Le peuple et le vin
Le peuple regroupe l’immense majorité de la population et est principalement constitué de paysans. Pour autant, cet ordre est marqué par des différences « économiques » importantes qui se traduisent par des différences sociales. Ainsi, un riche paysan ne consomme-t-il pas son vin de la même façon qu’un paysan pauvre.
Les paysans en fonction de leur niveau social, utilisent le vin en complémentarité de l’eau ou en substitution. Ainsi, la consommation de vin moyenne par jour et par personne atteint des chiffres conséquents entre
« un litre et un litre et demi aussi bien pour les hommes que pour les femmes et les enfants » (FOSIER, 2000, p.189).
Pour autant, c’est un vin faiblement alcoolisé, « entre 7 et 10 degrés » (BIRLOUEZ, 2015, p. 64). Le vin en plus d’être une ressource précieuse pour leur quotidien est aussi vecteur de lien sociaux entre les paysans.
Les paysans consomment des vins de qualités variables qui traduisent, bien souvent, de la situation économique des foyers.
Malgré la forte consommation de vin au Bas Moyen Age, cette boisson se conserve relativement mal (généralement pas plus d’une année) et, bien souvent, l’offre peine à satisfaire la demande. Pour autant, tous ne boivent pas du vin, en effet, toutes les régions du royaume ne produisent pas forcément cette boisson comme la Bretagne . Ainsi, boire du vin dans ces endroits nécessite de le faire importer, or déplacer cette boisson est périlleux et augmente son prix. Pour cette raison, dans ces régions une grande partie des paysans ne consomme pas de vin en raison d’un prix trop conséquent et se rabattent sur des alcools locaux « cidre, bière, cervoise, poiré… » (FLANDRIN, 1996, p. 68).
Pour répondre aux besoins des populations, les vignobles ne cessent de s’accroître entre le XIIe et le XIIIe aux portes des villes. Les bourgeois en sont généralement les propriétaires.
Comme nous avons pu le voir le peuple n’est pas une classe homogène. En effet, il faut distinguer différentes consommations de vin selon le niveau de vie des individus. Les bourgeois cherchent à s’éloigner de leur ordre d’origine (le peuple), pour se faire ils imitent les pratiques des nobles « boire son vin, la marque d’une distinction ; naturelle dans l’aristocratie, cette attitude, à partir du XIIe siècle, est devenue un objectif chez le bourgeois» (FOSSIER, 2000, p. 191).
Dans cette optique, la manière de boire le vin joue un rôle majeur dans la distinction au sein du peuple. In fine,
« le vin est devenu un élément de prestige, la caractéristique d'un haut niveau social »(FOSSIER, 2000, p.191).
Certains paysans se considèrent comme au-dessus des simples laboureurs. En effet, le vigneron pense qu’il a un statut social plus élevé que le cultivateur de blé, car la vigne est considérée comme un produit de qualité supérieure :
« c’est le prototype du campagnard noble, et qui méprise volontiers l’homme du labour » (FOSSIER, 2000, p. 191).
Le peuple étant composé, dans son immense majorité, de paysans relativement démunis. Pour cette raison, ils ne peuvent pas, financièrement, mettre en œuvre les symboliques développées par la noblesse et le haut Clergé. Cependant, cette symbolique en lien avec le vin n’est pas uniquement utilisée en tant que marqueur social mais est aussi reprise dans la liturgie romaine. Ainsi, le peuple associe le vin au sang du Christ. Cependant, cette affirmation se doit d’être nuancée, car cette symbolique, une fois la messe terminée, ne leur semble guère importante. Ces absences de symboliques ou du moins le peu d’intérêt qu’y porte le peuple peuvent s’expliquer par les faibles moyens dont ils disposent. En ce sens, les individus de cet ordre se préoccupent plus de « savoir ce qu’ils mangeront demain » (CORNOT, 2016, conférence), que de la mise en œuvre de symboliques qui ne sont pas indispensable à leur survie quotidienne. On peut donc dire que le peuple, d’une manière générale, n’associe pas le vin à des symboliques particulières. Mais y voit plutôt des usages qui leurs sont bénéfiques, dans la cuisine ou encore dans la médecine. Dès à présent, on constate que cette symbolique liée au vin est synonyme d’un niveau social mais aussi d’une certaine éducation et donc d’une certaine culture.
Pour cette raison, il est important de se pencher sur le cas des bourgeois. Cette partie du peuple tente de s’émanciper de son ordre et son « objectif » est d’appartenir à la noblesse. Pour se faire, ils suivent les pratiques adoptées par la noblesse, en soit leurs modes de consommations du vin. Les symboliques liées au vin n’y font pas exceptions et sont également reprise par la grande bourgeoisie.
La Noblesse et le vin
Bien que la noblesse consomme, elle aussi, le vin dans une optique de substitution à l’eau, il est important de montrer en quoi cette consommation est mise à profit pour montrer la puissance des nobles.
Les nobles consomment essentiellement du vin lorsqu’ils reçoivent leurs pairs, on parle des vins d’honneurs que l’on doit rendre et recevoir, selon des règles bien codifiées. Ces derniers permettent à la noblesse de montrer leur puissance et leur richesse. Un poème de 1225, intitulé la Bataille des Vins,
écrit par Henri d’Andeli en l’honneur de Philippe Auguste, met en avant une hiérarchie pour ces vins d’honneur.
Les grands seigneurs festoient beaucoup au Bas Moyen Age et le vin y occupe une place centrale. Ce dernier n’est jamais bu en association avec des aliments ou pour étancher la soif. En fait, les nobles boivent surtout du vin au début et à la fin des repas dans des rituels d’hommages collectifs que les Anglais nomment « toasts ».
La consommation de vin au cours des banquets est estimée à environ deux litres par convive, « c’est ce que fait préparer l’abbé de Lugny pour un banquet servi en 1379 à l’évêque de Paris et à de hauts dignitaires royaux »(BOURGEOIS,1393, p.106).
Au Bas Moyen Age, la qualité d’un vin n’est pas tant déterminée par le goût. En effet, la société médiévale et plus particulièrement les élites jugent que le critère prioritaire est la vue, ainsi, ils accordent une grande importance au visuel de la boisson. Le vin est également utilisé par les dames comme soin esthétique. En outre, le Bas Moyen Age est contemporain de grands événements et notamment de guerres, qui ravagent les territoires et impactent l’ensemble de la société. Les vignes n’y font pas exception.
La consommation de vin par les nobles nous fournit un portrait de cet ordre, au Bas Moyen âge. Ainsi, nous pouvons observer une première différenciation entre la petite et la grande noblesse qui s’opère souvent avec la qualité de vin consommé « la vigne n’a donc pu y produire un jus de qualité qu’avec des soins réservés à une élite riche » (FOSSIER, 2011, p. 191). Seuls les nobles les plus riches peuvent s’offrir un vin de qualité. Par exemple, le duc de Bourgogne, un des plus puissants seigneurs de France est un grand consommateur de vins de qualité et comme la qualité est liée au degré d’alcool à l’époque
« Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, était ivre un jour sur deux » (FOSSIER, 2000, p.196).
D’autres souverains ont un rapport important avec le vin. Philippe Auguste (1165-1223), roi de France, était expert dans le vin et la Bataille des vins est écrite pour lui en 1224 par Henri d’Andeli. Ce poème sert à donner un classement des meilleurs crus de l’époque, dont le juge est le roi Philippe.
Pour leur part, les monarques anglais en sont obsédés, « les rois anglais se ruinent dans le bordelais » (FOSSIER, 2000, p. 191).
On peut également observer que le Roi utilise le vin pour opérer une distance vis à vis des nobles, ainsi que les grands seigneurs entre eux. Cette différenciation se remarque aussi par la taille des exploitations viticoles et par la qualité du vin produit.
La noblesse créée un grand nombre de symboliques autour du vin pour pouvoir mettre en avant les différentes « hiérarchie » au sein même de l’ordre. C’est particulièrement visible lors des banquets où les nobles ont recours à du personnel qualifié pour mettre en avant leurs puissances et leurs richesses.
Ainsi, le sommelier est-il un serviteur spécialisé dans le vin employé particulièrement dans les banquets « pots et aiguières disposés sur une desserte par le sommelier » (GARRIER, 1998, p. 69). De plus, il a un rôle capital car il sert aussi de goûteur pour éviter tout empoisonnement. Un autre individu important lors des banquets est l’échanson.
Son rôle est de servir son suzerain lors des festoiements. On remarque ici une autre spécificité de la manière de consommer le vin par les nobles ; ces derniers lorsqu’ils reçoivent, ne boivent pas comme leurs invités qui se partagent un récipient pour boire. En effet, ils ont un verre à part, symbolisant leur importance par rapport aux autres convives.
Cette pratique de se partager un même ustensile, est particulièrement intéressante quand on sait que l’organisation de table se fait selon le rang. Pour revenir au gobelet du roi ou du seigneur qui organise, cet objet a aussi une grande importance pour justifier de sa noblesse. En effet, l’ornement du verre témoigne de la richesse.
Le clergé et le vin
Le Clergé joue un rôle majeur dans la production du vin et bien que les membres de cet ordre soient censés moins boire, ils restent de grands consommateurs. Peut-on cependant distinguer des différences de consommation entre clergé séculier (prêtres, curés, évêques…) et clergé régulier (moines, abbés…) ?
Dans le clergé régulier, les moines prennent leurs repas en communauté. Chaque ordre religieux a ses propres spécificités au niveau de l’alimentation (des produits consommés et de la fréquence auxquelles ils les consomment). Mais d’une manière générale, les religieux consomment le vin en communauté au cours des repas.
Dans le clergé séculier, les curés et les prêtres ont souvent une consommation assez similaire à celle des paysans, qu’ils encadrent au sein de paroisses, et boivent généralement un vin de qualité médiocre. Cependant, il est important de relever que le haut clergé a des modes de consommations relativement similaire à ceux de la noblesse. En effet, ce dernier réutilise les pratiques des nobles et notamment les vins d’honneurs lorsqu’ils reçoivent des invités.
Ainsi, la consommation du vin rapporte certaines différences entre le clergé séculier et le clergé régulier. Mais nous informe également sur les énormes différences économiques et sociales qui touchent cet ordre. En effet, une partie du Clergé adopte les modes de consommation des nobles (évêques, abbés…) alors qu’une seconde partie est plus proche de celles du peuple (moines, curés, prêtres…). Ceci nous amène donc à nous demander si la consommation du vin, au Bas Moyen Age, n’est pas au service de la hiérarchie ecclésiastique.
On remarque que le vin est, aussi, révélateur d’échelles sociales au sein du clergé. Ainsi, on distingue les membres du bas clergé (les curés par exemple ou encore les moines) du haut clergé (les évêques, cardinaux et pape). Ces deux groupes, n’adoptent pas les mêmes modes de consommation. Ainsi, la consommation et les pratiques du bas clergé se rapprochent-elles de celles du peuple, alors que celles du haut clergé s’apparentent plus à celle de la noblesse.
En effet, les moines sont pauvres (par choix), de la même manière que la majorité du peuple, ce qui les oblige à cultiver la terre pour vivre car ils ont pour objectif ultime la vie en autarcie. Aussi les moines ont-ils souvent un rôle similaire à ceux des paysans, dans le sens où ce sont eux qui produisent du vin.
Au contraire, le haut clergé profite de cette culture pour en tirer une source de revenu, en devenant fournisseurs pour des marchands. Ainsi, les abbés font amener leurs produits jusqu’aux lieux d’achats, les villes. Pour leur part, les évêques possèdent des vignes réputées pour la qualité de leurs jus autour des villes où ils siègent.
Enfin, le pape doit être étudié plus spécifiquement. Il est le chef de toute la chrétienté catholique et se considère alors comme supérieur aux plus puissants souverains d’Europe (Roi de France, Empereur du St-Empire Romain Germanique), qui lui devraient obéissance.
Dans les faits, il tente de se montrer aussi puissant qu’eux, notamment par la possession de domaines viticoles réputés.
Une autre démonstration de la puissance du pouvoir pontifical est l’utilisation du vin, de manière démesurée, lors de cérémonies ou de rencontres diplomatiques.
Cette quantité, mais surtout cette qualité de vins à disposition des papes démontre une certaine richesse pour pouvoir se les procurer.
En outre, le vin est mis au service de la liturgie romaine par un certain nombre de symbolique.