Une consommation excessive mais contrôlée

La consommation de la population française.

Tout d’abord, le vin représentait en moyenne 10 % des apports journaliers nutritionnels masculins, ce qui se traduit par 3,5 verres de vin par jour, soit 270 kcal. En comparaison, la consommation moyenne d’un Italien était de 1 à 1,7 litres par jour. Selon Phillipe Meyzie, en 1660, un parisien buvait en moyenne 270 litres par an. En terme de quantité, les habitudes ne semblaient pas principalement différer en fonction de la classe sociale. L’usage était qu’une consommation régulière s’établissait entre 6 et 7 ans chez l’enfant. La consommation française du vin est vue de différentes façons selon les sociétés. Selon Jean-Louis Flandrin, en 1996, « il n’y a que des français qu’on disait parfois que l’abus de vin ou des liqueurs fortes […] abrégeait leurs jours ». Montaigne au XVIe siècles, écrivait quant à lui que « boire à la française, c’est boire à deux repas et modérément, en crainte de sa santé ».

Grâce au registre de l’abbaye du Val-Benoît aux abords de la ville de Liège, nous pouvons connaître la quantité de vin acquise entre 1726 et 1735 :

Les achats de vin de l’abbaye représentent sur 9 années, entre 1726 et 1735, un total de 8,06 % des dépenses destinées à l’alimentation, ce qui correspond à la norme française de consommation. En effet, cela concorde avec une moyenne établie de 3,5 verres par jour. La seule différence notable entre le clergé et la majorité démunie du tiers-état est donc la qualité et la renommée des vins et des domaines.

Un département comme l’Ariège était un très grand importateur de vin sans pour autant en être un plus grand consommateur que d’autres régions du royaume. En effet, les ariégeois connaissaient la difficulté de la culture des vignes pour des raisons climatiques. Or, comme le reste du royaume, ils usaient du vin en de multiples occasions et en avaient donc besoin d’une grande quantité de « boissons ». Par exemple, au sein du baillage de Vicdessos, 5000 litres quotidiens étaient introduits à la fin du XVIIe siècle, pour une population inférieure à 5000 habitants. Ceci équivaut à plus d’un litre par personne et par jour.

Le renforcement de la législation.

Intérieur de cabaret, XVIIe siècle

Le vin fait partie intégrante de la vie des Français. Toutes les classes sociales le consomment, mais aussi toutes les catégories d’âges. On donne du vin aux enfants, et même s’il est dilué avec de l’eau, il comporte tout de même de l’alcool. On leur donne pour fortifier leur santé, ainsi ils sont habitués dès leur plus jeune âge à en boire. On boit du vin à l’époque moderne comme on pourrait boire de l’eau à notre époque. Le vin devient une habitude, c’est le premier pas vers l’alcoolisme. À cette époque, le vin prend une telle importance que les mœurs demandent que chacun sache se comporter saoul en public. Appartenir à la catégorie sociale du « bas peuple » suppose la fréquentation de lieux populaires, qui laissent place à l’ivrognerie et à l’excès de boisson. Ces lieux sont de plus en plus nombreux et importants en France : à titre d’exemple, il y a 300 débits de boissons à Paris en 1789, soit un pour 175 habitants. L’ivresse prend donc le plus souvent place dans les cabarets et les tavernes. L »ivresse est donc essentiellement masculine car ces lieux sont réservés aux hommes et ne sont que très peu accessibles aux femmes. D’autant plus que les femmes, contrairement aux hommes, coupent leur vin avec de l’eau.

Le vin et tous les excès qu’il entraîne ont fini par obliger les rois français de l’Ancien Régime à prendre des mesures de répression contre cette boisson. Ainsi, le premier édit royal qui condamne l’ébriété en public émane de François Ier en 1536. En effet, cet édit stipule qu’il est dorénavant « ordonné que quiconque sera trouvé yvre, soit incontinent constitué et détenu prisonnier au pain et à l’eau pour la première fois. » La suite de l’édit promet des peines plus lourdes en cas de récidive pouvant aller jusqu’aux châtiments corporels ainsi qu’au bannissement de la personne. Si ces peines peuvent paraître dures pour une simple ivresse, il ne faut pas oublier que l’alcool devient le fléau de l’époque moderne car bu en grande quantité il provoque de nombreux troubles, comme des homicides ou des viols. De plus, ces châtiments sont rarement employés dans les faits, ils visent surtout à dissuader et à réduire la consommation d’alcool des français sans l’interdire. La législation au sujet du vin n’est pas seulement répressive en France mais aussi dans d’autres royaumes d’Europe.

Fête dans une auberge, 1674

Enfin, pour l’Église, l’alcool et donc le vin s’avèrent aussi être une source d’inquiétude. En effet, elle s’inquiète des excès commis au cours des fêtes qui représente un « danger constant de subversion. » Ainsi elle tente de limiter l’accès aux tavernes et prohibe certaines fêtes, même si elle ne possède pas de réel pouvoir législatif.

« Sous prétexte de moraliser les population, la fréquentation des cabarets est interdite pendant les offices religieux et limité, du moins théoriquement, le reste du temps. Les autorités civiles prêtent la main. Une telle concordance de vue exprime en fait une volonté de contrôle de ce que l’historien nomme la sociabilité paysanne . » (MUCHEMBLED, Sociétés, cultures et mentalités dans la France Moderne XVI-XVIIIe siècle, p.84)

Cependant, jusqu’à la fin du XVIe siècle, et ce malgré cette répression grandissante, « les hommes passent généralement leurs dimanches loin des églises et dans une atmosphère de fête. » (Ibid)