Les grands crus et la haute société
La royauté est très attachée à l’usage, parfois même à la production, de grands vins français. François Ier en est un parfait exemple. Il engagea par exemple un cultivateur de Cahors pour planter le vignoble royal de Fontainebleau. Dans la seconde moitié du siècle, la consommation de vin à la cour d’Henri IV témoigne de l’intérêt du roi pour ce breuvage. L’approvisionnement en vin par le roi reposait sur un système assez curieux :
« d’adjudication à des fournisseurs s’engageant pour des durées limitées, allant de quelques mois à une année, à fournir moyennant finance des quantités variables de marchandise dans les lieux où le roi se trouverait. A l’instar du roi, les membres de sa famille ou bien les personnages importants agissaient d’une manière identique, c’est à dire par appels d’offres, annoncés à son de trompe dans les rues et places de Paris. » (René GANDHILON, « Henry IV et le vin », p.385)
À partir du milieu du XVIIe siècle, le critère du goût est mis en valeur au sein de l’aristocratie française, détaché des éléments médicaux. Le bon vin doit avoir maintenant avoir un goût fin, une couleur délicate, des arômes secondaires (fleurs, fruits) que l’homme distingué doit connaître et apprécier. Certains vins sont réputés pour posséder ces qualités comme le vin doux qui est souvent associé à la luxure. Cependant, depuis le règne de Louis XIV, les grands crus restreignent leur territoire et certains disparaissent même. Il y en a un pourtant qui émerge durant cette époque et qui acquiert une haute célébrité. Pétillant et raffiné, le Champagne rejoint progressivement les salons aristocrates dès le début du XVIIIe siècle.
Ce siècle voit donc apparaître de véritables grands crus en France, encouragés par Louis XV qui interdit les nouvelles plantations en 1731 afin de limiter la production de vins médiocres. Exception faite dans les vignobles aptes à produire de bonnes qualités. Les repas aristocratiques deviennent de grands moments d’expression de leur compétition culturelle et économique, on y consomme des grands crus de la province ou du pays voisin en présence d’invités afin de leur démontrer la finesse de nos goûts. En effet, le vin est une boisson civilisée, savoir reconnaître et apprécier un bon vin s’apprend donc au même titre que l’on apprend à se comporter en aristocrate. Jusqu’au XVIIIe le vin servait à masquer les goûts indésirables, maintenant on l’utilise pour révéler la saveur des aliments pour ces élites raffinés.
La piquette et le bas peuple
Tout le monde ne consomme pas un vin de même qualité dans le royaume. En effet, les villageois et paysans n’ont pas les moyens ni l’envie de consommer les vins de renoms mais plutôt des vins accessibles comme la piquette. C’est un vin peu coûteux, produit et vendu par les populations locales. Les paysans se le fabriquent pour leur consommation personnelle mais aussi pour la revente au peuple des villes. La caractéristique de la piquette est que c’est un vin peu fort souvent dilué avec de l’eau et qui, par conséquent, n’a pas très bon goût. Ses bienfaits sur la santé, à savoir la destruction des bactéries dans l’eau sont donc conservés et son bas degré d’alcool permet une consommation quotidienne de vin. Après la journée de travail, le moment fort du peuple se trouve dans les tavernes. En effet celles-ci sont synonymes de sociabilité, « la taverne résume à merveille la sociabilité villageoise, dont elle est le point focal, tant ses fonctions sont riches et multiples » (Robert MUCHEMBLED, Sociétés, cultures et mentalités dans la France moderne, p. 82). C’est un lieu dans lequel tous les corps de métiers se retrouvent et discutent affaires. Le vin y coule à flot, c’est un lieu de beuverie tellement important que la manière dont on se comporte une fois saoul à la taverne définit notre réputation. La qualité du vin n’y est pas réellement importante, en effet, « on sait que le vin qui est servi n’a pas toujours été élaboré et conservé selon les règles de l’art » (Ibid). Le tableau suivant illustre la beuverie et la débauche, souvent présentes dans ce genre de lieu.
Le vin dans la basse classe sociale est bu par tous les membres de la famille mais avec une dose d’alcool différente, ou bien dans un but différent. En effet, les hommes boivent le « vin du travail » pour se rafraîchir après les travaux des champs. Les femmes elles, boivent davantage d’eau, mais aussi de la piquette, et parfois du vin cuit durant les jours de fête. Ce sont donc des vins à faible dose d’alcool qui servent lors des festivités plus que comme boisson quotidienne, contrairement au vin des hommes. En dernier lieu, les enfants ont le droit à l’« eau rougie ». Ici aussi il ne s’agit pas de vins très alcoolisés, mais plus certainement un fond de vin dans un verre dilué avec beaucoup d’eau. L’intérêt de mettre un fond de vin étant que le peu d’alcool tue les bactéries présentes dans l’eau. Le dernier membre qui n’est pas vraiment considéré comme membre de la famille mais qui fait partie intégrante du peuple, c’est le domestique. Celui-ci, a le droit de boire du vin, et a le droit aussi d’avoir son propre vin, il s’agit du « vin commun ».
Il est important cependant de nuancer car le bas peuple ne consomme pas seulement le vin nommé « piquette », même si celui-ci est une grande part de la consommation quotidienne.
Le vin de l’Église
Saint Benoît nous expliqua très tôt que la consommation régulière de ce breuvage qui surpasse tous les autres est considérée comme un bienfait de Dieu, seule l’ivresse est un pêché. Comme expliqué en amont, l’Église a de tout temps eu un lien particulier avec le vin principalement lors de l’Eucharistie. On retient une vision plus symbolique propre aux religions selon laquelle le vin unifie tous les membres de l’Église au sein d’un seul corps. Le système communautaire monastique, qui se veut autosuffisant, mène donc les religieux à produire leur propre vin.
Nous connaissons aussi l’exemple des moines franciscains qui développèrent le vignoble californien à l’aide de cépages importés de France durant la même période. A une échelle plus locale, les moines bénédictins développent eux une politique sur la production du Gaillac qui s’étendra par la suite sur l’ensemble du territoire.