours de repos le résultat fut singulier : « Le vin avait une odeur vineuse assez vive et assez piquante ; la saveur avait quelque chose de revêche attendu que celle du sucre avait disparu aussi complètement que s’il n’y en avait jamais eu »[1]. Suite à une année de maturation, il déclara : « J’ai trouvé qu’il était clair, fin, très brillant, agréable au goût, généreux et chaud, et, en un mot, tel qu’un bon vin blanc de pur raisin, qui n’a rien de liquoreux et provenant d’un bon vignoble, dans une bonne année. » [2] Avec cette expérience, Macquer met au point un sucrage maîtrisé et efficace qui servi de référence pendant plusieurs décennies. Si Pierre-Joseph Macquer est à la base du sucrage moderne, deux hommes jouèrent un rôle plus essentiel encore dans le perfectionnement et la vulgarisation de cette méthode. Jean-Antoine Chaptal, sur la base expérimentale de Macquer et les découvertes de Proust, sur la présence de sucres de raisin dans le muscat, met au point un procédé permettant d’atteindre le degré d’alcool souhaité en prenant en compte le taux de sucre présent naturellement dans le moût de raisin. Une telle opération est nécessaire lorsque le climat n’est pas propice à une bonne vendange. « Quand la nature a été avare de matière sucrée, l’art doit la procurer aux raisins qui en manquent. »[3]. Un chimiste de renom, Antoine-Augustin Parmentier (1737-1813) propose différentes méthodes de sucrage. La première consiste à ajouter du moût de raisin après concentration et désacidification partielle, la deuxième, plus simple, consiste à rajouter, directement à la cuve, du sucre de canne ou du miel. La troisième, celle qu’il préconise, est le recours aux conserves de raisin du midi, autrement dit, ajouter des raisins en conserve au moût. Bien qu’essentielle à l’évolution du sucrage, Parmentier lance un regard nuancé et critique sur cette amélioration. Il est opposé à ceux qui n’ont ni la réflexion ni la méthode pour mener à bien un sucrage de qualité. « Tous ces guérisseurs de vin malades ou dégénérés, qui ont la prétention de les rétablir dans leur premier état au moyen du sucre ne font absolument que les acheminés vers leurs dépérissements. Un vin ainsi raccommodé est un vin frelaté. […] » [4]
Dès la fin du XIXe siècle, certains érudits, comme Sol de Narbonne, avancent l’idée que la chaptalisation est une forme de fraude. Dans le même temps, la falsification des vins connaît un essor considérable, lié aux progrès de la chimie et de l’agronomie. Celle-ci sert à combler l’effondrement de la production viticole dû au puceron ravageur de vigne ; le phylloxéra.
Il faut attendre la fin du désastre du phylloxéra et le début du XXe siècle pour que la chaptalisation soit reconnue. L’Etat, pour relancer les échanges commerciaux, encourage le sucrage en créant un statut fiscal particulier. Il dissocie le sucre pour la consommation humaine et celui destiné à un usage vinicole.
Deux solutions s’offrent aux vignerons acceptant la chaptalisation. La première est endogène, le raisin ou le moût de raisin, la seconde est extérieure à la vigne, le sucre. Parmentier défend une vision scientifique et économique en préconisant le sucrage à partir de sucre de raisin. Depuis que l’Etat a dissocié les sucres, la fiscalité voit désormais le sucrage comme une pratique œnologique banalisée et non plus comme une technique d’amélioration exceptionnelle.
[1] Citation de Jean-Antoine Chaptal dans « L’art de faire le vin, les eaux-de-vie, esprit de vin, vinaigre simple et composé. » P.87.
[2] Ibid. P.87.
[3] Parmentier dans « traité sur l’art de fabriquer les sirops et les conserves destinés à suppléer le sucre des colonies ». P.206.
[4] Ibid. P.211.