Le statut paradoxal des producteurs souvent eux-mêmes consommateurs, dans les sociétés antiques et médiévales
Dès la création de la province de la Narbonnaise en 125 avant J.C., et peut-être même avant sous l’influence grecque, la vigne se développe dans le Sud de la Gaule. Après la conquête césarienne, la vigne se répand dans la vallée du Rhône. Cependant, à l’époque de Cicéron, il demeurait une interdiction faite aux provinciaux de cultiver eux-mêmes la vigne ; mais il ne semble pas que cette interdiction fût totalement respectée1. Les vignerons de Gaule se retrouvent alors face à la concurrence romaine, omniprésente sur les marchés. Pourtant la crise du Ier siècle pousse l »empereur Domitien à renouveler vers 92, l’interdiction d’importer du vin gaulois à Rome. Cela n’empêche pas le développement de la culture, car la consommation était très importante chez les Gaulois qui devenaient auto-suffisants dans leur production. C’est finalement Probus qui lève officiellement l’interdiction au IIIe siècle de notre ère, sans qu’elle ait réellement empêché le développement de la vigne, qui se répand alors partout jusqu’aux extrémités nord de la Gaule.
A l’époque médiévale, un clivage se creuse entre les petits paysans des domaines viticoles, et les grands propriétaires fonciers à qui ces domaines appartiennent:
– Le travail de pressage, s’il est le fait de paysans, était majoritairement un travail domestique : toute la famille de l’exploitant producteur était mise à contribution pour fouler les grappes de raisin, de sorte à en extraire le jus. Souvent, ce vin domestique était conservé par le petit producteur, et il le consommait lui-même. Les vignerons les plus aisés pouvaient se permettre de louer les presses seigneuriales, de manière à bénéficier d’une alternative plus rapide et moins exténuante pour produire leur vin.
– Les seigneurs étaient quant à eux de grands propriétaires terriens, dont les vignes très étendues nécessitaient de recruter des métayers pour s’en occuper. Ils possédaient les installations de pressurage adaptées, qu’ils louaient aux petits vignerons de leur communauté villageoise. Les nobles, qu’ils fussent des seigneurs ou des membres du clergé, avaient de plus des privilèges importants concernant la production et la vente de vin : grands consommateurs, ils étaient aussi de grands exportateurs. Avant la période des vendanges, les nobles étaient souvent les seuls à détenir encore du vin dans leurs caves, qu’ils écoulaient au plus vite avant l’arrivée du vin nouveau ; et là encore ils étaient prioritaires pour vendre le produit de leurs vendanges et en fixaient les prix.
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1LACHIVER, Vins vignes et vignerons, Histoire du vignoble français, Fayard, Paris, 1988, p. 38.