Chaque région viticole est confrontée à certains problèmes, liés aux milieux naturels qui leur sont propres. Ces problèmes ne demeurent pas sans conséquences pour les vendanges, chaque insuffisance ou carence liée à la région affecte la composition du vin. Aussi, dans les vignobles septentrionaux les vignerons ont recours à la chaptalisation ou sucrage pour compenser le manque de sucre présent dans le raisin. Dans les vignobles méditerranéens, la solution est ailleurs. Pour compenser le manque d’acidité des vendanges du sud les vignerons utilisent le plâtrage. Comme pour beaucoup de méthodes de vinification le plâtrage remonte à l’antiquité. En effet, au IVe siècle avant J.-C., Théophraste, botaniste, naturaliste, polygraphe et alchimiste de la Grèce antique, nous révèlent la pratique du plâtrage à Chypre, en Phénicie et en Italie. Après un regard mitigé depuis le XVIe siècle, le plâtrage resurgit dans la deuxième partie du XIXe siècle suite au développement de nouvelles maladies de vigne.
En 1852, les traitements au soufre sont indispensables dans le midi afin de contrer l’oïdium, mais très vite apparaissent des insuffisances qualitatives. Dès 1853, la question du plâtrage se pose à nouveau.
« Le plâtrage est une pratique fort ancienne dont on ne s’est préoccupé qu’à partir de 1853, depuis que l’oïdium a désolé les vignobles ; on la met en œuvre dans tout le midi de la France. »[1]
Le plâtrage est une méthode concernant seulement la vinification en rouge. Viard, chimiste, conseille que le plâtre doit être « bien blanc et en poudre fine. Il ne doit pas contenir de sels de magnésie, de sels d’alumine, de sels de fer et de sulfure de calcium »[2]. Il précise également que si le plâtre ne contenait que des traces d’alumine, il n’y aurait aucun danger car elles disparaîtraient après le premier collage. Deux méthodes sont utilisées pour donner plus d’acidité au vin ; la première consiste à jeter du plâtre en poudre sur le raisin au moment du foulage de la vendange ; la deuxième, à introduire du plâtre dans le vin quand celui-ci est en tonneau. Viard préconise l’emploi de cette première méthode « la fermentation favorise la solubilité du sulfate de chaux, qui se dissout en bien plus grande quantité que dans l’eau ou le vin fait. »[3]. Le plâtrage, en plus de l’acidification, présente d’autres intérêts pour la vinification, donc des effets positifs sur le vin. André Audoynaud, membre de l’Ecole Nationale d’Agriculture de Montpellier, affirme que le plâtrage permet un meilleur déroulement des fermentations, de dépouiller le vin, et de le rendre plus limpide.
Viard fournit quelques appréciations qui restent moins élogieuses, mais qui sont d’ordre organoleptiques « Les vins plâtrés sont plus rudes au palais et dessèchent la gorge. Le même vin non plâtré devient supérieur dès la première année. […] »[4]
Une question reste cependant sensible, celle du dosage ; pas pour des considérations financières mais à cause de l’inquiétude que provoquent les risques liés au plâtrage. En effet une dose élevée de plâtre a des conséquences sur la santé des consommateurs. Dans le midi, la remise en cause du plâtrage fait face à une résistance assez conséquente pour des raisons économiques. Lors de l’industrialisation, le plâtrage, par ses effets positifs, est un élément primordial pour la conquête des marchés. Or en juin 1887 Cazaux dénonce cette méthode car le haut taux de sulfate de potasse qu’elle entraîne constitue une barrière à l’export face aux juridictions étrangères.
Par ailleurs, les voies institutionnelles commencent à dénoncer la dangerosité du plâtrage. En 1875, une loi porte la tolérance de sulfate de potasse par litre à deux grammes au lieu de quatre. Cette quantité dépassée, le vin est déclaré impropre à la consommation dans l’armée et les hôpitaux. Celle-ci ne fait pas l’unanimité. En 1880, les technologues de l’Ecole Nationale d’Agriculture de Montpellier affirment que le refus du vin contenant du sulfate de potasse n’est pas envisageable. Jusqu’en 1891, les viticulteurs méridionaux se battent encore pour le droit de plâtrer leurs vins, mais une loi vient stopper leurs revendications : « Il est défendu de mettre en vente, de vendre ou de livrer des vins plâtrés contenant plus de deux grammes de sulfate de potasse par litre. Les fûts ou récipients contenant les vins plâtrés devront porter l’indication en gros caractères […] ». S’ensuit un net recul de cette pratique œnologique, pourtant généralisée dans le vignoble méridional.
L’histoire du plâtrage revêt deux intérêts : le consommateur devenant un sujet sensible, à la fin du XIXe siècle, la défense de sa santé est au cœur de cette histoire. Le deuxième intérêt porte sur la conduite collective d’une action défensive lors de la remise en cause d’un procédé technique. La véritable innovation de cette affaire se concentre autour du lobbying politique. Il est désormais indispensable de faire appel à lui pour accéder à la science et aux lois.
[1] Chevalier et Baudrimont, « Dictionnaire des altérations et falsifications », p.1261.
[2] Viard, « Traité général de la vigne et des vins », p.846.
[3] Ibid, p.846.
[4] Ibid, p.847.